Nouvel algorithme instagram : les marques ne sont pas des utilisateurs comme les autres.

Celina Barahona
6 min readApr 27, 2016

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Personne n’a pu échapper à la nouvelle récente concernant la modification de l’algorithme d’Instagram, qui entraînerait un changement dans l’affichage des publications d’utilisateurs : concrètement, l’affichage antéchronologique disparaîtrait au profit d’un affichage qui profite aux publications; en gros Instagram devrait décider de ce que vous voyez ou non, en fonction d’un certains nombre de critères (qui ont déjà été détaillés un peu partout, je ne reviendrai pas dessus donc).

Les marques « inquiètes » : sérieusement ?

Dans le cadre de cette annonce, un article, ou plus précisément son titre, a retenu mon attention : c’est celui du JDN, intitulé “Instagram : le nouvel algorithme doit-il inquiéter les marques ?”. En effet, je suis quelque peu étonnée par le verbe « inquiéter ». Une rapide recherche m’amène à un autre article à peu près de la même teneur sur le site Recode (dont le titre initial était « Instagram Algorithm Worries Brands »).

Mais de quoi s’inquiéteraient les marques ? Apparemment de plusieurs choses : tout d’abord, de l’opacité de l’algorithme, rengaine déjà entendue au sujet de Google, puis de Facebook, et qui tendrait à faire baisser le reach de chacune de leur publication (comme pour Facebook là encore). Second motif d’inquiétude pour les marques : devoir payer plus pour que leur contenu soit vu ou regardé, et je cite « It all equals spend money to get exposure » (Courtney Harwood, CMO du site Keep). (et je me doute qu’il y a derrière ce genre de sortie une sorte de jeu de rapport de force public.)

À ce stade de la lecture, je prends quelques secondes de pause ; mais enfin, qu’est ce qu’il y a de surprenant voire d’inquiétant ici ?

Instagram semble justifier sa démarche en expliquant que le changement d’algorithme n’est là que pour améliorer l’expérience de l’utilisateur. C’est qu’il faut rassurer des deux côtés :

  • d’un côté les utilisateurs, qui s’énervent déjà de voir trop de publicité débarquer et de ne plus pouvoir exposer tous leurs abonnés de la même manière à toutes leurs publications
  • de l’autre les marques, qu’il va falloir bichonner car il est évident qu’on va leur demander de consolider leur passage à la caisse.

Ménager les utilisateurs est logique pour Instagram étant donné que ce sont eu qui ont fait la puissance actuelle du réseau; monétiser en essayant de minimiser l’impact sur leur expérience est logique. A la fin Instagram défend ses propres intérêts (quoi de plus normal).

Je ne m’attarderai pas sur les arguments concernant les utilisateurs, je me focaliserai ici sur les marques.

Les agences avancent quant à elles les arguments suivants : « De toutes façons, on ne connait pas notre reach organique à la base », ou encore « Cela va pousser les marques à mieux calibrer la qualité de leurs contenus et la fréquence de publication ». Les arguments à placer dans les futures recommandations sont donc posés.

L’inquiétude des marques est devenue une sorte de marronnier mais — pardonnez-moi — un marronnier un peu ridicule. Je pensais en effet révolue la croyance selon laquelle « internet c’est gratuit / moins cher ». Il semblerait que non.

Les marques tentent bien de rationaliser leur “inquiétude” en arguant du fait qu’elles craignent que les contenus les plus mis en avant seront ceux des marques qui auront payé le plus. En gros que la mise en avant se ferait un peu à la tête du client (et surtout à la somme de son chèque). Mais enfin, là encore, en quoi est-ce nouveau ? C’est la règle du jeu, non ? (Mettons que toutes ne sont pas inquiètes évidemment #NotAllBrands)

Payer c’est normal. Rationaliser c’est mieux.

Les plateformes comme Instagram, Facebook ou Twitter monétisent leur base de données de contacts et leurs audiences. Je ne vois vraiment rien d’ahurissant. Et que les marques ne soient pas les « grandes gagnantes », m’apparaît encore moins étonnant. Après tout, elles n’ont pas financé le développement de ces plateformes et en ont même jusque là plutôt profité.

Si un utilisateur lambda n’a pas d’objectifs autre que se mettre en scène ou mettre en scène sa vie, les marques ont, elles, des objectifs business / marketing. Il est alors concrètement illusoire de penser qu‘une situation d’égalité de traitement avec les utilisateurs « humains », constituant la base d’audience de ces plateformes, soit la règle de base.

Oui, les marques vont devoir consolider leur passage à la caisse et oui, elles vont devoir mieux calibrer leurs stratégies de contenus. Surtout, elles vont devoir repenser aux canaux qu’elles vont activer ou pas sur les réseaux sociaux. Tant que c’était du « tout gratuit » (ou pas trop cher) on pouvait se permettre d’être partout. Maintenant, il va falloir rationaliser. Et c’est là que le bât blesse un peu, à mon sens : rationaliser, donc mieux comprendre les usages, les publics, mieux définir ses objectifs, ses KPI (la course effrénée au nombre d’abonnés d’un compte étant largement dépassée et pourtant encore d’actualité pour beaucoup) etc.

Si les plateformes ont attendu d’atteindre une masse critique avant de monétiser, c’était pour précisément se rendre attractives auprès des marques. Maintenant que les marques sont présentes sur ces plateformes et y ont leurs audiences, elles hésiteront à en partir.

Les marques ne sont pas et ne seront jamais des utilisateurs comme les autres, elles ont des objectifs business et des objectifs en termes d’image : de ce fait, obtenir de la visibilité se monnaie forcément et être le ou la plus visible se monnaie même encore plus.

Se poser de bonnes questions et préparer la suite.

Dans l’idéal, on arrêterait donc d’évoquer systématiquement cette inquiétude, et on se poserait les bonnes questions :

- Comment choisir les réseaux sociaux à activer ou pas selon sa stratégie, ses cibles et leurs usages ?

- Quel est le coût au contact le plus intéressant ?

- Comment mesurer et augmenter son earned ?

Aujourd’hui, établir une « stratégie sociale » sans budget média est totalement inefficace. Et sans KPI de même ordre que ce qu’on connaît avec les « médias de masses » encore moins. On a eu coutume de parler du ratio 1 pour 8 pour les médias de masses (1 pour la prod / 8 pour l’achat d’espace, d’autres disent 1 pour 5 ou 1 pour 10, ça varie) ; il y a donc maintenant un ratio du même genre à définir pour les réseaux sociaux. Ni plus ni moins. Le coeur de la discussion avec Instagram portera donc sur ce qui est garanti et pour quel montant.

Les réseaux sociaux ne sont rien d’autre pour les marques que des vitrines payantes, comme l’est la télévision ou l’encart presse. Rien de nouveau sous le soleil en somme.

Et si les marques ne sont pas des utilisateurs comme les autres, elles jouent en revanche dans une cour où ce sont les utilisateurs eux-mêmes, en très grande partie, qui ont défini les usages, les habitudes, et les codes des plateformes, et où le niveau de saturation à la communication des marques est plus élevé que sur les médias de masse (aussi étonnant que cela puisse paraître : http://www.ifop.com/?option=com_publication&type=poll&id=2281).

Donc il ne s’agit non pas de mettre pleins de sous pour être très vu, ou au contraire de ne rien mettre en attendant que les gens viennent d’eux-mêmes, mais de trouver le bon équilibre, c’est-à-dire de penser des stratégies qui alterneront de manière intelligente le recours à l’achat d’espace pour créer des pics de visibilité, et des flux de contenus non soutenus par de l’achat d’espace dans l’optique de fidéliser les publics recrutés.

Et là me vient un extrait d’article, extrait dont j’ai trouvé qu’il tapait ultra juste et mettait en évidence la situation actuelle, c’est-à-dire celle où les réseaux sociaux sonnent un peu la fin de la récré :

« Social media is, after all, designed to connect people to other people. Brands have always had a tougher time spreading messages on Facebook than individuals, because they’re playing in a space that’s fundamentally not designed for them. »

Oui il va falloir payer plus pour être vu plus, et dans le même temps il va falloir calibrer des contenus « commerciaux » de manière à ce qu’ils soient intrinsèquement aussi intéressants ou plaisants que si le compte qui les publie n’avait aucun objectif marketing.

L’intérêt ne s’achète pas. Il se conçoit.

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