Voyager seule [pourquoi? où?]
Cet été, j’ai décidé de partir seule.
L’origine de cette idée provenait d’un constat qui m’avait autant surprise que déçue de moi-même : j’étais dépendante !
J’étais dépendante
Dépendante émotionnellement, physiquement, mentalement, incapable de rester seule, tout le temps occupée à combler mon angoisse existentielle par de la compagnie, des activités en tous genres, plus ou moins constructives, de la bouffe, du vin, du gin, et j’en passe…
Comment en étais-je arrivée là ? Pourquoi cette vérité accablante ne m’était-elle pas apparue plus tôt ? Comment sortir de ce mode automatique et, finalement, pourquoi ? Était-il nécessaire de commencer à se poser des questions ? Est-ce que ce ne serait pas pire une fois que j’affronterais l’énorme trou béant qui habitait ma poitrine et mes tripes ? Et s’il m’absorbait ?
Et si, en restant seule, je disparaissais ?
Je ne pouvais pas rester là à me morfondre avec ces doutes omniprésents, je devais affronter cette peur de la solitude ou me faire aspirer par cette crainte de n’être personne, de ne compter pour personne, de n’être qu’une goutte d’eau diluée dans l’océan. Pendant que je me baladais dans Paris avec mon sac d’inquiétudes sur le dos, je voyais tout le monde s’agiter, s’affairer, au travail, dans les bars, dans les lits, sur les pistes de danse et j’aurais tellement voulu être capable de faire pareil. J’aurais voulu que remplir mes journées avec des discussions plus ou moins intéressantes, un boulot plus ou moins utile et des aventures plus ou moins excitantes soit suffisant. Mais j’avais l’impression d’être perdue par tant d’agitation autour de moi et en moi. Il fallait faire le point, prendre le temps de me retrouver seule face à ces pensées qui me torturaient, ces voix, que je n’avais pas encore pris le temps de dompter.
Je ne savais pas comment j’en étais arrivée là
J’étais consternée par l’image qu’avaient mes amis de moi, là où ils voyaient quelqu’un d’indépendante et de déterminée, moi, je ne ressentais que cette sensation désagréable d’être fragile et insignifiante et ça me submergeait à la première occasion.
J’avais l’impression d’être une maison brinquebalante construite sur pilotis et que la marée ne cessait de faire chavirer. Mes fondations s’effritaient, je me noyais.
Depuis quelque temps, j’avais réalisé que je ne m’étais jamais vraiment retrouvée seule et obligée de ne compter que sur moi-même pour me tirer de situations délicates, qu’elles soient réelles ou simplement émotionnelles. J’avais toujours eu ma famille pour me soutenir, j’avais toujours eu beaucoup d’amis sur qui compter, j’avais surtout toujours été en couple. Aussi loin que je pouvais me le rappeler, j’avais usé de subterfuges élaborés, et ce, depuis ma plus tendre enfance, pour m’assurer d’être réconfortée, épaulée, aidée à n’importe quelle heure de la journée et dans toutes les situations que vous pouvez imaginer. Sourire charmeur, voix mièvre, yeux implorants, c’était si simple et ça fonctionnait la plupart du temps. Inconsciemment, j’avais fait de ces mécanismes des automatismes.
Ces derniers mois, j’avais commencé à réaliser à quel point je me sentais dépendante des autres, surtout sur le plan affectif. J’étais angoissée dans le bus, j’appelais ma mère, j’avais une facture à payer, j’appelais mon père, je me demandais comment être heureuse, j’appelais ma cousine, j’avais peur de ne pas être drôle, j’appelais mes amies, je n’étais plus très sûre de plaire, je guettais les regards dans la rue et le métro, j’étais inquiète face à l’incertitude de l’existence et qu’est-ce que je vais faire de ma vie et il n’y a rien que je redoute plus que de la rater, j’appelais mon mari. J’appelais mon mari souvent, je l’appelais tout le temps.
Un jour, je me mis à m’inquiéter, que ferais-je sans lui ? Que faire si je me retrouvais seule ?
Je me sentais démunie, je manquais de ressources pour affronter les hauts et les bas, j’avais constamment besoin d’être supportée par les autres pour relativiser, pour gérer mes peurs, pour faire taire mes angoisses.
Je faisais tout pour éviter cette situation inconfortable de me retrouver seule face à mes émotions dérangeantes engendrées par des pensées du type : personne ne t’aime, personne ne pense à toi en ce moment, tu es la pire des individus peuplant cette Terre et en plus, ton humour est catastrophique, c’est normal que personne ne t’écrive et ne veuille être avec toi, tout le monde se porte bien mieux sans toi, etc… La voix ne me laissait aucun répit et ne cessait de me répéter que je finirais seule.
Ne croyez pas que je dramatise.
On me dit souvent que j’ai cette fâcheuse tendance à noircir le tableau, sachez que si je pouvais éviter de me mettre moi-même dans cette détresse nerveuse, c’est bien ce que je m’empresserais de faire. Et d’ailleurs, c’est ce que je voulais réussir à accomplir.
J’étais convaincue que je pouvais trouver le moyen de devenir plus autonome émotionnellement, même si je ne savais pas comment ni ce que ça voulait dire exactement.
Je me disais que je devais être plus forte. Je me disais que je ne devais pas être aussi impressionnable, que je devais… Être sûre de moi. Je voulais croire que je pouvais changer, j’avais la foi : je pouvais m’améliorer. Je devais impérativement retrouver une profonde confiance en moi, une certaine stabilité.
Je n’avais pas le choix : je ne voulais pas continuer à être la fille dont le bien-être dépend des autres. Cette fille qui a besoin d’être prise en charge, qui cherche la compagnie pour se sentir en sécurité, pour se sentir protégée et qui le considère comme un dû.
Cette fille qui dépend d’un regard, d’une caresse, d’un SMS.
Cette fille fatiguée, agitée, tourmentée.
Je voulais devenir une fille simple, sans attentes, détachée, satisfaite des imprévus du quotidien.
Affronter la peur de la solitude en partant seule, j’étais excitée et terrorisée
Ma décision était prise, je n’avais pas grand-chose à perdre, je pouvais changer d’avis à tout moment, je pouvais même décider de carrément abandonner mon projet en cours de route si quelque chose tournait mal. C’était décidé, j’allais partir seule pendant un mois, et advienne que pourra.
Le choix de la destination ne faisait aucun doute : j’allais partir fouler les plaines de Cornouailles. Je voulais marcher pendant des heures jusqu’à perdre la notion du temps le long du célèbre chemin côtier, The South West Coast Path, dont rien que le nom était prometteur d’aventures anglaises folkloriques et enchanteresses.
Je voulais sentir le vent chargé d’un lourd parfum minéral fouetter mon visage et agiter violemment mes cheveux qui se mélangeraient devant mes yeux et je n’y verrais plus rien, je serais prise dans un tourbillon de nature brute, enveloppante et aussi un peu effrayante, je serais seule, seule au bout du monde, je n’entendrais plus rien que le bruit de la mer qui crépite inlassablement, son vrombissement latent, son immensité réconfortante, et je me sentirais bien, enfin.
Je voulais partir en Cornouailles très précisément. Quelques années auparavant, j’avais rencontré un homme d’une cinquantaine d’années dans une brasserie bruxelloise, de celles qui vous servent de la mayonnaise maison et vous savez que vous êtes au bon endroit, il m’avait raconté la plus merveilleuse histoire, celle de son père et de sa mère, qui s’étaient rencontrés dans les rues de cette ville pendant la guerre. Lui, un soldat anglais de Cornouailles, elle, la fille d’un ministre belge. Il avait sonné à toutes les portes pour la retrouver après l’avoir aperçue au croisement d’une rue et que leurs regards se soient croisés. Au bout de plusieurs jours de recherches acharnées, il se donna une seule et dernière chance avant de baisser les bras, il se présenta devant une ultime porte, dégoulinant de sueur, ou était-ce des larmes ?, démuni devant toute l’absurdité qui dévastait le monde et révolté par cette guerre qui ne lui offrait rien de plus que l’espoir de revoir une fille inconnue dont le regard avait tout réparé en lui en une fraction de seconde. Il voulut renoncer, d’abord, puis une force intérieure, ou était-ce une voix ?, le poussa à frapper à grands coups contre cette porte défraîchie qui s’ouvrit…sur elle. De ce hasard, ou était-ce le destin ?, naquit leur union qui dura toute la vie.
Et cette histoire m’avait émue aux larmes parce je crois à la magie et à l’intuition et à la foi qui te donnent toute la force et l’énergie nécessaire à courir aveuglément et longtemps et à enfoncer toutes les portes d’une capitale jusqu’à retrouver celui ou celle qu’on aime.
C’est pourquoi je voulais me convaincre que cette histoire ne m’avait pas été offerte par hasard et qu’il s’agissait du point de départ d’une chasse au trésor, du premier indice qui mène à une grande découverte, à un enseignement nécessaire, ardu, transformateur. Je voulais entreprendre ce voyage et découvrir ce que la vie m’avait réservé comme surprises sur les routes sinueuses de cette contrée celtique que je parcourrais à pied ou en train.
Je voulais découvrir ce mystère et je partirais à sa recherche dans les vieux pubs de villages de pêcheurs et dans les plaines fouettées par la houle marine et décorées de buissons endurcis par le sel qui se déposait sur leurs branches jour après jour depuis la nuit des temps.
Je voulais être juste là et contempler les vagues qui se déchaînent contre l’impassibilité apparente du continent et attendre, attendre que dans un murmure, le secret me soit révélé.
C’était le bon moment.
Alors je quittais Paris, je dis au revoir à mes amis, à certains autres, je dis même adieu.
Je me demandais si ce n’était pas aussi un peu à ça que servent les voyages, faire le tri, n’emporter que le nécessaire. Je partis, je pris la fuite, je me jetais dans le vide, je pénétrais dans une dimension inconnue qui se créait parce que je sortais des sentiers battus. J’espérais cette nouvelle réalité plus clémente, plus douce. J’avais confiance, j’étais un peu blessée, pas très stable, mon cœur venait d’être éprouvé, mais je gardais espoir, j’étais convaincue que de nouvelles aventures allaient effacer les anciennes, qui avaient été pour certaines des succès, pour d’autres des erreurs, pour d’autres encore, des échecs.
Je me disais que pour chaque amitié qui s’était brisée, chaque amour qui m’avait brisée, une nouvelle amitié naîtrait, un autre amour me réparerait.
Alors je laissais tout derrière moi, déterminée à partir pour laisser certaines pages se tourner. Décidée à changer.
Je voulais voir ma peur en face. Je voulais affronter la voix qui me poursuivait sans relâche dans mon quotidien. Alors je n’avais pas le choix, je devais me retrouver seule, seule avec ces chuchotements incessants qui me torturaient du soir au matin, mais que j’étais déterminée à dompter.
Personne ne pouvait le faire à ma place, il n’y avait aucun chemin de secours, aucun détour possible.
Je voulais n’avoir personne sur qui compter, personne à qui parler. Je ne voulais avoir aucun moyen de m’échapper, rien d’autre à faire qu’à écouter, observer et être mon propre guide.
Je voulais aussi être en danger et être la seule et unique personne à pouvoir me sauver.
Quelque chose en moi me disait que j’en étais capable.
Le 1er août, j’embarquais sur l’Eurostar de 7h30. A mes côtés, la peur, à mes côtés, l’espoir.
à suivre…
“On ne peut voir la lumière sans l’ombre, on ne peut percevoir le silence sans le bruit, on ne peut atteindre la sagesse sans la folie”
- Carl Gustav Jung