Stoïcisme et pandémie, ou comment une philosophie de vie de la Grèce antique résonne avec la vie au temps de la Covid-19

Christian Roy
7 min readMar 29, 2020

En début d’année (il y a quelques mois, mais ça paraît tellement lointain), j’ai décidé de prendre le temps de lire sur la pensée stoïcienne. Quelques rencontres anecdotiques, sur le web, avec cette école de philosophie m’avaient convaincu qu’il y avait plus là que ce qu’on associe typiquement avec l’adjectif stoïque, tel qu’on l’utilise aujourd’hui. Quelques recherches m’ont amené à choisir A Guide to the Good Life : the Ancient Art of Stoic Joy de William B. Irvine pour approfondir le thème.

Ce fut une lecture fort intéressante. Pas parce qu’elle a été une révélation, au contraire. Simplement parce qu’elle m’a permis de constater que plusieurs de mes façons de réfléchir étaient complètement compatibles avec une philosophie de la Grèce antique, qui a fait du chemin jusqu’à la fin de l’Empire romain.

Malgré tout, la lecture était tellement intéressante que j’aurais voulu prendre le temps de consigner quelques notes par écrit sur le web… Ce que je n’ai pas fait, par manque de temps.

Toutefois, le contexte associé à la pandémie de COVID-19, et les conseils donnés par plusieurs experts pour mieux vivre le confinement, m’ont ramené cette lecture à l’esprit. Les liens à faire entre le stoïcisme et la situation actuelle sont nombreux. J’utilise le prétexte pour finalement consigner mes quelques notes par écrit.

Avant de commencer, quelques définitions….

On associe beaucoup stoïcisme et austérité, indifférence, ou capacité à accepter le malheur sans broncher. C’est ce qui a percolé au fil des siècles ; l’école philosophique est devenue un simple adjectif. C’est aussi le cas d’autres écoles. On qualifie aujourd’hui les uns et les autres d’hédonistes, d’épicuriens ou de cyniques sans se demander ce que ça signifiait à l’origine.

Cependant, le stoïcisme, comme philosophie de vie, visait l’atteinte de la tranquillité et de la vertu par l’utilisation de techniques visant à minimiser les émotions négatives (colères, envie, anxiété…) et maximiser les émotions positives. C’était une école (au sens littéral, avec des maîtres et des élèves) fondée dans la société grecque antique, et qui a aussi eu une influence certaine dans l’Empire romain.

Des précisions sur les termes « tranquillité » et « vertu » s’imposent également.

Pour les stoïciens, la tranquillité, c’est l’objectif : un état où on ne ressent aucune émotion négative. On peut probablement l’associer au bonheur.

La vertu n’est pas liée à la moralité. La vertu, c’est accomplir ce pour quoi on est fait. La vertu stoïcienne se rapproche à la fois de l’idée du devoir, et de celle qui dit que chacun doit contribuer à la société selon ses talents et ses capacités.

Si on ne tient pas compte des quelques liens faits entre la philosophie et le rôle des dieux de l’Olympe ou du Panthéon, tout ça s’applique encore aujourd’hui. Et encore plus à l’ère de la distanciation sociale et de ses désagréments, quand certains trouvent que c’est trop tranquille (au sens de monotone) et qu’on cherche la tranquillité (celle des stoïciens).

Marc Aurèle, empereur romain et un des plus célèbres stoïciens (crédit photo: Marcus Aurelis — Louvre, de Bradley Weber, sous licence CC 2.0)

Visualisation négative (ou quand on se compare, on se console !)

Les maîtres à penser stoïciens recommandaient la pratique quotidienne de la visualisation négative. Ça a l’air dark, mais en fait c’est très simple, voire très sain. Ça consiste à prendre le temps de réaliser que malgré nos problèmes, ça pourrait aller encore moins bien.

Les anciens stoïciens suggéraient de faire l’exercice sur soi-même. Devant un revers financier, se rappeler qu’on aurait pu tout perdre et se retrouver en situation de mendiance. Devant un problème de santé mineur, se rappeler qu’on aurait pu chopper quelque chose de plus grave et perdre la vue. Devant une chicane avec ses enfants, se rappeler qu’ils auraient pu être emportés par une maladie infantile.

L’objectif de cette technique, en plus d’aider à faire des scénarios et être mieux préparé « au cas où » ça arriverait réellement, c’est de relativiser les problèmes et augmenter son sentiment de gratitude. Ça aide à éviter les réactions exagérées devant des frustrations banales. En plein ce dont on a besoin en confinement à la maison, quand le stress peut provoquer des réactions exagérées inutilement.

C’est d’ailleurs un des messages qu’a donnés la psychologue Dre Pascale Grillon à Tout le monde en parle le 22 mars 2020. Elle suggérait, pour baisser le niveau de stress, de se rappeler que le niveau de contagion ou de mortalité de la COVID pourraient être plus élevés, qu’on pourrait vivre à des endroits qui ne disposent pas de notre niveau de système de santé, etc.

Se rappeler qu’on ne contrôle par ce qui se passe, mais on contrôle comment on réagit

Un autre pilier du stoïcisme, c’est de savoir distinguer ce qu’on contrôle de ce qu’on ne contrôle pas (et la zone grise entre les deux). Le stoïcien ne se met jamais en colère ou ne s’inquiète pas des choses qu’il ne contrôle pas. Il sait que les seules choses qu’il contrôle vraiment sont les objectifs qu’il se fixe et son attitude face aux événements externes. C’est dans la zone grise entre les deux que les inconforts existent.

En contexte de pandémie, on ne contrôle pas, par exemple, la façon dont le virus se propage. Inutile d’être anxieux ou fâché sur ce sujet. On contrôle beaucoup mieux par contre les mesures qu’on peut prendre individuellement, comme se laver les mains ou rester à la maison. Le stoïcisme nous dit de nous concentrer là-dessus.

Et dans l’inconfortable zone entre les deux ? Mettons-nous dans la peau d’un directeur de la santé publique amateur de pasteis de data… Il a plus de contrôle théorique que la plupart d’entre nous, en donnant des directives. Mais au final, il ne peut pas, à lui seul, nous protéger de la pandémie et sauver toutes les vies. Il y a trop d’éléments hors de son contrôle. Qu’est-ce que le stoïcisme lui suggérerait pour rester tranquille ? Probablement de ne pas fixer ses objectifs et ses attentes sur le nombre de cas ou le nombre de décès. Mais de les fixer sur des choses qu’il maîtrise : faire de son mieux, utiliser tous les moyens à sa disposition, ne pas ménager ses efforts.

D’ailleurs, l’équipe d’aide psychosociale du collège Ahuntsic illustre superbement bien l’idée de comprendre nos zones de contrôle. Et Marie-Anne Bougie, psychothérapeute, le dit à sa façon dans la dernière infolettre de La flèche : « Un autre aspect sur lequel on a du pouvoir, c’est notre attitude face à la situation. »

La logique et le service public

Une des composantes importantes de l’école du stoïcisme était l’étude de la logique, et de certaines sciences (en particulier la physique). Les stoïciens étaient convaincus que ce qui différenciait l’humain des animaux était sa capacité à raisonner. En complément avec la notion de vertu, il leur apparaissait donc essentiel d’exploiter cette capacité, et de le faire au service de leurs concitoyens.

Par conséquent, même s’ils étaient peu enclins à chercher la reconnaissance, la puissance ou la gloire, les stoïciens se retrouvaient souvent dans un rôle de service public, ou de politique. Ils le faisaient lorsqu’ils avaient la conviction qu’ils étaient les mieux placés pour le faire. C’était le résultat d’un raisonnement logique et de leur attachement à la vertu : aider ses prochains en mettant à profit, du mieux qu’ils le pouvaient, leurs capacités.

Difficile de ne pas faire un clin d’oeil à Anthony Fauci, qui représente la voix de la logique et de la science auprès du président Trump, et qui clairement reste là plus par sens du devoir que par affinité avec le POTUS.

Quelques autres notes en vrac

Sur l’argent. Les stoïciens croient que la meilleure façon de gérer notre tendance naturelle à toujours vouloir accumuler plus de biens est de se convaincre de désirer ce que nous avons déjà. La visualisation négative, déjà évoquée, est un bon moyen pour ça. S’imaginer ne pas avoir de vélo du tout est une façon intéressante de se convaincre que celui qu’on a convient, et qu’il n’est pas nécessaire d’en acheter un nouveau (quoique l’exemple du vélo est boiteux : on a toujours besoin d’un meilleur vélo ! 😉🚵).

Sur l’argent (encore). Ils disent également qu’il n’y a rien de mal à jouir de sa richesse et de biens matériels… tant qu’on ne s’y attache pas trop, et qu’on puisse continuer d’être heureux (tranquille !) même lorsqu’on perd tout. Un test pour voir si vous avez cette capacité : regardez votre REER en temps de pandémie.

Sur l’attitude des gens. Difficile de ne pas retenir ce conseil de Marc Aurèle, empereur romain : « Débutez la journée en vous rappelant ceci : Aujourd’hui je vais rencontrer […] de l’ingratitude, de l’insolence, […] de la mauvaise foi et de l’égoïsme — qui seront tous causés par l’ignorance, de la part de la personne impliquée, de ce qui est bien ou mal. » Si ce n’était pas prémonitoire de l’attitude à avoir avec les jeunes ou les vieux qui ne respectent pas les consignes de confinement, c’est quoi ?

En conclusion…

Pour conclure, trois commentaires et mises en garde.

Premièrement, j’ai écrit tout ça sur la base de la lecture d’un bouquin et d’une poignée d’articles lus sur le web. Ça ne fait pas de moi un expert du stoïcisme, et j’ai probablement commis des erreurs et des omissions.

Deuxièmement, j’ai mes biais (on en a tous) et j’ai probablement vu des choses dans le stoïcisme que je voulais bien voir dans le contexte actuel. Les liens que je présente ici vous apparaîtront peut-être un peu tirés par les cheveux. Pas grave. J’ai eu du plaisir à les analyser.

Finalement, même si j’ai eu beaucoup de plaisir à lire sur le stoïcisme (et à écrire ce texte), je ne me définis pas comme stoïcien. Comme je le disais d’entrée de jeu, il y a plusieurs idées du stoïcisme qui collent à ma façon de voir le monde. C’est tout.

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