Construire une entreprise de pleine conscience.

Christian JORGE
9 min readOct 24, 2019

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En Bref : A l’aube d’un nouveau projet entrepreneurial, je partage ici le cheminement qui m’a conduit à le formuler comme une entreprise “éveillée”…
Update avril 2020 : c’est parti, ça s’appelle Omie & Cie.

Depuis Vestiaire Collective, il y a bientôt deux ans, j’ai cofondé Arianee, investi dans quelques sociétés, mentoré différentes structures (start-up, ESS associations), j’ai aussi accompagné et conseillé des entrepreneurs, siégé à des conseils d’administration… et, parce que cela participe à la prise de recul, j’en ai également profité pour prendre du temps pour moi et en partager avec ceux qui me sont chers.

Durant cette parenthèse, en quête de ma prochaine aventure entrepreneuriale, j’ai pris le temps de faire mûrir un projet en me nourrissant de nombreux échanges, partages d’expériences et conseils glanés au fil de conversations privilégiés* avec de nombreuses personnes inspirantes que j’ai eu le plaisir de croiser. Il faut dire que je poursuivais l’ambition de me lancer dans une nouvelle industrie : créer à grande échelle une offre alimentaire bonne, juste et saine en alternative aux grands groupes industriels de l’alimentaire.

Alpes italiennes, la Corse, la Sardaigne. Les images de la terre favoriseraient “l’Overview effect” propice à la prise de recul.

Quand on cherche une idée d’entreprise on est souvent concentré et interrogé sur l’idée elle-même le “Quoi”: cette application de folie qui va tout révolutionner ! Et bien c’est une erreur ! Le bonne question c’est “Pourquoi”, puis “Comment” et enfin “Quoi”. Dans cet ordre, et tout le monde le sait :)
(…Et si vous ne savez pas : Simon Sinek va vous l’expliquer.)

Il s’agit alors d’exprimer le sens existentiel d’un projet cohérent avec le porteur et l’inclure dans un cadre d’application propice à l’épanouissement de l’idée.

I — A la recherche du sens (“pourquoi”)

Donc l’objectif serait de trouver le sujet qui nous fait vibrer, celui auquel — si on a le choix — on a envie de se consacrer pleinement. Le sujet juste.

L’alimentation : bienvenue au pays des merveilles

Souvent on commence par chercher un secteur qui nous touche, dans mon cas j’ai toujours été séduit par l’alimentation en général. Au fil de mes lectures je tombe sur le livre de Christophe Brusset “Mais vous êtes fous d’avaler ça”. Edifiant !

Schématisons : pour satisfaire l’insatiable demande de prix bas de la grande distribution, les fabricants tirent la qualité vers le bas. Exemple: Le panier de fruits 0% de Yoplait contient de la gélatine de boeuf afin que l’eau qui le compose (qui ne coûte presque rien) ait une consistance de yaourt… et cela n’est pas clairement indiqué sur les emballages (sinon nous n’acheterions pas) et c’est légal ! Et je ne vous parle même pas de la viande de cheval vendue pour du boeuf, des épices mélangées aux excréments de rongeurs, des fabricants de soupes qui récupèrent les légumes dont personne ne veut, etc. Criminel !

Vous voulez vous éveiller sur le sujet (ou vous faire peur) : https://www.foodwatch.org/fr/

Il faut secouer tout ça ! On doit pouvoir faire beaucoup mieux !
=> Potentiel de disruption

Mon postulat est le suivant : si les consommateurs peuvent être informés alors ils choisiront massivement les alternatives, si alternative il y a. Le formidable succès de Yuka (12 millions de téléchargements et un impact réel sur l’industrie) démontre que nous sommes désormais attentifs et capables de modifier nos habitudes !

Il faut créer une marque qui incarne cette alternative saine et transparente.
=> Formulation de la disruption

Les impacts sociétaux et environnementaux

La qualité n’est, bien entendu, pas le seul enjeu intéressant dans cet univers. Toujours pour servir cette logique de prix bas : les prix payés aux cultivateurs ou éleveurs doivent être les plus faibles possibles, souvent en dessous du prix de revient… les salaires de tous ceux qui fabriquent, acheminent, mettent en rayons, passent vos articles à la caisse… doivent être au plus bas également.

Comme chacun sait, les négociations des centrales d’achats sont écrasantes, humiliantes… Alors comment voulez-vous intégrer en plus de l’écologie ou de l’environnement ici, il n’y a pas “d’espace”. Eventuellement par la contrainte législative ou de l’incitation fiscale…

C’est qui le patron ! L’incarnation de la juste rémunération du 1er maillon.

De nouveau, avec des explications et une proposition alternative, les habitudes changent : C’est qui le patron incarne une partie de ce changement et met en rayon une offre qui vous garantit que le producteur gagne dignement sa vie — on ne parle pas d’acheter une voiture de sport allemande, mais bien de pouvoir vivre de son activité et prendre quelques jours de vacances par an — . Et devinez quoi !? C’est un carton ! La marque n’existait pas vraiment il y à 2 ans et à vendu aujourd’hui plus d’une centaine de millions d’articles sans être passée par la case achat des distributeurs ! Merci Patron !

La puissance du consommateur, ou pour citer Nicolas Chabanne (cofondateur de C’est qui le patron) “ la carte bleue est le meilleur bulletin de vote”.

Bilan : Un secteur qui marche sur la tête, qui pèse des centaines de milliards rien qu’en France, dont le client semble être désireux de changements et perd confiance dans les marques historiques…
Voici qui ressemble à un terrain de jeu idéal.

Greenpeace, Extinction Rebellion et bien d’autres mouvements, n’ont plus besoin de convaincre pour mobiliser massivement et rapidement.

II — Les fondations d’un business vertueux

J’ai donc multiplié les rencontres d’experts de cet écosystème (acheteurs, marques, fabricants, entrepreneurs, analystes, fonds d’investissements…) afin de ressentir s’il était possible de monter un business disruptif — vraiment impactant — en réussissant à concevoir une approche porteuse de sens et de valeurs. Je n’ai rencontré que des encouragements… et, chemin faisant, j’ai formulé la raison d’être de mon projet comme ceci :

Permettre à tous de consommer des produits sains, bons et justes dans le respect de la planète et dans le respect des femmes et hommes qui participent à leur conception.

Pour servir cette mission, je me suis forgé la profonde conviction que la manière de structurer et de conduire l’entreprise elle-même, devait être porteuse de cette alternative que je voulais apporter au marché de l’alimentation. Le projet sera donc porté par une SAS qui sera labellisée B.Corp. Elle poursuivra l’objectif d’avoir un impact positif et équilibré sur les 3 plans majeurs que sont : son profit, le respect de la planète et le respect des humains.

Merveille du calendrier : à l’été 2019 la France réformait son droit commercial en incluant le concept de Société à Mission, ceci permettant aux sociétés d’inclure une raison d’être et une mission leurs actes constitutifs, rendant ainsi opposables des décisions non compatibles. Le législateur engage dans ce cadre dirigeants et actionnaires à prendre en compte les externalités sociétales et environnementales dans leur gestion stratégique.

Une société peut désormais s’imposer de conduire son activité — en quête de profitabilité — de manière nécessairement éveillée et responsable.

III — Le vrai “Pourquoi” : Mindfulness Business

Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une manière de réinventer ou de révolutionner quoique ce soit. Il s’agit plus certainement d’un simple rééquilibrage de bon sens, maintenant que nous réalisons que, nous humains, sommes parties prenantes — quand nous avons le choix — de l’impact des entreprises à qui nous achetons biens et services.

Certainement l’un des effets positifs (il y en a) de l’ère de pleine puissance des réseaux sociaux dans laquelle nous sommes.

Cette prise de conscience visant à inclure éthique et responsabilité dans l’activité économique, se retrouve souvent labelisée “forGood” ou “Impact”. Selon moi il s’agit d’une salutaire vague de prise de conscience. On ne peut plus continuer à faire comme si de rien n’était et acheter des tee-shirts à 5€ chez H&M fabriqués dans des conditions que nous n’accepterions pour aucun de nos proches, avec un impact environnemental affligeant… Criminel même ! Il ne s’agit pas de blâmer le consommateur, mais de mettre en lumière et de fournir une alternative. Et voici de bons exemples alternatifs, chacun dans leur genre, dans le textile et en France : Loom, Le Slip Français, Asphalte.
Un peu plus loin et beaucoup plus matures, Ben & Jerry et Patagonia sont des B.Corp démontrant que l’on peut parfaitement conjuguer profitabilité, respect de l’homme et de la planète.

Les entreprises qui feront leur travail en pleine conscience et rendront compte de manière transparente auront la faveur du plus grand nombre.

IV — Le “ comment” mettre cela en place

Bon alors c’est quoi ce projet food :) ?

Tout entrepreneur, bon ou mauvais est rôdé à “pitcher” (décrire avec synthèse) sa boite en 30 secondes, avec des variantes investisseurs, clients, fournisseurs… Mais il s’agit en général du “Quoi” à ce stade. Pour respecter la logique exposée plus haut, voici plutôt le “Comment” à titre de fondamentaux que j’aimerais proposer comme vision et socle de réflexion aux différentes futures parties prenantes du projet. Le tout illustré d’une partie du Quoi, pour rendre le projet compréhensible :

  • Il s’agira d’une marque BtoC forte, permettant de porter clairement des valeurs alternatives aux géants de la distribution et de l’alimentaire actuels.
  • Elle prônera un art de vivre simple, non consumériste et sera respectable et respectueuse.
  • Nous créerons des produits simples, sains, justes et bons. Pas ou peu cuisinés. (NB : Uniquement des articles non-frais pour commencer sans avoir à utiliser une chaîne logistique trop tendue.)
  • La gamme initiale sera composée des nombreux basiques dont chacun a besoin dans ses placards pour cuisiner.
  • Nous viendrons directement à domicile, livrer et réassortir régulièrement, les articles consommés. De manière à vous laisser le temps d’aller faire votre marché de produits frais, et de réduire la nécessité d’aller au supermarché pour acheter le reste.
  • Nous visons à produire des articles pour le plus grand nombre, donc avec un positionnement prix accessible et juste ceci permettra à chaque acteur de la production de vivre dignement de son travail. Pour ce faire nous fabriquerons en circuit court.
  • Chaque produit devra être fabriqué avec conscience et dans le plus grand respect des femmes, des hommes, des animaux et de la planète.
  • Nous partagerons nos questionnements, positionnements… et ouvrirons largement les discussions avec nos clients pour co-concevoir les articles et nous aider à piloter notre activité.
  • Nous ferons preuve d’une transparence radicale dans la composition des biens, de leurs attributs, des parties prenantes qui les ont fabriqués et de la redistribution de la valeur collectée.
  • Nous refuserons les pratiques et les circuits de la grande distribution. Donc nous ne serons jamais distribués par les grands groupes.
  • Nous commercialiserons avec des budgets marketing raisonnés afin de ménager l’impact du coût de la publicité sur le prix de revient des articles.
  • Nous serons engagés dans le Zéro Déchet, en améliorant sans cesse nos gammes, méthodes, packagings et services pour réduire notre impact au minimum.
  • Nous utiliserons des contenants les plus sains et les plus respectables de l'environnement possible (le verre étant la meilleure option), notamment, en mettant en place un système de consigne intégré à nos tournées de livraison.
  • Nos tournées de livraisons seront raisonnées et n’offriront pas de livraison expresse dont l’impact écologique est dramatique. Au contraire, nous travaillerons à construire des circuits réguliers, intelligents. Nous favoriserons les moyens et partenaires propres et le groupage sur des points de mise à disposition.
  • Nous étudierons les impacts écologiques de nos activités et rendrons compte.
  • Nous utiliserons une partie de nos profits pour donner de notre production à ceux qui ne peuvent pas l’acheter, en veillant à ce qu’ils puissent manger les mêmes articles que ceux qui en ont les moyens.

Enfin, afin d’offrir un contexte plus global et “éveillé” au projet, il est également intéressant de développer ces thématiques sous le prisme des Objectifs de Développement Durables tels qu’énoncés par les Nations Unies et vouer à guider les nations et les peuples pour transformer notre monde. Voici ceux dont la poursuite peuvent s’appliquer ici :

  • #2, Faim “Zéro”
  • #8, Travail décent et croissance économique
  • #9, Industrie, innovation et infrastructure
  • #10, Inégalités réduites
  • #11, Villes et communautés durables
  • #12, Consommation et production durables
  • #13, Mesures relatives à la lutte contre le réchauffement climatique
  • #15, Vie terrestre

En conclusion je projette de bousculer le statu quo dans le monde de l’alimentation en proposant une offre alternative et moderne, créée au sein d’une entreprise de pleine conscience. Elle-même étant la condition légitime de l’objectif poursuivi.

Projet formulé à partir de mutliples attentes actuelles et fortes des consommateurs. Avec le postulat qu’après tant d’années d’errement, les marques historiques auront bien du mal à regagner la légitimé et de prôner le bon, le sain et le juste.

On va manger bien, moins polluer et se faire plaisir à construire un projet vertueux dans la joie et la bonne humeur 😀 !

Update avril 2020 : c’est parti, ça s’appelle Omie & Cie, et je vous donne rendez-vous ici pour Suivre et participer⛵️

C.J.

*Merci mille fois pour ces échanges fondateurs autour de cafés, déjeuners, dîners, verres… beaucoup d’entre vous se reconnaîtront certainement dans les directions et partis pris ci-dessus. J’ai toujours été persuadé qu’à plusieurs on est plus forts.

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Christian JORGE

Entrepreneur // Co-founder & former VP Ops @ Vestiaire Collective // Business Angel // Mentor — Good Wine, StreetArt & Snowboard lover