Un trajet en enfer (ou la transition digitale ratée des cff)

Christophe Pian
4 min readMar 21, 2018

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J’ai mes doutes…

C’était jusque là un mardi matin comme un autre, je me rendais au bureau en bus. C’est alors qu’arrivent deux contrôleurs. Avec toute l’amabilité qu’on leur connait, qui leur vaut toute l’estime que nous leur portons, ils examinent les titres de transport des passagers. L’un d’eux arrive à ma hauteur, je tend machinalement mon abonnement demi-tarif et mon ticket de bus. Commence alors une conversation que nous avons sans doute tous au moins vécu une fois:

“Monsieur votre demi tarif n’est plus valable”.

“Comment ça?! Il se renouvelle chaque année tacitement et je reçois une facture par la poste.”

“Ecoutez, c’est écrit ici, il n’est plus valable depuis 5 jours”.

“Ok, je ne comprends pas, je n’ai pas reçu d’information au sujet d’une résiliation, c’est sans doute une erreur”.

“Peut-être mais vous en êtes en situation irrégulière, je vais faire un constat.”

Je vous fait grâce de la conversation détendue et civile qui s’en est suivie. Arrivé au bureau, quelque peu tendu mais bien décidé à tirer l’affaire au clair j’appelle le numéro indiqué sur mon abonnement.

”Bonjour, écoutez on vient de m’apprendre lors d’un contrôle que mon abonnement demi-tarif avait été résilié, je n’ai rien demandé et d’habitude il se renouvelle automatiquement, pourriez-vous m’expliquer ce qui se passe?”

“Nous avons essayé de vous envoyer des courriers mais nous n’avons pas eu de réponse alors l’abonnement a été annulé.”

“Pourtant je n’ai rien reçu, à quelle adresse avez-vous envoyé ces courriers?”

“A la rue xxx, à Genève”

“Ca fait plus d’une année que j’ai déménagé, voilà pourquoi je n’ai rien reçu, pourquoi ne m’avez-vous pas appelé ou envoyé d’email?”

“Monsieur, on a des centaines de cas par mois, si il fallait traiter chaque client individuellement on ne s’en sortirait pas.”

“En même temps, écrire un SMS ou envoyer un email automatique ça ne coûte pas plus cher ni ne prend plus de temps que d’envoyer des courriers. Lorsque le premier vous est parvenu en retour avec la mention “personne introuvable à cette adresse” vous avez sûrement compris que je n’habitais plus là bas, qu’est-ce qui a fait penser à votre service qu’envoyer un rappel à la même adresse allait produire un autre résultat que lors du premier envoi?

“Je transmettrai avec plaisir votre suggestion à notre service de communications monsieur.”

“… J’ai besoin de mon abonnement demi-tarif, vous pouvez me le réactiver?”

“Non, ce n’est pas possible de le faire comme ça puisqu’il a été résilié, vous devez repasser à un guichet pour signer un contrat”.

“Mais je n’ai rien résilié moi…”

“non, mais nous oui”.

“Et à travers votre application ce n’est pas possible de gérer ses abonnements? Je n’ai pas forcément le temps ni l’envie de passer par un guichet”

“non”

“…”

Je me rends donc à un guichet de gare afin de renouveller mon abonnement demi-tarif. Je fait remarquer à la personne qui s’occupe de moi qu’en 2018 c’est un peu une blague de devoir se rendre en personne quelque part pour conclure une transaction et que je ne comprends pas l’utilité d’un portail en ligne si on ne peut pas y effectuer d’achats. Elle me dit que c’est possible. Inspiration. Expiration. Je garde mon calme…

En rentrant je me rend donc sur le fameux site Swisspasss pour consulter les possibilités: aucune trace d’une fonctionnalité permettant de renouveller un abonnement. En revanche j’y trouve deux messages: le premier contenant la facture pour mon demi tarif, le second est un rappel qui me signifie que je vais être mis en poursuite si je ne paie pas au delà d’une certaine date. Pantois, je me questionne: pourquoi n’ai-je reçu aucune notification sur mon téléphone alors que j’utilise l’application des CFF hebdomadairement? Pourquoi n’ai-je reçu aucun mail alors que mon compte est lié? Pourquoi, après avoir constaté mon silence, alors que cela fait 5 ans que je paie ponctuellement des prestations auprès des CFF, personne ne s’est fendu d’un appel pour me prévenir?

J’ai deux hypothèses:

  1. Ils s’en moquent, en bonne entreprise détenue par la confédération helvétique, leur position monopolistique leur confère le luxe de ne pas avoir à se soucier d’offrir de bons services à leurs clients. D’après ma conversation avec leur help line, des centaines de personnes seraient concernées par ce genre de défaillances tous les mois. Visiblement ça ne leur coûte pas suffisamment cher pour se soucier du problème . Chacun tirera ses conclusions sur le prix des prestations…
  2. Ils ne s’en moquent pas — bien que leurs employés soient passés experts dans l’art de nous convaincre du contraire, mais comme beaucoup d’entreprises, ils n’ont pas les bons outils, méthodologies, équipes, afin de mener à bien leur digitalisation et n’ont pas considéré l’ensemble du parcours client avant de déployer des solutions.

Mon coeur balance…

Pour ajouter un peu de sel sur les plaies, aucun de mes interlocuteurs, que ce soit via le chat en ligne ou au téléphone n’est capable d’offrir de solutions, les scénarios de dialogue pré-définis tournent en boucle, on a l’impression de parler à des robots qui n’auraient pas été configurés pour ce cas de figure: une volonté des CFF de nous habituer aux prochaines étapes de leur digitalisation? Au moins on ne verra pas la différence. Quoiqu’il en soit il aura été impossible de parler à une personne pouvant proposer la moindre solution ou reconnaitre une faille dans le système. Si — chose dont je doute, l’un des responsables me lit un jour, je serais ravi de pouvoir entendre ses explications.

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Christophe Pian

Senior UX Designer @ Pictet Group | User centric innovation leader, former entrepreneur and start up coach