MOI MANGER CREPE !!!

« Les crêpes que j’ai mangé » voilà ce que l’on veut nous faire avaler… simplifier l’orthographe pour laisser plus de temps à l’acquisition de mots et enrichir le vocabulaire ! Outre le total ridicule de cette vision comptable de la culture, je vais me permettre modestement – Je ne suis ni linguiste ni diplômé en littérature ni grammairien – comme simple usager (usagé ?) de la la langue complexe et riche qui est la mienne de prendre la défense de l’accord des participes avec « avoir » tel qu’il est.

Les deux éditorialistes belges de Libération qui lundi 3 septembre pourfendaient la vieille règle – comme appartenant certainement au vieux monde obsolète dans lequel on aurait tout compliqué à plaisir – disaient en substance que « les crêpes que j’ai mangé » se justifiait par la prédominance du sujet « je » sur le complément d’objet direct « les crêpes ». En conséquence, dire « j’ai mangé des crêpes » et « les crêpes que j’ai mangées » est strictement équivalent du point de vue du sens et du style, alors pourquoi faire une différence qui fait perdre du temps qu’on emploierait mieux à apprendre des mots nouveaux !

Or, ces messieurs devraient perdre un peu de leur précieux temps à approfondir les subtilités de la langue française qui sait si bien exprimer d’infimes nuances et nourrissent la richesse de la littérature.

Dire « j’ai mangé des crêpes » met en avant l’acteur, – Je – qu’on appelle le sujet, puis son action – manger, le verbe – et enfin ce qui a été l’objet de l’action – la crêpe. Il se trouve que c’est une crêpe, on l’apprend à la fin, mais cela aurait pu être autre chose car l’important est qu’il s’agit de moi et de ce que j’ai fait. Donc le participe s’accorde tout naturellement au personnage principal – Je.

En revanche, quant on utilise la tournure « les crêpes que j’ai… etc » ce qu’on appelle exagérément « complément », la crêpe, est en fait au premier rang de la phrase, de l’action et de l’attention du lecteur. Il d’agit de crêpes qui sont mangées, cela presque accessoirement par moi – indûment nommé « sujet » mais qui n’est en fait que le complément d’information par rapport au fait principal : «les crêpes sont mangées».

Ainsi, la tournure « les crêpes que j’ai mangées » est une forme passive qui, du point de vue du sens (pas du style lourdingue de la forme passive) équivaut à « les crêpes ont été mangées par moi ».

La crêpe est mise en avant comme objet (sujet ?) principal et l’acteur peut être interchangeable (un autre mangeur).

Il est donc tout à fait naturel que le participe s’accorde avec les crêpes. On se prend donc, en y réfléchissant un peu, que c’est cette logique qui a prévalu à la naissance subtile de cette forme grammaticale.

En lisant l’article de Libération on s’aperçoit que, sans presque s’en rendre compte, en supprimant l’accord tel qu’il est aujourd’hui, on rogne un peu du trésor de nuances au nom de quoi ? De l’efficacité ?

S’il s’agit d’efficacité, que ces gens proposent carrément l’infinitif généralisé : « moi manger crêpes »

C’est une vision productiviste de la langue française et je m’étonne que ces deux Belges, si prompts à accuser les Français de brader leur langue, se livrent à ce sabotage sournois.