Le danger comme meilleur ami

Chapitre 2 : Comment Mama Moto ?

Cindy Cherchevsky
7 min readSep 6, 2017

(English version here)

Il fait nuit et il pleut des cordes. J’arrive à Cape Town après une escale à Amsterdam et quelques 15h de vol. Je suis habitée à la fois par l’impatience de commencer et la peur de l’échec. Je n’ai pas vraiment envie de rentrer à Paris bredouille, ni de me justifier auprès des gens qui m’avaient mis en garde. Et si je n’y arrivais pas ? On verra demain.

Aéroport de Cape Town

Au matin, je pars retrouver Devin chez Woodstock Moto Co, un garage participatif dans un quartier en plein essor. Devin, je l’ai rencontré lors de mon premier voyage. Il fait parti de ces gens formidables sur qui on peut toujours compter. Il est au courant de mon arrivée et m’a déjà sélectionné quelques annonces de vieilles motos trails à vendre.

Devin chez Woodstock Moto Co

Grâce à lui je trouve un XT600 Ténéré rouge et blanc de 1984. J’avais le modèle bleu à Paris alors sans hésiter, je l’achète pour une bouchée de pain. Plus personne ne veut de ces motos ici, le démarrage au kick est bien trop archaïque.

Mon XT600 Ténéré

Désormais en selle, je vagabonde en ville à la recherche de fournisseurs et d’ateliers pour produire mes prototypes. Plus facile à dire qu’à faire. Je rentre chez un tailleur dans le centre ville qui me dit qu’il n’est pas en mesure de m’aider. Il me donne des adresses d’usines qui pourront réaliser et produire mes patrons. J’aimerais réaliser des vêtements et accessoires inspirés de l’univers moto et aventure. Pour commencer, un sac à dos, un sac de voyage, un t-shirt homme et un t-shirt femme. Je veux des intemporels solides et de qualité. Des produits qui durent dans le temps, et qui soient aussi bien adaptés à une soirée parisienne qu’à un voyage à moto à l’autre bout du monde.

Je me rends dans de nombreuses usines et c’est le début d’une longue traversée du désert. Je vais de refus en refus…

«Désolé, nous ne produisons pas moins de 1000 pièces.»

J’ai besoin de quelques prototypes, pas d’un stock de multinationale…

Stock de vêtements destiné aux grandes enseignes

- « Nous fabriquons avec notre propre coton. »

- « Très bien. Où est-il produit ? Est-il bio ? »

- « Il n’est pas bio. Il vient de Chine, c’est moins cher ! »

Tout le monde me donne les mêmes réponses. Je désespère. Depuis l’ouverture du pays et les échanges commerciaux facilités, les productions locales se sont effondrées. Impossible de concurrencer le rythme asiatique et ses prix cassés.

Voilà un peu plus de quatre semaines que je suis ici, et j’ai envie d’abandonner. Je commence à me dire que c’était peut-être une mauvaise idée. C’est dur à avaler quand on est remplie de bonnes intentions. Ce n’est pourtant pas compliqué, je veux quelques produits de qualité, fabriqués localement dans le respect des gens et de l’environnement. Je me sens au bout du rouleau.

Pour me consoler, j’ai le sentiment de ne m’être jamais sentie aussi vivante. C’est un combat. Une conquête. Un marathon couru par sprints de 100m. Il ne faut rien lâcher, la route est encore longue.

Sur ma moto à Franschhoek dans la région du Cap

Un soir en rentrant, j’aperçois dans une petite rue adjacente au garage de Devin une enseigne de cuir. Pas très convaincue, j’y retourne quand même le lendemain pour des renseignements. Je rencontre alors John, un rasta d’origine camerounaise qui me fait visiter son atelier.

L’atelier de John à Woodstock

Zimbabwe, Mali, Congo, Rwanda, Mozambique, Malawi, Afrique Du Sud … toute l’Afrique se côtoie dans cet endroit. Je suis étonnée car un tel mélange reste assez singulier à Cape Town, le racisme entre communautés étant toujours présent. John me dit:

« Moi j’aime tout le monde, j’embauche tout le monde. Quelqu’un de motivé, je veux travailler avec lui, d’où il vient ça ne m’intéresse pas, je veux savoir qui il est»

John dans son atelier

Je regarde le travail de John et je comprends que cet homme a de l’or dans les mains. Je le questionne sur son parcours et découvre qu’il a fait les costumes de certaines des plus grandes séries hollywoodiennes tournées en Afrique Du Sud, comme Black Sails par exemple. Son atelier ne paye pas de mine mais c’est un grand professionnel, un artisan hors pair.

Nous trouvons un accord : c’est John qui fera mes prototypes, avec le cuir et le tissu de mon choix. Si je suis contente du résultat, il aura la charge de la production.

Voulant faire broder mes logos, John m’envoie dans un atelier tenu uniquement par des femmes un peu à l’extérieur de la ville. A ma grande surprise, je découvre en arrivant que ce petit groupe de femmes est en train de broder les maillots de l’équipe nationale de rugby, les Springboks ! Ces joueurs sont de véritables héros dans le pays, je prends ça comme un gage de qualité. Je m’approche et suis stupéfaite par la finesse des détails, par le travail d’orfèvre. Je leur confie sur le champs mes logos, ils sont entre de bonnes mains.

Adele en plein travail sur mes logos brodés

La semaine suivante, je vais chercher mes broderies. J’arrive en avance et, pour passer le temps, je me promène dans les allées de ces entrepôts. À travers la porte d’un d’entres eux, j’aperçois un homme, la cinquantaine, le ventre rebondi et le crâne chauve, qui fait des pirouettes. Il danse au milieu de dizaines de couturières à la tâche. Il me voit et je me sens un peu gênée. Il me fonce dessus et me demande ce que je fais là, mais contrairement à ce que je pensais, il le fait avec le sourire.

Lance dans son atelier

Cet homme c’est Lance, un danseur de salon reconverti en entrepreneur textile. Il a grandit à Mitchell’s Plain, le plus pauvre et dangereux township de Cape Town. Pour remercier la vie de l’avoir sortie de ce pétrin, il emploie uniquement des femmes venant des bidonvilles. Il les considère comme sa propre famille et fait tout pour qu’elles deviennent à leur tour indépendantes. Apprenant cela, je le pousse à bien vouloir s’occuper de ma collection textile. Il accepte, charmé par mon désir de mettre l’humain au centre de cette production.

Le Township de Mitchell’s Plain

Ensemble nous produirons des vêtements à partir d’un mélange de chanvre et de coton, matière entièrement bio sourcée et transformée dans la région du Cap. Je suis tombé amoureuse de ce tissu pour ces propriétés incroyables : anti-bactéries, ultra-résistant, biodégradable, respirant et isolant … et tout ça en étant acteur positif du développement durable.

Les propriétés du chanvre

Je ne suis pas encore sortie d’affaire mais, à force d’acharnement, je suis enfin en route. Entreprendre seule n’est pas simple, mais je pense que l’on devrait tous essayer, au moins une fois dans sa vie. Je tente de le faire dans un pays qui n’est pas le mien, avec des gens que je ne connais pas, et dans une langue que je ne maîtrise pas. Je me demande parfois ce que je fais là, jusqu’au moment où je me retrouve dans un atelier parmi ses femmes qui ont tant de mérite…

Les couturières de l’atelier de broderie

Je suis terrorisée et heureuse à la fois. Les plus belles choses dans la vie n’arrivent pas par hasard, il ne faut pas les forcer, il faut aller les chercher. Malgré mes doutes, mon instinct me dit que je suis dans la bonne direction.

Sur mon ténéré à Camps Bay

Dans ces moments là il n’y a qu’une chose à faire, retrouver ma moto. A son guidon, je suis apaisée, je retrouve mes forces, je suis une femme libre.

Merci à vous de tout mon ❤️ de partager cet article ! Donnez moi vos feedbacks et likez la page Facebook de Mama Moto, le chapitre 3 sera publié très bientôt. Je parlerai du lancement de la marque Mama Moto et de la suite de mes aventures 🏍💨

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Cindy Cherchevsky

From Paris. Founder of Mama Moto. Traveler, adventurer, entrepreneur. Living in Cape Town 🇿🇦