Capitalisme, socialisme et démocratie sur le disque monde

Marie la rêveuse éveillée
15 min readAug 3, 2023

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Un article qui constituera en grande partie une retranscription de celui de Kevin Guilfoy, dans l’excellent recueil Philosophy&Terry Pratchett (même si je me réserve le droit de faire quelques ajouts ici et là)

Les lecteurs les plus fidèles de Sir Pterry ont finit par le comprendre, quand il nous transporte dans un univers de fantaisie, c’est avant tout pour nous parler du nôtre, nous le faire contempler à travers un miroir déformant qui mettra d’autant mieux en valeur ce que nous sommes incapable de percevoir, faute de recul.

Il y a également une dimension politique extrêmement forte dans les œuvres de Pratchett, et si cet esprit tortueux, tout en nuances et humanité malicieuse, ne peut pas se laisser comprimer dans une case étroite et rigide, il a néanmoins beaucoup de choses à nous dire.

Ces romans ne sont pas neutres, et il n’est pas exagéré de les qualifier d’engagés. Sous l’humour et l’humanité, Pratchett dissimulait une certaine quantité de colère, avait confié Neil Gaiman, une colère contre l’injustice qui couve tel un volcan sous le disque, et nous gratifie d’éruptions sous la forme d’observations tranchantes.

On attribue souvent à Pterry l’observation que l’humour doit tourner en ridicule les puissants et non les faibles, et qu’un humour qui s’acharne sur les infortunés exilés dans les marges est la marque des petites frappes sans humanité.

Si la paternité de cette observation est douteuse, on n’aurait néanmoins aucun mal à imaginer Pterry y souscrire.

Certes oui, Pterry prend un malin plaisir à tourner tout le monde en ridicule, mais on ne trouvera aucun exemple où il traite l’injustice à la légère, tout au plus l’enrobera-t-il d’un humour noir qu’on pourrait qualifier de galérien pour atténuer l’horreur.

En revanche, il ne fait preuve d’aucune retenue quand il s’agit de décocher ses piques vis à vis des puissants comme des privilégiés, ainsi que de la horde de petits lâches qui leur apportent leur soutien.

La lutte des classes est un thème récurrent chez Pterry, particulièrement dans le cycle du guet, et bon nombre de commentateurs des plus intelligents se sont imaginés Pratchett en critique acerbe du capitalisme.

Si Pratchett n’a rien d’un libertarien (quoiqueeee…), cette évaluation mérite d’être sérieusement nuancée.

Ank-Morphork, la plus grande cité du disque monde, nous est présenté comme un lieu de liberté et d’opportunité, où le marché mène la danse, le gouvernement est limité, et où l’ingéniosité comme la diversité aboutissent à ouvrir le chemin à une certaine prospérité.

Il y a même une certaine dimension de rêve américain dans cette cité, les trolls, les nains, les golems, les orcs et les gobelins s’y rendent dans l’espoir de s’y construire une nouvelle vie, voir de disposer d’une vie au sens véritable du terme pour la première fois.

Si les habitants de la ville ont une épaisse couche de préjugés, comme tout à chacun, les préjugés en question tendent bien souvent à se rétracter à l’arrière plan derrière l’intérêt personnel, un aiguillon omniprésent dans la cité, et ce dès les premiers volumes, alors même que Pterry cherchait encore sa voie et ne lui avait pas donné sa forme achevée.

C’est ce sens bien ancré de l’intérêt personnel qui servira de lubrifiant au point de les convaincre de voir et de traiter leurs semblables et surtout ceux qui ne leurs sont pas tout à fait semblables (nains, trolls, zombies, etc…) comme des personnes.

Toute personne ayant arpenté le disque n’a pas manqué d’être alpagué par Planteur je me tranche la gorge, les plus infortuné ayant du payer cette rencontre par l’ingestion d’une de ses fameuses saucisses dans un petit pain.

Planteur est un sacré filou, un petit coquin qui veut tirer son épingle du jeu, mais surtout un entrepreneur dans l’âme, l’œil vif, bien déterminé à débusquer l’opportunité de soutirer de l’argent de la poche de ses concitoyens…

Mais si l’homme d’affaire n’a pas peur de mouiller sa chemise, encore moins d’innover, ses tentatives de conquérir de nouveaux marchés se solderont systématiquement par des échecs.

Néanmoins, il demeure représentatif d’un état d’esprit qu’on verra suinter sur toute la ville à de multiples reprises, car Ankh-Morpork ne manque pas d’entrepreneurs comme d’auto-entrepreneurs, certains parviennent d’ailleurs à se hisser au sommet en partant du bas de l’échelle, comme Henri le roi de la rivière dorée, d’autre parviennent à tailler leur part de marché et défendre leur indépendance avec une fierté farouche comme le gnome P’tit Arthur le dingue.

Cependant, du brave planteur lui même jusqu’à Lipwig von Moite et Henri, la frontière entre l’entrepreneur/capitaine d’industrie et le criminel sera bien souvent des plus flou.

Le pivot central de la cité demeure le patricien Veterini, une figure clairement inspiré du fameux prince de Machiavel, auquel s’ajoute une connaissance presque parfaite des rouage de la cité comme de la psychologie de ceux qui la font tourner.

Il y a cependant une nuance qui vient complexifier ce dictateur idéal, ce dernier semble également adopter une philosophie qui aurait pu être celle d’Adam Smith comme de Friedrich Hayek.

Veterini a conscience des limites de sa connaissance, n’agit pas dans la seule poursuite de son propre intérêt comme d’une simple conservation de sa position dominante, mais le rôle qu’il s’octroie est assez souvent celui d’arbitre en dehors de la mêlée, il guide, suggère et manipule, certes, mais il impose au final rarement ses décisions, tout tyran qu’il soit.

De fait, si on voulait créer une version fantasy du concept de dictature libérale, le patricianat de Veterini en serait sans doute la meilleure approximation.

Au sein de notre monde, communisme comme libertarianisme sont des fictions en dehors du réel, comme le disque monde au final, la rivière Ankh nous est décrit comme un suintement de déchets toxiques plus proche de l’état solide que liquide, et pourtant la cité n’est pas ravagé par les pénuries d’eau potable ou les intoxications…

Il y a cette foi, dans l’œuvre de Pratchett, que l’ingéniosité et l’esprit d’initiative des individus parviendront d’une manière ou d’une autre, à résoudre tout ces problèmes.

Nous avons parlé de l’esprit commerçant d’Ankh-Morpork, et il éclate sans retenu dans son hymne nationale, où les citoyens chantent leur fierté de combattre avec leur argent plutôt que leurs armes, au point d’être les quasi propriétaires de l’équipement comme des généraux des envahisseurs potentiels…

Où commence la civilisation? Si on en juge aux tentatives de Cohen le barbare de se civiliser, avec des sous-vêtements propres et l’achat d’une pomme…

Mais si Cohen parviendra à effectuer la transaction auprès d’un marchand agathéen, le naturel reviendra bien vite au canot, poussant le brave Gengis à tabasser le commerçant avant de piller sa boutique suite à l’achat du fruit.

Si Veterini était un mélange entre Machiavel, Smith et Hayek, Cohen de son côté a une vision du monde plus proche de l’état de nature tel que dépeint par Thomas Hobbes.

Hobbes comme Smith pensaient tout deux que l’intérêt personnel formait la base des motivations humaines, mais ce même constat était interprété de manière radicalement différente par l’un et l’autre.

On tends à réduire l’état de nature hobbesien à une simple loi du plus fort, mais c’est une simplification et même un contre-sens, Hobbes, avec un cynisme et une acuité finalement très proche de celle de Pratchett, considérait au contraire son état de nature comme égalitaire.

Une égalité des plus sombres, c’était la capacité à tuer. Le plus fort ne disposait pas d’avantages en la matière sur le long terme, les plus faibles pouvant s’unir contre lui, lui tendre une embuscade, l’empoisonner, le tuer dans son sommeil… C’est précisément parce que tout le monde, sans exception, est un danger potentiel (même quelqu’un de simultanément fort et rusé demeure seul, et doit dormir à un moment ou un autre) que cette situation n’est pas tenable, même le plus fort ne peut pas imposer sa loi sur le long terme.

“Et cette égalité de capacité entrainera une égalité en terme d’espérance d’atteindre nos fins. Si deux hommes désirent la même chose, ils deviendront ennemis, et dans l’objectif de mettre la main sur l’objet de leur désir, chercheront mutuellement à se détruire.”

Vision du monde qui pourrait effectivement être celle de Gengis Cohen, mais alors qu’il est bien avancé dans le troisième âge, le barbare commence justement à rêver de stabilité, et d’asseoir sa vie sur des possessions fermes plutôt que d’en faire une succession de pillage, d’où sa tentative de coup d’état pour se mettre à la tête de l’empire agathéen.

Tout comme Hobbes, Adam Smith pensait que l’être humain était motivé par son intérêt personnel, et même son égoïsme, cependant, le père de l’économie pensait que cet égoïsme était contrebalancé par deux choses.

En premier lieu, une tendance à l’échange qui était spécifiquement humaine et n’apparaissait chez aucune autre espèce animale.

Les chiens peuvent se battre pour un os ou un bout de viande, “mais personne n’a jamais vu un chien essayer d’établir un échange équitable d’un os contre un autre avec un de ses semblables. Personne n’a contemplé d’animal, essayer de faire comprendre par ses gestes comme ses cris, que Ceci est à moi, Cela est à toi, je suis prêt à t’échanger Ceci contre Cela.”

Du point de vue de Smith, notre égoïsme se combinant à cette tendance nous poussait à essayer de parvenir à nos fins par l’échange et donc le commerce.

Tout le monde connaît plus ou moins ce passage de la Richesse des nations, ce n’est pas l’altruisme qui pousse le boulanger à essayer de proposer le meilleur pain, mais l’égoïsme, puisque son but est de vous convaincre que son pain a suffisamment de valeur pour que vous l’échangiez contre les biens et services qui l’intéresse.

Mentalité qui n’est pas celle de Cohen, mais qui adhère comme un gant à l’état d’esprit des résident d’Ankh Morpork, on l’a vu.

Cependant, la propension à l’échange n’est pas la seule divergence entre Smith et Hobbes, le principal facteur qui vient contrebalancer l’égoïsme naturel de l’être humain pour le père de l’économie, ce sera la sympathie.

“Peu importe le degré d’égoïsme que nous attribuons à l’être humain, il est évident que sa nature contient un principe qui lui fait éprouver de l’intérêt pour la bonne ou la mauvaise fortune de ses semblables, au point que le bien être d’autrui finisse par devenir une nécessité pour lui, quand bien même il n’en récolte rien d’autre que le simple plaisir de contempler autrui heureux.”

(Smih, De l’origine des sentiments moraux)

Ce principe, c’est la sympathie, qui ne doit pas pour autant se confondre avec la gentillesse ou l’altruisme.

La sympathie est le moteur des règles sociales qui ont cours dans le pensionnat de Mme Cake, dans la demeure de la voyante, les différentes formes de non-vie qui tiennent le rôle de locataires ont façonné un ensemble de règles implicites, basé sur les deux facettes de la sympathie, le sentiment de fraternité/similitude et la réponse émotionnelle qu’il suscite.

Chacun des pensionnaires peut comprendre et s’identifier avec le besoin d’intimité, de discrétion et de respect de sa vie privé qu’il peut déceler chez ses semblables dans la maison, puisqu’il éprouve ce besoin lui même.

Un être humain “normal” ne pourrait pas comprendre le besoin que ressent un loup garou d’avoir un lieu où il peut exprimer sa nature profonde sans crainte de susciter la peur ou le dégoût ou de s’exposer à une forme de rétribution…

De nos jours, nous qualifierions ce sentiment d’empathie, la capacité à nous mettre à la place d’autrui et à ressentir comme comprendre ses émotions, au point de le voir comme notre semblable, dans tout les sens du terme.

Mais ce n’est que la première facette de la sympathie pour Smith, nous pouvons non seulement ressentir les émotions d’autrui, mais si autrui exprime une réponse émotionnelle similaire à celle que nous aurions dans sa situation, nous éprouvons une affinité émotionnelle avec lui.

Il ne s’agit pas d’un altruisme pur et désincarné, puisqu’il repose sur la réciprocité, nous sympathisons avec autrui tout en ressentant le besoin qu’il sympathise en retour avec nous.

On pourrait parler, avec Girard, de désir mimétique, nous désirons le désir de l’autre.

Nous apprécions et recherchons la compagnie de personnes susceptibles de partager nos sentiments, réponses émotionnelles, et jugements.

Pour la simple et bonne raison que nous sentons confortables et à l’aise au milieu de semblables aptes à partager nos émotions et intuitions.

Il ne s’agit pas pour autant d’une nouvelle forme d’égoïsme pur et cynique, puisque nous éprouvons sincèrement un intérêt pour le bien être d’autrui, et ressentons du plaisir à le voir s’épanouir, même si cet intérêt se cantonne à ceux pour lesquelles nous éprouvons de la sympathie, en raison des affinités émotionnelles évoquées plus haut.

C’est ce principe de sympathie qui nous sortira des limites de notre égoïsme, et nous guidera au long de l’évolution de nos sociétés à travers 4 phases que Smith qualifie d’âge des chasseurs, d’âge des éleveurs, d’âge des agriculteurs et d’âge des commerçants.

Ankh Morpork, alors qu’elle fait son entrée dans le siècle de la roussette, effectue sa transition d’une société d’agriculteurs à une société de commerçants.

Que ce soit sur le disque monde ou le nôtre, il n’y a pas vraiment d’évidence que nos sociétés soient passés par les 3 premières phases évoquées par Smith, mais il s’agit néanmoins d’une théorie ou plutôt d’une fiction intéressante, qui peut nous apprendre certaines choses…

Dans ces 3 premières phases, l’économie est centré sur la production de nourriture et l’humanité divisée en petit groupes dont les membres sont interdépendants.

A ce stade de société, Smith s’imaginait que le propriétaire du territoire était désireux d’en consommer la totalité des richesses, mais se retrouvait dans l’incapacité de le faire en pratique…

“Le riche sélectionne les meilleurs fruits de la récolte pour son usage personnel et celui de ses proches, sa consommation ne sera guère supérieure en pratique à celle du pauvre, et peu importe sa rapacité ou son égoïsme, il divisera le reste de la récolte en part égale pour le reste de la communauté. Ils sont guidés par une main invisible à répartir les fruits du travail d’une manière analogue au partage qui aurait été effectué si chaque être humain s’était vu attribuer une part égale.”

La sympathie entre les riches et les pauvres ne va pas faire disparaître l’avidité, elle aboutira néanmoins à la canaliser de manière à ce que le partage se fasse d’une manière proche d’une répartition équitable des fruits de la récolte.

Il s’agit de la version idéalisée de la noblesse féodale, qu’on peut croiser sur le disque monde sous les traits du roi Vérance de Lancre, mais qui n’est jamais sorti du domaine de la fiction dans notre version de la réalité.

C’est au moment de la transition entre une société d’agriculteurs et une société de commerçants que les problèmes vont survenir.

Une société d’agriculteurs se cantonne à la production de nourriture, elle ne peut pas s’adonner à la production en masse de biens de luxe satisfaisant des besoins au delà de la simple survie, et ne dispose pas d’un secteur financier susceptible de lui fournir un capital.

Dans cette société d’agriculteur, il ne peut pas y avoir d’épargne à proprement parler, les richesses produites y sont donc consommés et distribués, et vu la petite taille de la communauté, il est plus facile pour le riche d’éprouver empathie et sympathie pour le pauvre, et de ressentir de la joie à l’idée de partager ses richesses avec lui.

Les choses changent radicalement dans une société commerciale, le capital peut désormais y être accumulé sans aucune limite au lieu de disparaître à la consommation, avec l’industrialisation, les personnes quittent les campagnes pour venir travailler en villes, migration de masse qui brise les liens de sympathies mutuelles qui assuraient l’ordre social jusque là.

Ankh Morpork nous en offre un exemple criant avec ses tensions entre nains et trolls, les tensions entre ses habitants et les immigrants de fraiche date (ou même de seconde générations dans le cas des klatchiens), tensions entre les travailleurs vivants et les golems, etc…Tout cela pointe les limites de nos réseaux de sympathie mutuelles.

Nous nous assemblons en sous-communauté au sein de la grande communauté formée par la société, notre sympathie se cantonnes aux membres de la communauté auquel nous nous identifions, et demeure sévèrement rationnée pour les étrangers qui sont en dehors de notre groupe.

Mais si Smith est conscient des problèmes qui surviennent dans des sociétés pluralistes, il demeure néanmoins optimiste vis à vis de leur capacité à les résoudre, notamment via le double aiguillon de l’intérêt personnel et de la sympathie, qui nous poussera, comme guidé par “une main invisible” à satisfaire les besoins d’autrui en cherchant à satisfaire avant tout nos propres besoins.

Notons que contrairement à une idée reçue, Smith n’a utilisé l’expression main invisible que 3 fois dans toute son œuvre, il ne s’agit pas d’un facteur explicatif pour lui mais de l’expression de son optimisme vis à vis de la capacité de l’humanité à résoudre ses problèmes.

Cependant, côte à côte avec le Smith optimiste, on trouve le Smith froidement réaliste, qui observait que les riches comme les puissants seraient prêts à tout pour la poursuite de leurs propres intérêts au détriment des autres.

Maintenant que la richesse peut être accumulée sans limites, sous forme de capital, dans les sociétés commerciales, la propension à la partager va diminuer, les riches ne se contentent plus de prendre le meilleur et de partager équitablement le reste, ils vont à présent prendre une part disproportionnée, une distribution qui générera du ressentiment.

“Pour un seul riche, on trouvera 500 indigents, et l’opulence d’une minorité suppose la misère de la majorité. L’opulence des riches provoquera l’indignation des pauvres, que le besoin comme l’envie pousseront à empiéter sur la propriété des riches pour les déposséder de leurs biens. Dans ce monde, le riche sera encerclé en permanence d’ennemis inconnus qu’il n’a pas provoqué directement en premier lieu mais qu’il ne pourra jamais apaiser. La raison d’être du gouvernement civil ne réduit à la défense des riches contre les pauvres, comme à la défense de ceux qui ont la chance de disposer d’une propriété contre ceux qui ne disposent de rien.”

Et si la main invisible de la sympathie peut nous guider à une juste répartition des biens dans une petite société, comme nous l’avons vu, dans les grandes sociétés anonymes et pluralistes nées de la division du travail, la sympathie des riches se cantonnera surtout à leur propre groupe social, excluant ceux qui vivent en dehors.

L’aristocratie d’Ank Morphork nous offrira régulièrement l’exemple écœurant de ses riches qui ont recours à la loi pour protéger leurs biens des pauvres.

Et le brave commissaire divisionnaire Vimaire ne manquera pas de remâcher cette constatation amère, le privilège se résume à une “loi privée”, qui s’applique aux uns mais pas aux autres.

Bref, il y aura des personnes que la loi protège mais n’oblige pas, face à d’autre que la loi obligera mais ne protégera guère.

Pour qu’un libre marché puisse s’établir et fonctionner, il est nécessaire de disposer de certaines règles fondamentales, la loi doit définir les droits de propriétés, établir des règles pour la finance, créer un système légal qui enregistrera et validera les transferts de propriété et réglera les différends entre individus.

Bon nombre de théories ont vu le jour pour expliquer la formation des lois comme des droits de propriété.

Sur le disque monde, la théorie qui fait consensus semble être une variante de la maxime du patricien Veterini Qui Ego Sic dico, les riches comme les puissants imposent leur loi pour la simple et bonne raison qu’ils ont dit que ce serait comme ça et pas autrement.

Le système des guildes va régulièrement limiter l’innovation comme la concurrence (la lutte de la guilde des graveurs contre l’imprimerie dans La vérité, le système de protection quasi mafieux de la guide des musiciens dans Accros du rocs pour ne citer que deux exemples), le système bancaire sert de tirelire pour les riches, et le système légal a pratiquement été crée et façonné par un zombie âgé de trois siècles!

De part cette configuration, Henri Roi, l’entrepreneur qui a réussi à transformer une rivière de pisse en rivière d’or n’est pas admis au sein des guildes, et ne peut pas obtenir de financement via les banques, notre self-made man opère littéralement à la marge, au sens propre comme au figuré, puisque ses ateliers sont en dehors de la ville et son activité s’est érigé en dehors du système.

Les aristocrates d’Ank Morphork ont acquis leur propriété comme leurs positions des générations plus tôt, le plus souvent par la rapine comme s’amusera à le rappeler périodiquement Vimaire comme Pratchett, et la principale fonction du système légal est de sécuriser leurs positions vis à vis des plus pauvres, y compris et surtout quand ils menacent de s’élever.

Bref, le diagnostic de Smith vis à vis de l’Etat semble approprié vis à vis de la société d’Ank Morphork, “Il ne peut pas y avoir de gouvernent sans l’instauration de la propriété, et la fonction de l’Etat est de sécuriser la richesses comme de défendre les riches contre les pauvres.”

Et c’est de cette situation, analogie à celle que Smith observait au XVIIIéme siècle, que Veterini a hérité.

L’aristocratie issue des sociétés agricoles a accumulé une quantité effroyable de richesses et créé les institutions nécessaires à sa défense, tandis que la cité est en train de basculer dans une ère commerciale, pluraliste et multiculturelle, alors que les nouveaux capitaine d’industrie, les entrepreneurs, Henri Roi et Lipwig von Moite se lancent dans un bras de fer avec les anciennes élites qui ralentissent leur ascension, tel que le Seigneur Rouille ou le Seigneur des Mots.

Quant aux liens de sympathie mutuelles, nous l’avons vu, ils sont rompus, ou plutôt, ils se compriment à des groupes qui s’isolent les uns des autres.

Nous continuions d’avoir un sens de la communauté, autour du partage de certaines valeurs, intuitions, et émotions, mais les riches ne voient plus au delà de leur propre communauté, idem pour les pauvres, les nains, les trolls, les non-vivants, etc…

Avec son génie et sa vision de grande ampleur, Pterry nous a donc comprimé plusieurs siècles d’histoires dans ses romans, les forces sociales à l’œuvre au XVIIIéme siècle côtoyant celle du XIXéme, du XXéme et même du XXIéme…

Un creuset éternellement passionnant que nous n’avons pas fini de décortiquer… Mais pour le moment, arrêtons-nous là, et prenons le temps de digérer une masse d’informations aussi croustillantes que le contenu des fameuses saucisses de Planteur.

Si ce premier article vous a plus, n’hésitez pas à faire un don à son auteure, un petit rien peut changer beaucoup, et croyez-moi, sur ce coup, je me tranche la gorge.

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Marie la rêveuse éveillée
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Written by Marie la rêveuse éveillée

Une personne qui s'égare souvent parce qu'elle passe son temps à se chercher...

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