Comment les inégalités nous appauvrissent…

Marie la rêveuse éveillée
5 min readJul 6, 2024

--

Une fois n’est pas coutume, je me permet de retranscrire un article de Chris Dillow particulièrement stimulant…

Comme le pointe notre électron libre britannique, le rapport Deaton sur l’évolution des inégalités est des plus intéressant, plus particulièrement sa focale sur les causes des inégalités

“Pour comprendre si les inégalités constituent ou non un problème, nous avons besoin de remonter à leur source, de nous interroger sur la nature de l’équité, le niveau d’inégalité et les implications de ces inégalités. Les niveaux actuels d’inégalités sont-ils la résultante de récompenses amplement mérités, ou le triste résultat d’une asymétrie de pouvoir, d’une capture du régulateur, ou d’une défaillance de l’Etat?”

Mais comme l’observe notre marxiste hétérodoxe, il y a un angle mort dans cette analyse, l’impact des inégalités sur les performances économiques.

Une charte met en lumière la problématique :

Au premier abord, il semblerait que la croissance annuelle du PIB par heure de travail était plus forte durant la période relativement égalitaire s’étendant de 1945 jusqu’au milieu des années 70, en comparaison des périodes antérieures ou postérieures au cours desquelles les inégalités sont plus accentuées.

Il peut s’agir, bien sûr, d’une coïncidence, après tout, il est bien possible que la seconde guerre mondiale ait entrainé une régression en terme d’innovation et d’investissement, suivi d’un rattrapage en terme de croissance, accompagné d’une demande pour une société plus égalitaire.

Mais peut être que l’intuition initiale est malgré tout correcte, après tout, nous avons d’autres observations en faveur de l’hypothèse que les inégalités auraient un impact négatif sur la croissance. Roland Benabou nous rappelle que la Corée du Sud, relativement égalitaire, a effectué de meilleure performance que les Philippines, autrement plus gangrenées par les inégalités…. De leur côté, les chercheurs du FMI ont relevé “une relation négative forte” entre les inégalités et le taux comme la durée de la croissance, à travers l’observations de 153 pays sur la période s’étendant de 1960 à 2010.

Bien évidemment, les corrélations demeurent des suggestions, qui nous amènent à nous poser la question, par quels mécanismes les inégalités entrainent-elles une baisse de la croissance?

Dillow suggère 8 possibilités :

  1. Les inégalités encouragent les riches à investir, non pas dans l’innovation, mais dans ce que Sam Bowles qualifie de “défense de leurs rentes”, la recherche de moyens de maintenir leurs privilèges comme l’asymétrie de pouvoir en leur faveur. Cela peut prendre la forme de lois restrictives en matière de propriété intellectuelle, celle de technologies de surveillance et de contrôle des travailleurs, du lobbying pour la mise en place de barrière à l’entrée au détriment de la concurrence, autant de facettes de la triste configuration que Brink Lindsey et Steven Tele qualifient “d’économie capturée”. Un exemple particulièrement couteux de cette course à la rente nous fût offert par les banques faisant du lobying pour des quasi subventions réservés aux institutions financière jugées “Too big to fail”, ce qui encouragea l’expansion du système bancaire aboutissant à la crise financière que l’on sait, dont les effets négatifs sur la croissance continuent de se faire douloureusement sentir des années plus tard.
  2. Les hiérarchies au sein du monde de l’entreprise, ce que Jeffrey Nielsen qualifie d’organisation basée sur le statut, peuvent aboutir à démotiver les employés les plus jeunes. Une étude sur une équipe de football italienne a par exemple mis en lumière “qu’une grande dispersion en matière de rémunération peut aboutir à un impact négatif sur les performances de l’équipe”. Ce qui est consistant avec une étude de la bundesliga et de la NBA par Benno Torgler qui observa que “les inquiétudes positionnelles et l’envie réduisait la performance individuelle”.
  3. “Les inégalités économiques réduisent le degré de confiance mutuelle” selon Eric Uslaner et Mitchell Brown. Et nous avons des signes solides qu’une réduction de la confiance entraine une réduction de la croissance. Et ce pour une raison fort simple, en l’absence de confiance réciproque, les agents rechigneront à des transactions présentant des risques d’aboutir à une arnaque pour le plus naif.
  4. Les inégalités peuvent constituer un obstacle à la mise en place de changement en faveur d’une hausse de la productivité si on se fie, une fois encore, à Sam Bowles. Les coopératives peuvent s’avérer plus efficiente que les structures hiérarchiques, mais le succès de cette forme d’organisation est limité par les restrictions en matière de crédit. La pauvreté a un effet négatif sur le niveau d’éducation en rendant impossible l’acquisition de livres, ou en décourageant les jeunes pauvres mais talentueux de se lancer dans de longues études, quant aux femmes ou aux personnes racisées, elles peuvent être découragés de se lancer dans des carrières qui leur seraient profitables, faute de modèle leur démontrant que cette option leur est ouverte. (Sur la question spécifique des inégalités hommes/femmes, on renverra à cet article)
  5. Les inégalités peuvent inciter les riches à s’inquiéter de futures politiques de redistribution ou de nationalisation, ce qui peut aboutir à décourager l’investissement. Et avant de se désoler de ce type de politiques, ils devraient peut être s’interroger sur les raisons qui poussent les politiciens à les promouvoir en premier lieu, et les raisons pour lesquelles elles rencontrent une certaine popularité auprès des électeurs.
  6. Les asymétries de pouvoir, de par le fait que les travailleurs ont vu leur capacité à avoir leur mot à dire réduite suite au déclin des syndicats, ont abouti à ce que les gouvernements abandonnent les politiques de plein emploi, en plus de donner aux entreprises plus de marges pour augmenter leur profit par la détériorations des salaires et des conditions de travail de leurs employés. Ce qui a découragé l’investissement dans des technologies réduisant le temps de travail.
  7. Les politiques d’incitations encourageant les inégalités au sein des entreprises peuvent s’avérer contre-productive. Comme le pointait Benabou et Tirole, elles peuvent encourager les cadres dirigeants à se focaliser sur des cibles mesurables, et à négliger des éléments difficilement mesurables mais néanmoins essentiels au développement à long terme de la firme, comme par exemple une culture d’entreprise saine. Elles peuvent également assécher les motivations intrinsèques comme l’éthique professionnelle.
  8. Des rémunérations élevées pour le management peuvent encourager ce que Joel Mokyr qualifiait de “forces conservatrices”, par nature antagonistes au progrès technologiques. Récolter pleinement les bénéfices générés par les nouvelles technologies peut requérir des changement d’organisation. Mais pourquoi s’ennuyer à investir si vous disposez déjà d’une position de marché dominante? Et si vous bénéficiez, ou espérer bénéficier, d’un salaire mirobolant via la bureaucratie corporative en place, pourquoi s’ennuyer à fonder votre propre entreprise?

En conclusion, ce qui devrait nous préoccuper n’est pas tant le niveau d’inégalités que leurs effets négatifs concrets, qui peuvent être beaucoup plus pernicieux que nous ne l’imaginons. Si les inégalités sont à l’origine d’un ralentissement de la croissance, alors elles ont joué un rôle non négligeable dans l’essor du populisme, et l’une de ses résultante, le brexit. De ce point de vue, les inégalités ont également des effets néfastes sur le plan politique.

Concernant les relations entre la stagnation économique et la hausse du populisme comme de l’intolérance envers les minorités, on renverra au travail précieux de Benjamin Friedman, qu’on peut compléter par cet article d’Alexandre Delaigue, ainsi que celui-ci

Si l’on envisage les choses sous cet angle, s’accrocher à l’idée que le coefficient de Gini n’a pas trop remué ces derniers temps, cela revient à se dire que puisque le bus a cessé de rouler, il n’y a pas besoin de s’inquiéter du passant qu’il vient d’écraser sous ses roues

--

--

Marie la rêveuse éveillée
Marie la rêveuse éveillée

Written by Marie la rêveuse éveillée

Une personne qui s'égare souvent parce qu'elle passe son temps à se chercher...

No responses yet