Et si la gauche redécouvrait le libéralisme?

Marie la rêveuse éveillée
6 min readSep 22, 2024

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De nos jours, et plus particulièrement en France, l’idée de Libéralisme de gauche apparaitrait comme un oxymore… On pourrait s’interroger sur les causes historiques de cet état de fait, et d’autres l’ont fait avant nous, mais nous allons nous efforcer de montrer que la relation entre la gauche et le libéralisme pourrait prendre les atours d’un mariage d’amour plutôt que d’un mariage de raison dans le meilleurs des cas, d’un mariage forcé dans le pire, comme on tend trop souvent à se l’imaginer (l’idée d’une gauche libérale étant dépeinte comme une compromission et une trahison la plupart du temps).

Alexandre Delaigue nous avait offert des pistes de réflexions intéressantes sur le type de projet politique que pourrait offrir un libéralisme qui serait véritablement de gauche (ou une gauche qui serait authentiquement libérale), mais voyons les ruminations que nous avait offert sa source d’inspiration, à savoir Chris Dillow.

Pour commencer, penchons nous sur le slogan si controversé du mouvement Black lives matter, “cessons de financer la police!” (Defund the police), qui nous invite à voir l’Etat comme un oppresseur. Comme n’avait pas manqué de le faire remarquer Grace Blakeley :

Les citoyens savent que l’Etat les baise autant que leur patron ou leur bailleur, de fait, l’Etat aide le patron comme le bailleur à les baiser un peu plus… Au lieu de hurler “Donnez les commandes de l’Etat aux gentils (nous), et étendez son pouvoir”, nous ferions mieux de dire “remettez le pouvoir à sa juste place, entre les mains des travailleurs”.

Et si nous prenons conscience du fait que bon nombre de libéraux/libertariens finissent par réaliser que le racisme et les inégalités ont plus de charme à leur yeux qu’une réduction du périmètre d’action de l’Etat, en le combinant avec l’amour grandissant de la droite du spectre politique pour l’autoritarisme et la politique planificatrice (tant qu’elle est dans l’intérêt des classes dominantes), il y a un marché potentiel qui commence à s’ouvrir sur la gauche…

De fait, si nous nous concentrons sur certains domaines (féminisme, défense des droits LGBT, légalisation de la drogue, dénonciation des violences policières, décriminalisation du travail du sexe), la liberté tend à fleurir à la gauche du spectre politique bien plus qu’à la droite, qui préfère exprimer son amour de l’ordre et de la discipline, se traduisant par un désir pour la mentalité de caserne, la répression des comportements et des identités non conforme à la norme, le paternalisme vis à vis des plus pauvres, et la soumission à la communauté imaginaire que constitue la nation

Ne parlons même pas de la répulsion grandissante de la droite vis à vis de la liberté d’émigrer… Il ne faudrait d’ailleurs pas oublier que les restrictions à l’immigration ne portent pas seulement atteinte à la liberté des migrants mais également celle de leurs proches, famille, amant(e) comme amis concernant le choix des personnes qu’ils souhaitent accueillir chez eux et avec qui ils souhaitent partager leur vie, en plus d’enfreindre la liberté des entreprises désireuses de les embaucher…

D’une certaine manière, ce paradoxe apparent constitue un retour à la normale. Historiquement, les défenseurs de la liberté ont toujours été les adversaires de l’ordre établi. Qu’on pense à Tom Paine, John Stuart Mill, et même Adam Smith… Celles et ceux qui s’obstinent à considérer le père de l’économie politique comme un défenseur des riches et des puissants et un apologétiste béat du marché laissé à lui même, devrait se demander pourquoi bon nombre de libertariens le considèrent comme un vil proto socialiste, et étudier ses positions réelles, (voir ici, ici, ici et par exemple) plutôt que ses positions phantasmées

Et du côté des Marxistes, l’Etat était perçu comme “un instrument de domination au service des intérêts de la classe bourgeoise”, dont il fallait envisager l’abolition progressive.

On pourrait s’interroger sur ce retour progressif à une certaine tradition, et on peut l’expliquer par le fait qu’une partie de la gauche a fini par réaliser que l’Etat était bien souvent un instrument d’oppression et non d’émancipation… Nous ne parlons pas uniquement de la brutalité policière mais également du meurtre social, au sens littéral, que représente les politiques d’austérité, et les sanctions subis par les bénéficiaire de l’aide sociale, ainsi que de la déportation des citoyens issues de l’immigration

En second lieu, certaines personnes de gauche ont fini par réaliser, à l’instar de Grace Blakeley, qu’on ne pouvait se contenter de “donner les commandes de l’Etat aux gentils (nous), et d’étendre son pouvoir”.

Les réformes obtenues en faveur des plus vulnérables peuvent être abolies par le gouvernement suivant, qui ne manquera pas d’utiliser l’extension du périmètre d’action de l’Etat pour favoriser les riches et les puissants, la gauche ne peut donc pas se contenter de tout miser sur un contrôle temporaire et partiel de l’Etat…

En troisième lieu, les mutations du capitalisme n’ont pas manqué d’altérer également l’Etat. Bien évidemment, le Capital s’est toujours efforcé d’influencer le gouvernement et de détourner les forces de l’Etat à son propre bénéfice, mais à une époque pas si lointaine, le phénomène demeurait relativement bénin par rapport à aujourd’hui…

A l’ère de la production de masse d’après guerre et du modèle fordiste, les capitalistes avaient besoin d’un marché de masse, et en conséquence, d’offrir une certaine opulence à la classe des travailleurs. Cette ère est maintenant révolue, et le capitalisme sous sa forme actuelle s’est structuré autour de l’extraction de rentes plutôt que sur la croissance de la productivité bénéficiant à tous

La pertinence d’un libéralisme de gauche étant posé, on est en droit de s’interroger sur la forme que prendrait un projet politique anti-étatiste orienté vers la gauche…

Revenons au slogan “cessons de financer la police!”, certains d’entre vous peuvent estimer que c’est aller beaucoup trop loin, mais nous devons savoir à quel niveau nous devons tracer la ligne avant d’affirmer que nous avons franchi le cap du “trop”. Elinor Ostrom nous a justement offert des pistes de réflexions en la matière, en montrant que la police idéale se devait d’être de taille réduite, et placée face à ses responsabilité comme à l’obligation de rendre des comptes au niveau local.

Il y a également des arguments forts en faveur de la légalisation des drogues comme de la décriminalisation du travail du sexe, en partie parce que cela limite les prétextes dont disposeraient la police pour harceler les minorités.

Un revenu minimal d’existence inconditionnel représenterait également une expansion de notre liberté, et pas seulement en abolissant le flicage paternaliste, les contrôles humiliants et la persécution administrative que subissent actuellement les bénéficiaires de l’aide sociale, puisqu’il nous donnerait aussi la liberté de ne plus être enchainé à des conditions de travail dégradantes et humiliantes qu’on peut qualifier d’exploitation, mais également celle de quitter le marché de l’emploi, que ce soit pour prendre soin de nos proches ou acquérir les compétences nécessaires à un meilleur travail. Pour emprunter les mots de Guy Standing : “la valeur émancipatrice du revenu minimal d’existence excède sa valeur monétaire”.

Mais un libéralisme de gauche devrait également renforcer le pouvoir des communautés locales, comme nous invitent à le faire Martin O’Neil et Joe Guinan, démarche concrétisée par le modèle de Preston… En affaiblissant le pouvoir du gouvernement central, la relocalisation du pouvoir atténuerait les dégâts des politiques d’austérité des conservateurs, en plus d’offrir aux citoyens une extension de leur liberté au sens républicain, la liberté d’avoir un plus grand contrôle collectif sur leurs propres vies.

Il y a également d’autre leçon à retenir du mouvement Black Lives Matter, l’idée que la réalité sordide de l’esclavage puisse nous apprendre certaines choses en matière d’économie. Comme l’avait montré Peter Doyle, les marchés produisent des incitations à limiter l’agentivité de notre prochain, et même si l’esclavage est une illustration extrême du phénomène, on peut en trouver régulièrement des exemples, que ce soit sur le marché de l’emploi ou au sein des entreprises. Souvenons nous du constat de Marx, quand ils franchissent les portes de l’entreprise, les travailleurs quittent le royaume de l’égalité et de la liberté pour devenir de simples moyens de productions. Un libéralisme de gauche digne de ce nom mettrait en place des institutions pour endiguer le phénomène et renforcer l’agentivité réelle, qu’il s’agisse de faciliter la mise en place de coopératives de travailleurs, d’encourager les syndicats représentatifs ou en donnant aux communautés locales la possibilité d’avoir leur mot à dire sur les services publics.

Le but de Dillow n’est pas de nous offrir un programme politique, clé en main, après tout Marx nous mettait en garde contre la tentation de rédiger des recettes alors que nous n’étions même pas pourvues d’ingrédients ou de cuisine, mais simplement une invitation adressée à la gauche, pour qu’elle reprenne le flambeau de la lutte pour la liberté, maintenant qu’il est délaissé par la droite comme le centre

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Written by Marie la rêveuse éveillée

Une personne qui s'égare souvent parce qu'elle passe son temps à se chercher...

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