La politique puritaine
“Puritanisme : l’angoisse lancinante à l’idée que quelqu’un, quelque part, puisse ressentir un soupçon de bonheur”. H.L.Mencken
“Non, vous ne pouvez pas!” C’est devenu le nouveau mot d’ordre de notre classe politique. Tel est l’observation que nous offre Chris Dillow, qui pourrait très facilement se répliquer de notre côté de la manche.
Le parti travailliste britannique a renié ses engagements concernant la prise en charge universelle et gratuite des gardes d’enfants. Et dans la continuité de cette politique, Rachel Reeve repousse aux calendes grecques l‘idée d’un investissement de 28 milliards de livres sterling pour financer des projets en faveur de l’écologie. Dans les deux cas, c’est la même excuse qui est invoqué, le respect des sacro-sainte règles budgétaires.
Dans le même temps, travaillistes et conservateurs travaillèrent, main dans la main, pour restreindre un peu plus le droit du citoyen britannique de manifester pour exprimer son désaccord avec le gouvernement.
Tout cela est consistant avec l’hostilité à la liberté formant le leitmotiv de bon nombres de politiques gouvernementales, qu’il s’agisse d’interdire les offres promotionnelles type “deux pour le prix d’un” pour les aliments jugés trop gras, des appels à instaurer l’obligation de porter un casque pour les cyclistes, ou du projet de Darren Rodwell, leader travailliste du conseil de Barking et Dagenham, d’abroger le droit au logement des familles pauvres, si leurs enfants refusaient d’identifier leurs agresseurs auprès de la police après avoir été victimes d’agressions au couteau.
Tout cela forme une pattern, le refus et l’interdiction constituent l’attitude prévalente au sein de la classe dirigeante britannique, qu’il s’agisse des deux parti formant l’essentiel du spectre politique ou des médias. Et cela ne se cantonne pas à “Non, vous ne pouvez pas faire ça”, mais englobe également “Non, vous ne pouvez pas avoir de liberté de circulation au sein de l’union européenne”, “Non, vous ne pouvez pas commercer librement avec vos concitoyens”, “Non, vous ne pouvez pas avoir d’infrastructure décente pour les cyclistes”, “Non, vous ne pouvez pas avoir de service transport ferroviaire sans disfonctionnements réguliers”, “Non, vous ne pouvez pas avoir de financement public en faveur de la culture”, “Non, vous ne pouvez pas avoir de rivière propre et d’environnement assaini de la pollution”, “Non, vous ne pouvez pas avoir le haut débit”.
Non, Non, Non.
Historiquement, le débat se situait au niveau des mérites respectifs de l’action individuelle et de l’action collective, et la classe dirigeante actuelle a fini par trancher la controverse en déclarant que l’une comme l’autre se situaient en dehors du domaine du possible comme de celui du désirable.
Ce syndrome du refus se manifeste également dans le domaine du transport, on préfère rendre les trajets en voitures plus difficile et plus onéreux, au lieu de favoriser les transports en communs et les trajets en vélo.
Mentalité qui se reflète également dans le discours de Starmer, formalisant “le contrat qu’il passait avec les citoyens britanniques”, en tout point conforme à la musique de fond du New labour, mettant l’accent sur les devoirs du citoyen, et les familles qui travaillent dur, par contraste avec celles qui ne font rien.
“Nous vous promettons de vous offrir les opportunités d’acquérir de nouvelles compétences, mais sachez qu’on attendra en retour que vous mettiez du cœur à l’ouvrage et faites votre part de travail de votre côté. Vous pouvez vous attendre à la mise en place de meilleure politique au niveau local, mais on exigera néanmoins de votre part que vous vous comportiez comme des voisins exemplaires au sein de votre propre communauté.”
Pour mieux comprendre le point de Dillow, posez vous la question suivante : les politiciens nous offrent-ils une expansion de nos libertés et de nos opportunités? Thatcher permettait aux contribuables de conserver une plus grande part de leur propre argent pour leurs dépenses personnels, s’efforçait d’offrir à ses citoyens l’opportunité de devenir propriétaire, et donnait toute latitude aux entreprises britanniques pour commercer avec l’union européenne.
De son côté, le New labour avait procédé à la mise en place de crèches publiques, et à des politiques d’aides aux travailleurs à bas salaire.
Qu’est ce que nous propose l’offre politique à présent? Depuis quand la classe dirigeante nous a-t-elle dit “Oui, vous pouvez le faire” ou “Oui, nous pouvons nous l’offrir”? Il lui arrive encore de prononcer ces mots, certes, mais uniquement quand elle s’adresse aux riches.
Il semblerait que George Orwell exagérait quelque peu quand il avait écrit “Si vous voulez une vision de l’avenir, imaginez une botte écraser un visage humain, pour toute l’éternité”. L’avenir qui s’est concrètement déployé en Grande Bretagne comme en France, il a pris un autre visage, celui du petit fonctionnaire grincheux et mesquin nous opposant une fin de non recevoir.
Comment en sommes-nous arrivé là?
Une partie du problème s’explique par le fait que les politiciens, comme tout les professionnels, sont sélectionnés pour avoir un certain état d’esprit. En premier lieu, ce sont des drones dépourvus d’existence en dehors de ce qui leur tient lieu de travail, enchainant meetings sur meetings, s’attendant en retour à ce que leur concitoyens s’enchainent à une existence aussi monomaniaque, fade, vide et dépourvue de joie que la leur.
Mais surtout, les politiciens sont sélectionnés pour avoir une foi excessive dans les vertus du management autoritaire de haut en bas, en plus d’avoir un excès de confiance dans leur propre capacité à nous prescrire ce que nous sommes supposés faire. Et le revers de la médaille, c’est un scepticisme vis à vis des mérites des ordres spontanées défendus et étudiés par Hayek et Ostrom. (En admettant même qu’ils puissent en soupçonner l’existence en premier lieu).
Pour cette raison, les politiciens ont de par leur nature même un biais négatif à l’encontre de la liberté comme de la démocratie sur le plan économique.
Mais il y a également un autre facteur qui rentre en jeu, qui n’est pas confiné aux politiciens, et qui fût pointé par Richard Sennett. Selon lui, “beaucoup d’entre nous tendent à se créer des identités purifiées”.
“La menace d’être submergé par la difficulté des interactions sociales, nous nous en protégeons en créant par avance une image fixe de nous mêmes, en nous transformant en un objet rigide, nous abritant ainsi de la dure condition de demeurer une personne à l’identité ouverte, susceptible d’être touché et impacté par une situation sociale.” (L’usage du désordre)
C’est la situation évoquée par Margaret Hodge (même si elle n’en avait pas probablement pas conscience) quand elle clamait que “l’apparition de nouvelles formes de nourriture dans nos boutiques, et la vision de visages différents dans nos écoles, suscitaient la peur et l’angoisse.”
Si vous êtes un objet rigide, avec une idée rigide de ce que doit être la nourriture normale et un visage jugé comme normal, alors l’irruption de la différence apparaitra comme une menace à cette identité et en conséquence une source d’angoisse. Ce qui explique la demande grandissante pour des contrôles de l’immigration, ou la répression des minorités en termes de genre et d’orientation sexuelle.
De manière générale, cela explique la vague de répression qui frappe toutes les catégories de la population qui ont le malheur de ne pas être tout à fait comme nous, qu’il s’agisse des cyclistes, des manifestants, ou des personnes pauvres et précaires désireuses d’acquérir une nourriture à la portée de leurs maigres moyens. Le groupe extérieur au nôtre est une menace à réprimer plutôt qu’un élément parmi tant d’autres au sein d’une société complexe et diversifiée.
Un dernier facteur doit être pris en compte. Comparez les discours de refus, de restrictions, de rationnement, d’interdiction et de repressions de notre classe politique, avec leur tonalité puritaine expurgé de toute joie comme de toute ambition, avec le discours de Kennedy en 1962, quand il promettait d’envoyer un homme sur la lune.
“Au cours de cette décennie, nous avons choisi de nous élancer vers la lune, et bien d’autres choses encore, non pas parce que cela nous apparaissait comme facile, mais bien au contraire, parce que cela nous paraissait difficile.”
On ne trouverait plus aucun politicien exprimant des ambitions de ce type, quel que soit le côté de la manche, de nos jours, même des propositions social démocrates modestes sont dépeintes comme radicales, absurdes, et relevant de l’extrême gauche…
Pourquoi ce changement radical? Pour la simple et bonne raison que c’est le capitalisme lui même qui a changé. Dans les années 60, le problème économique américain, tel qu’il fût dépeint par Galbraith dans La société affluente ou Baran and Sweezy dans Le capitalisme de monopole, c’était que son vaste potentiel de production menaçait d’excéder la demande. La réponse de Kennedy fût d’investir compétence et capitaux dans la course à l’espace.
Mais il n’y a plus de potentiel équivalant de nos jours, deux décennies de productivité stagnantes ont étouffé toute forme d’optimisme vis à vis des possibilité que pouvaient nous offrir l’Etat ou le Marché. Keynes avait raison d’affirmer que “tout ce que nous pouvons faire, nous pouvons nous l’offrir”, mais notre problème, c’est précisément que nous ne pouvons plus faire grand chose.
Les excuses invoquant le respect des règles budgétaires pour la renonciation à des investissements en matière d’écologie étaient peut être cousues de fil blanc et branlante, mais elles étaient le symptôme d’un problème de fond, l’Angleterre ne disposait pas du stock de compétences et de capacité managériale pour implanter rapidement des investissements massifs.
De ce point de vue, la politique puritaine du refus constant est une réponse à l’échec du capitalisme.
Bien évidemment, nous pourrions réagir autrement, en nous interrogeant sur les raisons de l’échec du système actuel, et en réfléchissant aux manières de l’améliorer voir de le remplacer par autre chose… Mais c’est un péché capital dans le paysage politique actuel…