Le mystère de la mémoire, la théorie des traces mémorielles…

Marie la rêveuse éveillée
6 min readApr 27, 2023

--

Attaquons-nous à une difficultés plus techniques du matérialisme… La problématique de la mémoire…

C’est une problématique qui flotte plus ou moins chez Saint Augustin, William James, Bergson, Sartre… Je m’appuierais, once again, sur Valicella et sa retranscription de l’article suivant : John Heil, “Traces of Things Past,” Philosophy of Science, vol. 45, no. 1 (March 1978)

Supposons une expérience type madeleine de Proust… Soudain, le passé prends d’assaut le présent à travers l’inexorable tourment de la mémoire (Boogiepop Phantom), mémoire qui s’engouffre par la fenêtre d’opportunité d’un stimuli…

Il peut s’agir de la saveur d’une madeleine, le parfum du patchouli que notre mémoire associe à 1969, année érotique, d’une affiche élimée dans la rue qui nous rappelle notre premier rendez-vous galant dans une salle de cinéma à regarder le film en galante compagnie…

Sans vergogne, je plagie outrageusement l’exposé limpide de Vallicella qui nous invite à rassembler les données avec lesquels travailler..

A)Il existe des souvenirs véridiques nous donnant un accès épistémique à des événements passés qui se sont réellement déroulés. Par exemple, les souvenirs personnels épisodiques que nous avons abordés…

Dans cet exemple, nous nous remémorons avoir expérimenté l’événement. Cependant, il existe aussi des fragments de notre passé que nous n’avons pas expérimenté (Valicella évoque sa propre naissance par césarienne)

Mais on pourrait aussi bien évoquer notre séjour au sein du placenta maternel dont nous savons qu’il a existé mais dont nous ne conservons aucune trace dans la mémoire…

L’existence de souvenirs véridiques nous connectant au passé sera donc la donnée à décortiquer. Ajoutons un peu d’énoncés théoriques tout en collant au maximum à ce point de départ…

B)La mémoire est une notion causale. Une image mentale du passé n’a pas besoin d’être un souvenir du passé (exemple du séjour dans l’utérus maternel). Qu’est ce qui fait donc d’une image mentale du passé un souvenir?

L’histoire causale, tout simplement. Le souvenir qui ressurgit à l’instant présent a une connexion causale avec l’événement passé que j’ai personnellement expérimenté à la 1ere personne.

C)Il ne peut pas y avoir d’action causale par delà un intervalle temporel. Pas de causalité directe par dessus un gouffre temporel, Un élément non négociable de la causalité est la proximité spatio-temporel.

Même si la mémoire est une notion causale, mon souvenir à l’instant présent d’un événement survenu en 1969 n’est pas causé directement par cet événement.

Indeed, comment un événement qui a cessé d’exister depuis des décennies pourrait-il exercer une influence au sein de ma conscience par delà les ans? Comment expliquer cette sorcellerie qui a pourtant survenu?

Via un engrenage intermédiaire, la trace que cet événement passé a laissé en moi. Il existe des traces du passé gravé dans un médium, quelque part, intuitivement pour un matérialiste (et la plupart d’entre nous) ce médium sera le cerveau…

Les habitués de mes threads auront peut-être, de manière approprié, des réminiscences de Spinoza, et ce n’est pas un hasard, puisque la théorie des traces est un engrenage essentiel de son système

Toujours est-il que les traces permettent de résoudre le problème évoque au point C. L’évènement de 1969 a laissé une trace dans notre cerveau, qui a perduré bien après la disparition de cet événement dans les limbes du passé, et s’est réactivé à l’instant présent.

La trace étant la cause du souvenir, nous retombons sur nos pieds, et nous avons une explication d’une causalité par delà un gouffre temporel.

Et si la trace en question est stockées dans les neurones du cerveau ou quelque part dans le système nerveux central, la condition de proximité spatiale est également respecté. Jusqu’ici tout va bien…

Les traces mémorielles sont donc l’intermédiaire causale entre présent et passé. La question qui se pose est la suivante, pour jouer ce rôle, doivent-elles également être des représentations des événements passés?

En d’autres termes, pour jouer son rôle, la trace ne doit pas seulement avoir une connexion causale avec le passé mais aussi une connexion de nature représentationnelle, elles doivent “pointer” vers le passé de manière téléologique… (rappelons que ça dérive de Télos, but)

Dans l’exemple de Vallicella, le parfum de patchouli qui lui remémore une rencontre romantique survenu en 1969, de lui même, il ne pointe pas vers l’événement en question… (il ne susciterait pas la même réaction chez moi qui n’a pas vécu l’évènement)

Or le souvenir pointe en direction de l’évènement de 69, pas d’un autre, la directionnalité (aboutness) ne résidant pas dans le stimuli externe, elle doit résider dans la trace.

La trace doit désigner l’évènement qui l’a causé, pas un autre, si la trace ne désignait (représentait) rien, comment le souvenir (activation de la trace ou conséquence causale de l’activation de la trace) pourrait-il représenter quoi que ce soit?

Pour mieux illustrer ça, imaginons qu’un groupe d’étrangers viennent me rendre visite, ma capacité à retenir les souvenirs étant faible, je sais que je les oublierais assez vite si je laisse les choses en état…

Je dégaine donc un outil mnémotechnique, je demande à chacun de mes visiteurs de me laisser une carte en souvenir de sa visite. Ils s’exécutent, mais ils me donnent tous une carte identique de couleur blanche.

J’ai donc une trace de leur visite, avec connexion causale qui la relie à chaque visiteur. Quelques temps plus tard, je sort la carte de son tiroir et réactive la trace. On s’en doute, la trace en question ne me dira pas grand chose…

Dans le meilleur des cas, la carte me rappellera que j’ai eue un visiteur, mais elle ne me dira rien de plus, je ne saurais pas s’il s’agissait de Pierre, Jacob, ou qui que ce soit d’autre…

Quand bien même la carte aurait une connexion avec Jacob qui me l’a donné, elle ne me sera d’aucun secours pour me remémorer Jacob, idem pour les autres visiteurs…

Les visiteurs sont parti, comme l’événement de 1969, tout ce qui me reste, c’est les traces persistantes qu’à laissé leur passage. Mais si on les ampute de tout contenu représentationnel, on comprends vite qu’elles ne peuvent plus jouer leur rôle d’intermédiaires…

Si chaque visiteur m’avait laissé une carte d’une couleur différente, je ne serais guère plus avancé, comment savoir auquel d’entre eux correspond chaque couleur? Idem s’ils m’avaient laissé des token plus spécifique

Si Jacob avait été musicien et m’avait laissé le médiator de sa guitare, même si on admettait que c’est une pièce de collection unique au monde donc il n’existe pas de second exemplaire, en elle même, elle ne me pointerait pas Jacob…

Le médiator en question pourrait tout aussi bien appartenir à Ellie ou Simeon… Et quand bien même il aurait mis une étiquette avec son nom dessus, le nom en question pourrait être un faux nom, celui de son chat, ou même le surnom qu’il donne à sa guitare…

En d’autres termes, pour jouer son rôle, la trace laissé par le visiteur doit pointer vers ce visiteur et personne d’autre… Sa connexion avec le visiteur ne doit donc pas être simplement causale mais également représentationnel/directionnel/téléologique

Maintenant, voyons si la théorie des traces peut survivre à deux écueils. La circularité et la régression à l’infini…

Circularité : Pour expliquer le phénomène de la mémoire, la théorie des traces postulent l’existence de traces mémorielles. Mais si l’explication présuppose elle même la mémoire, elle est circulaire et inutile…

Bref, si j’affirme que je sais que le médiator est connecté à Jacob parce que je me rappelle que c’est Jacob qui m’a laissé cette trace, la trace devient un intermédiaire inutile…

Régression à l’infini : Comment la trace T représente-t-elle l’évènement E qui la causé et aucun autre? Pour éviter la circularité, on pourrait invoquer la trace T2, enregistrement de la trace T et sa connexion à E.

T représenterait donc E par l’intermédiaire de T2. Mais on réalise très vite qu’on dévale une autre pente glissante… Supposons que Sally me laisse une photo d’elle même en souvenir, comment est-ce que je sais que c’est une photo de Sally et non pas de sa sœur Ally?

Si j’affirme que je me rappelle de Sally et qu’en conséquence, je sais que c’est une photo d’elle, sans ambiguïté aucune, je me déplace dans un raisonnement circulaire.

On pourrait tout aussi bien dire que je me souviens d’elle, sans s’embarrasser à postuler des traces pour expliquer ce souvenir.

Pour éviter la circularité, on pourrait dire “Il y a une photo de Sally, et une photo de sa photographie, placée l’une à côté de l’autre, en comparant la première photo à la seconde, je sais que la première est bien celle de Sally.”

Mais on pourrait se demander comment je sais que la seconde photographie est bien une photographie de Sally que je peux comparer à la première. Est-ce que je dois invoquer une troisième photographie, T3? Et ensuite une quatrième T4, pour la garantir? Etc…

Bref, la seule manière d’éviter circularité et régression à l’infini est de postuler que les traces n’ont pas simplement un rôle causale, mais un contenu représentatif qui pointe vers leur objet…

Sauf qu’une question brûlante survient. Une entité matérielle peut-elle avoir, par elle-même, un contenu représentationnel? (Spoiler, non.)

Voir également ici (si la quadition vous emmêle le cerveau, on peut également invoquer le Vleu de Goodman. Je sais, de Charybde en Silla)

--

--

Marie la rêveuse éveillée
Marie la rêveuse éveillée

Written by Marie la rêveuse éveillée

Une personne qui s'égare souvent parce qu'elle passe son temps à se chercher...

No responses yet