Les paradoxes de l’Infini
Attardons-nous maintenant sur sur les vertiges de l’Infini.
Et pour cela, autant s’immerger dans le bain en explorant les corridors d’une de ses illustrations les plus fascinante, l’hôtel imaginaire façonné par l’intellect du mathématicien Hilbert.
Allons y in media res, par une nuit sans lune, un pauvre voyageur épuisé, franchit les portes d’un hôtel, espérant qu’on dispose d’une chambre de libre à lui proposer. Ce qui devrait être du domaine du possible, l’établissement se vantant de disposer d’une infinité de chambres
Malheureusement pour notre voyageur, le mystérieux hôtel semble avoir été victime de sa réputation élogieuse puisqu’il affiche complet. Notre pauvre hère s’apprête à tenter sa chance ailleurs mais le propriétaire de l’établissement pose sa main sur son épaule pour le retenir
Aucun souci, assure-t-il à son client potentiel. Il existe une solution toute simple pour résoudre le problème du manque de place. Inviter tout les clients à sortir de leur chambre, puis inviter le client de la chambre n°1 à dormir dans la chambre n°2, par la suite inviter le client de la chambre n°2 à dormir dans la chambre n°3, celui qui réside dans la chambre n°3 à dormir dans la chambre n°4 et ainsi de suite… jusqu’à l’infini…
Mais au bout de cette chaine interminable, ne va-t-il pas rester un cocu dans l’histoire? Celui qui se retrouve dépossédé de sa chambre sans disposer d’une alternative. Et c’est là que l’établissement va nous dévoiler ses mystérieuses arcanes…
Si vous retirez une unité à l’infini, que reste-t-il? L’infini. Nous avons retiré une chambre dans l’infinité des chambres de l’hôtel, mais il en reste toujours une infinité à disposition…
Combien de client nous faut-il reloger? Une infinité. Et puisque l’infini est égal à l’infini, aucun clients ne sera lésé, il y aura toujours une chambre pour chaque client
Alors même que nous avons à présent une chambre de libre, la n°1, qui n’est pas apparu de nulle part, elle était présente d’entrée de jeu avec toutes les autres… et pourtant, tout les occupants de la chaine ont pu trouver une chambre où passer la nuit…
Imaginons que le lendemain, énervés d’avoir été forcé de migrer d’une chambre à l’autre, la moitié des clients décide de mettre fin à leur séjour, séance tenante…
L’hôtel, plein à craquer la nuit précédente, se retrouve à présent déserté de la moitié de ses occupants. Comment le gérant de l’établissement va-t-il pouvoir rétablir ses comptes suite à cette perte de clientèle? En attirant le chaland?
Mais pourquoi s’ennuyer avec des dépenses publicitaires inutile alors que la clientèle de substitution est déjà là? Il suffit d’avoir recours au même tour de passe-passe…
Si vous divisez l’infini par deux, qu’est ce que vous obtenez? L’infini. Et pour cause, l’infini ne peut pas être composé de l’addition de deux nombres finis. Il y a donc une infinité de clients dans la moitié des chambres de l’hôtel…
Il suffit donc de convaincre cette infinité de client de sortir un instant de leur chambre…puis d’occuper la totalité des chambres de l’hôtel. Ce qu’il parviendront à faire sans problème, puisqu’il y aura toujours une chambre pour chaque clients..
Nul besoin de se forcer, il y a littéralement une chambre en face de chaque client (alors que la moitié était vide l’instant d’avant), puisque l’infini est par définition égal à l’infini.
Mais supposons à présent que la quasi totalité des clients de l’hôtel décide de mettre fin à leur séjour, ne laissant que dix exceptions derrière eux…
Cette fois, le propriétaire de l’établissement sera coincé, il ne pourra pas combler le vide avec dix malheureux clients…alors même que c’est une quantité IDENTIQUE de clients qui a quitté l’hôtel, le jour précédent, laissant la moitié des chambres libres…
Si vous jugez l’expérience déstabilisante, William Lane Craig a imaginé une variante encore plus déconcertante… La bibliothèque au rayonnage infini…
Que se passerait-il si je décidais de retirer la moitié des ouvrages pour les mettre au pilon? Le bibliothécaire n’aurait qu’à tasser la moitié des ouvrages laissés sur les rayons pour que ces derniers se retrouvent rempli à nouveau sans laisser le moindre interstice..
Pour mieux comprendre la nature de ces paradoxe, et les leçons éventuelles à en tirer, il faut en revenir à une distinction établi par Aristote entre deux sortes d’infini, l’infini potentiel et l’infini en acte.
Un infini potentiel est un infini qu’on peut potentiellement construire. Prenez une distance finie, mettons dix mètres. Divisez la par deux, vous obtenez 5 m, reprenez la division, vous obtenez 2.25m…
Peu importe le nombre de fois où vous renouvellerez la division par deux, il restera TOUJOURS un espace à diviser au final, aussi microscopique soit-il, à aucun moment vous n’arriverez à un point mathématique indivisible…
Raison pour laquelle on parle d’infini potentiel, un espace fini contient une quantité potentiellement infini de sous-espace…
Par contraste l’infini en acte… Eh bien, c’est tout simplement l’Hôtel de Hilbert ou la Bibliothèque infini que nous avons évoqué. Un infini qui est déjà présent, ici et maintenant.
Et l’un des grand paradoxe de cet infini en acte est qu’il est mathématiquement impossible de le construire en additionnant successivement des quantités fini,aussi longtemps que vous renouvelez l’opération, vous obtiendrez un nombre de plus en plus grand, mais qui ne sera jamais égale à l’infini, aussi gigantesque et incommensurable soit-il…
La seule manière d’aboutir à un infini en acte, c’est d’ajouter l’infini à un nombre quelconque… ou de partir d’un nombre déjà infini.
Et nous avons eu l’occasion de l’étudier sous de multiples angles, l’infini en acte pose problème puisque cela revient à violer une intuition fondamentale, la partie plus petite d’un ensemble ne peut pas être d’une taille égale à cette ensemble dans sa globalité…
D’où les multiples violations de la logique que nous imposait l’hotel de Hilbert comme la bibliothèque infini…et on peut créer des variantes comme le livre infini… (c’est officiellement le cas de la Death note pour rappel)
Imaginons un livre disposant d’un nombre infini de pages, retournons-le pour avoir la quatrième de couverture, et soulevons-là… Que se passerait-il?
Avec un livre ordinaire, nous contemplerions la dernière page… mais par définition, il ne peut y avoir de fin à une série infini… en conséquence, que se dissimulerait-t-il sous la quatrième de couverture du livre infini?
Une distorsion spatio-temporelle indescriptibles, l’espace-temps étant tendu jusqu’au point de rupture? Est-ce qu’une pile infini de papier va jaillir du livre? Non, elle ne pourrait pas jaillir, il faudrait qu’elle soit déjà là instantanément en fait…
C’est pour cette raison que Craig qualifie l’infini en acte d’impossibilité, non pas logique ou mathématique, mais métaphysique. Nous sentons intuitivement que l’infini en acte aboutirait à des configuration impossible transposé dans notre monde…
Et c’est là que l’infini potentiel intervient, pour rétablir un semblant de cohérence dans notre univers. Via l’infini potentiel, plus facilement maniable, les mathématiques conservent leur pertinence comme leur réalité pour nous, sans aboutir à des monstres logiques…
Des réflexions sur l’infini qui ne date pas d’hier, de fait, cela fait pratiquement 1000 ans qu’elles forment la base d’une des variante de l’argument cosmologique de l’existence de Dieu… L’argument Kalam
Argument dont les deux variations canoniques sont les suivantes :
- Admettre l’existence d’un passé infini, ce serait admettre qu’un hôtel de Hilbert est concrètement possible, avec les paradoxes que ça entraine.
- Même en admettant qu’un infini en acte soit possible, on ne peut mathématiquement pas le construire par l’addition successive de quantité fini…Or admettre que la succession des jours passés puisse aboutir à une série infini, ce serait postuler qu’une addition de quantité fini à donner naissance à un nombre infini.
Il existe d’autres expérience de pensée pour illustrer la deuxième variante, notamment le paradoxe de Tristam Shandy inversé mais je vous avoue ne pas avoir la force de le restituer, ce soir…
De toutes manière, l’argument Kalam mobilise d’autre questions tout aussi complexes, sinon plus, en particulier la nature du temps…(puisque l’argument ne fonctionne que si la distinction passé/présent/futur est réelle plutôt que des positions relatives dans la 4éme dimension de l’espace)
Quant à la troisième variante de l’argument Kalam, la plus jeune des trois, elle tourne tout simplement autour de la théorie du Big Bang comme de ses interprétations potentielles…Faisant l’objet de nombreuses passe d’arme entre William Lane Craig et sa némésis Quentin Smith