Planescape Torment : Qu’est-ce qui peut changer la nature d’un homme?
Je peux me fendre d’une lettre d’amour à un autre classique culte de ma génération…
“An elderly man was sitting alone on a dark path, right? He wasn’t certain of which direction to go, and he’d forgotten both where he was traveling to and who he was. He’d sat down for a moment to rest his weary legs, and suddenly looked up to see an elderly woman before him.
She grinned toothlessly and with a cackle, spoke: ‘Now your third wish. What will it be?’ ‘Third wish?’ The man was baffled. ‘How can it be a third wish if I haven’t had a first and second wish?’
‘ You’ve had two wishes already,’ the hag said, ‘but your second wish was for me to return everything to the way it was before you had made your first wish. That’s why you remember nothing; because everything is the way it was before you made any wishes.’
She cackled at the poor berk. ‘So it is that you have one wish left.’ ‘All right,’ said the man, ‘I don’t believe this, but there’s no harm in wishing. I wish to know who I am.’
‘Funny,’ said the old woman as she granted his wish and disappeared forever. ‘That was your first wish.’”
Petit conte noir, extrait des dialogues du jeu en question, et qui pourrait former un synopsis approprié à son histoire…
Mais pour comprendre le joyau que représente cette histoire, encore faut-il s’attarder sur son écrin, à savoir le lore titanesque de Planescape, univers de jeu façonné pour la 3éme édition d’AD&D.
Univers dont le centre névralgique est Sigil, cité des portes, même si ses habitants use le sobriquet de “La Cage” pour décrire leur environnement urbains…
Cité dont on pourrait décrire l’architecture ainsi, imaginez-vous au sein d’un pneu gigantesque, si vous levez les yeux au ciel, vous apercevrez les toits des bâtiments que vous pourriez rejoindre en marchant suffisamment longtemps dans les rues de la ville…
Un monde urbain entièrement clos sur lui même, même s’il connait l’alternance des jours et des nuits, gravitant au sommet d’une aiguille de pierre infini, et dont la configurations des rues changent régulièrement, cette ville étant un organisme vivant…
Bien évidemment, cela soulève une multitude de questions, la plus évidente étant la manière dont ses habitants on pu pénétrer au sein d’un espace clos dépourvus du moindre accès physique à l’extérieur…
C’est là que le surnom de cité des portes va prendre tout son sens, car la cité pullulent effectivement de portes ou plutôt de portails, autant de déchirure dans l’espace-temps qui peuvent s’ouvrir brusquement, formant autant de fenêtres vers d’autres mondes…
Tout peut se métamorphoser en portail au sein de Sigil, la porte d’une maison, celle d’un placard à balais, une fenêtre peut brusquement donner vers l’Ailleurs et arpenter les pavés d’une ruelles peut vous amener à contempler une autre cité et un autre ciel à la fin du trajet..
Comment s’active les portails en questions? Il ne faut pas grand chose… Chantonner une ritournelle, avoir un souvenir d’enfance en poche, une quelconque objet comme une fourchette ou une pièce de monnaie en main, une certaines émotions dans l’âme ou un certains mots en tête…
Si tout peut devenir porte, tout peut également se dévoiler comme clés des mêmes portes… Tout les chemins mènent à Rome, disaient-on. Toutes les portes mènent à Sigil, et toutes les routes en partent, ce réseau étendant ses branches dans tous les recoins du multivers…
L’énigme qui nous titillait précédemment n’en est donc plus une, la population de Sigil est donc une foule d’exilée plus ou moins volontaires égaré dans le carrefour de tout les passages…
Et pour comprendre le multivers en question et le caractère bigarrée de la population de la Cité des portes, il faut s’attarder quelque peu sur le système d’alignement dont Planescape forme une déconstruction magistrale…
Le systèmes des alignements est ce qui vous permet de définir la moralité de votre personnage, le prisme de valeurs à travers lequel il déchiffrera le monde comme ses propres actions…
Cela consiste à se positionner par rapport à 2 axes, Loi/Chaos et Bien/Mal. Etre d’alignement loyal signifie le respect à certaines règles, peu importe que cela aille dans le sens de vos intérêts ou non.
Par contraste, être d’alignement chaotique signifie valoriser sa liberté comme une valeur absolu avec laquelle ne pas transiger. Quant à l’Axe Bien/Mal, on pourrait traduire ça par le dualisme Altruisme/Egoïsme…
Ainsi, un personnage d’alignement Loyal Mauvais valorisera l’ordre avant tout, n’hésitant pas à piétiner le bien être de ses semblables si cela peut renforcer l’ordre. Quelqu’un d’alignement Loyal Neutre sera indifférent à leur bien être et une personne d’alignement Loyal Bon visera à maximiser l’ordre comme le Bien être des autres.
Au sein de l’univers d’AD&D, ce ne sont pas de simple positions subjective mais bel et bien des forces métaphysique…
Planescape poussera cette logique jusqu’au terme, chaque positionnement aura ses personnifications anthropomorphiques (ou approchant) avec l’univers qui leur correspond…
Ainsi, l’alignement Loyal Mauvais sera incarné par les diables résident dans l’horreur carcérale des Neuf Enfers, l’alignement Chaotique Mauvais sera personnifié par les démons résidant dans les 666 strates de l’Abysse…
Les alignements Bon auront leur équivalents, oscillant entre l’Olympe de la mythologie grecque ou le décalque du Paradis des religions abrahamiques…
Et au centre de ce canevas d’univers mythologiques structurés autour d’un système métaphysique, par delà le monde primaire où résident les races humanoïdes, on trouve Sigil…
Melting pot où se croisent pèle mêle humain, elfes, centaures, mais aussi anges et démons et des créatures bien plus exotiques, ainsi que le fruits des unions qui surviennent parfois entre humain et créature d’outre-monde…
Comment la cité parvient à conserver un semblant de paix civil dans ces conditions, et même d’indépendance, une telle position névralgique au centre comme à la périphérie de tout l’univers suscitant nécessairement les convoitises?
Grâce à l’autorité de fer de la Dame des douleurs, entité mystérieuse faisant bourdonner bien des légendes et moulins à rumeurs. Certains la voient comme une personnification de la Cité elle même, un genius loci…
D’autres inversent la proposition, s’imaginant au contraire la cité comme une prison pour cette entité dont personne ne peut déterminer l’origine (une des explications possible de son surnom de cage).
Pour donner un ordre d’idée de la portée de l’ombre projetée par cette figure mystérieuse, lorsque la divinité des portail revendiqua la propriété légitime de la cité, le panthéon se vit amputé purement et simplement d’un Dieu…
Il est donc aisé de comprendre comment Sigil a pu conserver son statut de zone neutre autonome, à l’abri des ingérences des Dieux comme des autres Mondes…
La dame des douleurs n’est cependant pas la dirigeante de la cité à proprement parler, plutôt une Sainte Patronne qui veille dans l’ombre, ne sortant de sa réserve que pour châtier l’impudent qui aura blasphémé son autorité ou menacé l’intégrité de la cité elle même…
Nous avons donc Sigil, sorte d’Auberge entre les mondes où se mêlent les arpenteurs de plan qui transitent entre deux mondes, exilés qui ont du se réfugier aux confins de la réalité, infortunés emprisonnés dans la Cage après avoir activé un portail par accident…
Maintenant que l’arrière-plan, si on peut dire, est établi, voyons quel type d’histoire hors du commun peuvent se dérouler dans les murs de la Cité des portes…Le cadre étant établi, quelle est donc cette histoire dont on vous propose d’être le héros?
Elle commencera de manière hors-norme puisque son personnage principale s’éveillera…au sein d’une morgue, sans le moindre souvenir auquel se rattacher pour donner un sens au monde qui l’entoure, à la place qu’il est censé y occuper ou au rôle qu’il peut y jouer…
Même son nom à sombré au fond du Léthé… Les seuls indices à la disposition de notre amnésique, il devra les déchiffrer sur son propre corps…
Indices qui prendront la forme des tatouages que le dernier occupant y a laissé, invitant notre égaré à mettre la main sur un dénommé Pharod, qui pourra lui restituer le journal intime où il a consigné ses souvenirs avant qu’ils ne s’évaporent…
(oui, ce n’est pas sans évoquer Memento, mais le jeu est bien antérieur au petit chef d’œuvre de Nolan) Cependant, un autre indice sautera aux yeux de notre inconnu, par dessous ses tatouages, une infinité de cicatrices qui ont fini par recouvrir intégralement son épiderme…
Bien plus de cicatrices qu’on ne pourrait en cumuler au cours d’une vie, ou même de dix si ce n’est 100…et pour cause, notre personnage le comprendra bien assez vite, il est immortel…
Vous avez bien lu, et ce sera à la fois un élément vital de l’intrigue et une mécanique de jeu, le “suicide” est une solution valide pour la résolution de certains puzzle ou pour avancer dans le jeu..
Une noble décadente pourra par exemple payer le prix fort pour le seul plaisir de vous enfoncer une dague dans le cœur et goûter au frisson du meurtre sans en subir les conséquences morales et judiciaires…
A défaut d’un passé, notre amnésique a donc une multitude de question pour meubler son présent. Qui est-il? Comment as-t-il perdu ses souvenirs comme sa dernière vie? Quel est le secret de son immortalité?
Dispose-t-il de compagnons de route, d’une famille, d’amis, qu’il aurait laissé dans son sillage et pourrait lui apprendre qui il était? A-t-il laissé des responsabilités à endosser? Des péchés à expier? Des crimes à fuir?
Une seule manière de le savoir, se mettre en quête de Pharod, aux côté du premier compagnon que le destin aura placé sur votre route. Morte, un crâne volant sarcastique et obsédé sexuel… (oui, oui, sa capacité à décocher des insultes peut même être utilisé en combat)
Si Morte vous a fait hausser les sourcils, dites-vous que ce n’est pas le compagnon le plus déconcertant que vous pourrez ajouter à votre petite bande de marginaux…
Pour rappel le clerc du groupe est une succube (oh!)…chaste (Ah…) mère maquerelle d’un bordel (Oh!)…où vous pouvez acheter tout les plaisirs qu’une femme peut vous offrir…à l’exception de ceux de la chair…(uh?)
Une clerc athée pour couronner le tout puisqu’elle tire ses pouvoir d’une philosophie de vie, la conviction que les perceptions forment les portes du multivers et que l’expérience peut nous amener à mieux le comprendre comme nous comprendre nous même…
Deux échantillons qui vous donnent un avant-goût du travail finement ciselés exécutés pour l’écriture des personnages non joueurs.
Ils ont bel et bien 3 dimensions, une vision du monde à part entière, et une histoire qui leur est propre et au sein de laquelle vous n’être qu’un figurant de passage….
De fait, vous pourrez passer des heures de bonheur, simplement à discuter avec vos compagnons, non pas simplement pour débloquer de précieux point d’expériences ou déverrouiller des capacités spéciales mais parce que les dialogues seront leur propre récompense
Car oui, non seulement en terme de texte, ce RPG peut rivaliser avec une Visual novel et même bon nombre de romans sans problème, sur la quantité comme la qualité, mais les dialogues formeront la part centrale du gameplay
Oubliez le grinding à tourner en ronds pour monter de niveau à coup de massacre de monstres errants, l’essentiel de vos points d’expériences, ils se gagnent par le dialogue…
Et pour cause, votre personnage ne va pas tant gagner de l’expérience que se remémorer ce qu’il savait déjà sans le savoir et qu’il avait cumulé dans les siècles passés…
La clé pour déverrouiller les trésors enfouis dans cette mémoire sera donc de la stimuler par les indices récoltés ici et là comme autant de pièces d’un puzzle qui peuvent s’emboiter avec d’autres dont vous ignoriez qu’elles étaient déjà présente…
Oubliez donc la force, la constitution ou la dextérité quand il s’agira de répartir vos points au départ, les caractéristiques maitresse seront la Sagesse et l’Intelligence qui détermineront vos options de dialogue et éventuellement le charisme pour votre crédibilité à convaincre. Car c’est une spécificité de ce jeu, c’est bien votre personnage qui dialoguera, si vous êtes plus intelligent que lui, ça ne vous servira à rien, et il pourra souvent être plus malin que vous du reste…
Oh, et si vous vous attendez à ce que le destin de la Cité voir celui du multivers se dévoilent comme entremêlés aux vôtre au détour d’une révélation… Sachez que non, du début jusqu’à la fin, c’est l’histoire d’un individu en quête de lui même, rien de plus mais rien de moins
Mais l’immortalité ne vas-t-elle pas ôter tout son sel à l’expérience? A vaincre sans péril, ne triomphe-t-on pas sans gloire?
En premier lieu, sachez que l’aventure n’est pas sans danger pour autant… Trois résidents de la cité sont tout à fait en capacité de faire passer un immortel de vie à trépas si vous les poussez à bout (je rappelle que la Dame des douleurs a une divinité à son tableau de chasse)
Il existe également un piège qui pourra vous emprisonner pour l’éternité, aboutissant de fait à la fin de l’histoire, et une zone précise de l’univers où la mort redeviendra une réalité…
Pour couronner le tout, si vous commettez l’erreur de tuer ou de laisser mourir un personnage avant qu’il vous révèle un indice clé, à défaut de perdre, vous aurez rendu le jeu impossible à gagner et donc scellé à jamais les portes de votre passé…
Un minimum de prudence continue néanmoins de s’imposer…si la mort et la défaite passe du statut de risque courant du jeu à celui d’invité exceptionnel, un excès de confiance pourra être fatal…
Mais par delà ces petits détails, c’est un magnifique cas de résonnance ludo-narrative qui nous est offert, vous arpenterez la plus fascinante des cités dans la peau barrés de cicatrices d’un immortel amnésique…
Que pourrait-on évoquer de plus? Les musiques somptueuses et de toutes beauté?
Le doublage, parcimonieux mais de qualité? Certaines répliques vous hanteront longtemps de leurs échos…
Mais par dessus tout, une des histoires qui laissera les marques les plus profondes sur votre âme lorsque vous serez parvenu à sa fin… Histoire qu’on pourrait résumer à une question dont elle constitue la réponse. Qu’est-ce qui peut changer la nature d’un homme?
On pourrait reprendre l’observation formulée à l’égard du Sandman de Neil Gaiman, si ce n’est pas de la littérature, alors rien n’est littérature…
On peut achever cet humble panorama par un trailer réalisé par un fan, et la prophétie lancinante qui nous sera offert de manière diégétique dans les premières minutes du jeu…
“I should wait for you in Death Hall, my love”