Portrait du populiste en charlatan
Quelques années plus tôt, Simon Wren-Lewis s’était demandé pourquoi le désenchantement vis à vis de la mondialisation avait poussé les citoyens à s’en remettre à ce qu’il qualifiait de “vendeur d’huile de serpent”, en référence aux charlatans de jadis.
Une expression particulièrement bien choisie, du point de vue de Chris Dillow, puisque les vendeurs d’huile de serpents, auquel Morris a consacré un album de sa série phare, ont prospérés pendant des décennies, et de fait, sont loin, très loin d’avoir disparu de nos sociétés… Il serait donc pertinent de s’interroger sur les recettes de leur succès…
Nous nous appuierons sur le fameux papier de recherche que Werner Troesken a consacré à la croissance des remèdes brevetés au sein des USA du XIXéme siècle. Quatre points soulevés par le chercheur sont particulièrement pertinents, puisqu’ils mettent en lumière la similitude entre les populistes et les charlatans écoulant leur camelote.
En premier lieu, les remèdes brevetés écoulés par nos charlatans n’étaient pas totalement dépourvus d’efficacité, certains d’entre eux contenaient des doses d’alcool ou d’opium, qui généraient un soulagement à court terme pour le patient qui y avait recours. Comme le montra Ran Spielger, si les victimes de nos docteur Doxey confondent ce soulagement avec une authentique guérison (ce qui a d’autant plus de chance de ce produire si le mal dont ils étaient infligés se serait résorbé de lui même si on avait laissé la nature suivre son cours), la demande pour les élixirs miracles va aller en s’accroissant. Dans cette tradition, on peut citer le cas d’école des politiques populistes en Amérique latine, où la manière dont Trump a pu combiner des restrictions au commerce international avec des politique de stimulus fiscal…
Deuxième facteur à prendre en compte, l’incapacité des remèdes brevetés à guérir les maux de nature chronique, elle aboutissait paradoxalement à stimuler leur demande sur le marché, au fur et à mesure que de plus en plus de clients potentiels se retrouvaient frappés par la maladie. Rien d’étonnant à cela, les personnes malades succombent plus facilement au désespoir, et les personnes désespérés auront tendance à prendre des risques. Dans son papier, Troesken cite Albert Prescott, un professeur de chimie ayant écrit cette observation en 1881 :
“De la même manière que les malheureux à deux doigt de se retrouver à la rue, sacrifieront les derniers sous qu’il leur reste pour acquérir un billet de loterie au lieu de les déposer à la Banque, nous verrons l’infortuné, exposé aux avanies autrement plus douloureuse de la prostration du corps et de l’agitation nerveuse, mettre de côté ses vagues appréhensions vis à vis du caractère sans scrupules des vautours qui font des cercles au dessus de son lit de mort, pour tenter la toute dernière chance qui lui reste en essayant le remède douteux qu’on lui fait miroiter.”
Intuition qui constitue, bien évidemment, une anticipation de la théorie des perspectives, les agents qui ont encaissés des pertes seront plus inclinés à prendre des risques. Et c’est un phénomène analogue qui se produit avec l’essor du populisme, les citoyens qui se considèrent comme les perdants du système actuel miseront le peu qu’il leur reste à perdre en pariant sur le changement que leur font miroiter les populistes de droites comme de gauche.
En troisième lieu, les vendeurs d’huile de serpent fournissaient beaucoup d’efforts en terme de marketing, faisant tout leur possible pour en faire gonfler leur hype, clamant haut et fort que l’efficacité de leur produit surpassait toutes les alternatives possibles. Comme le faisait remarquer Troesken :
“Pourquoi se contenter de promettre d’être en mesure de guérir une seule maladie, ce qui aboutirait à restreindre inutilement votre marché? Faites plutôt miroiter une panacée universelle capable de guérir toutes les maladies, et vous verrez augmenter le nombre de personnes prêtes à payer un prix d’or pour l’acquérir, A fortiori parmi les victimes des maladies les plus infâmantes, douloureuses et incurables. De manière similaire, ne vous contentez pas de promettre au patient de simplement soulager ses souffrances, faites lui miroiter une guérison complète.”
Les authentiques médecin étaient impuissants face à ce baratin commercial, puisque les clients mal informés étaient dans l’incapacité de faire une distinction entre un remède de qualité et une camelote dépourvue de vertu médicales.
“Celui qui cherche à écouler des remèdes aux coûts élevés aura beaucoup de mal à émettre des signaux attestant de leur haute qualité, puisque tout les fournisseurs de remèdes auront recours à la publicité pour émettre des signaux attestant de la haute qualité de leurs propres produits, y compris ceux qui écoulent les produits de la plus basse qualité sur le marché. En vertu de l’asymétrie d’information, les consommateurs mettrons simultanément en doute le producteur de marchandise de haute qualité que le charlatan écoulant de la camelote de piètre qualité. Le médecin aura beau leur dire “Ne gaspillez pas votre argent sur des remèdes de bonne femmes qui ne vous apporteront jamais la guérison promise”, en l’absence d’une autorité indépendante leur garantissant que le médecin en sait plus que le camelot, les patients n’avaient guère de raison d’attacher plus de crédit aux paroles du médecin qu’à la publicité des bonimenteurs.”
Pour finir, le dernier stratagème des charlatans était de jeter le doute sur les compétences des experts, tactique facilitée par la limite des compétences dont disposaient effectivement les experts dont ils flétrissaient la réputation (ce qui nous offre un parallèle avec les élites actuelles).
Troesken cite un numéro de Scribner’s Monthly datant de 1881, magazine faisant la publicité des remèdes brevetés malgré la protestation des médecin :
“L’autorité médicale est un mythe… Il n’existe rien de telle. Les citoyens sont, et seront toujours, dans l’obligation d’être les seuls juges en matière de remède ou de médecin”
Quand un populiste comme Jacob Rees-Mogg nous affirme que “les experts, les voyants qui consultent les entrailles de poulet et les astrologues sont tous à mettre dans le même sac”, il ne fait que nous renvoyer l’écho des boniments des charlatans du XIXéme siècle, ce qui n’a rien de bien surprenant au fond…
Le point à retenir est des plus simple, il n’y a rien de nouveau sous le soleil, Simon Wren-Lewis a parfaitement raison de comparer les populistes aux charlatans de jadis, puisque leur méthodes sont rigoureusement les mêmes.
Et cela n’a rien d’étonnant, puisque ces méthodes fonctionnent. Et avec d’autant plus de facilité que nous avons un biais en faveur des charlatans. Les libéraux aiment à penser que dans le marché des idées, les bonnes idées chasseront les mauvaises, de la même manière que dans les autres marchés, les produits de haute qualité mettront les fournisseur de camelotes sur la paille… L’histoire nous rappelle cependant que ce n’est pas toujours de cette manière que tournent les choses…