Réfutation philosophique du terfisme : I les personnes transgenre renforcent-elles les stéréotypes de genre? (Non)

Marie la rêveuse éveillée
22 min readMay 6, 2023

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Traduction d’un article qui m’avait fait l’effet d’un électrochoc alors que je faisais mes premiers pas timide hors de ma coquille… Au vu de sa taille volumineuse, je scinde sa traduction en trois.

Depuis quelques semaines, il semblerait que la blogosphère philosophique soit agité par un débat autour des droits des personnes trans. Il se pourrait que vous même, vous vous posiez des questions sur votre propre position à ce sujet. Peut-être que vous vous identifiez comme féministe, ce qui n’est pas forcément d’un grand secours en l’espèce puisque les deux camps se revendiquent du féminisme.

D’un côté, nous avons les féministes “critiques du genre” qui interprètent le débat comme un conflit d’intérêts entre les personnes trans et les femmes cisgenre (aka non trans).

De l’autre côté, nous avons affaire à un groupe moins cohésif mais beaucoup plus large de féministes qui défendent l’idée que ce soi-disant conflit est créé de toute pièce, et se réduit au final à un prétexte pour exprimer et mettre en pratique la haine vis à vis des personnes transgenre.

Statistiquement, cher philosophe, il y a de forte chance que vous soyez, comme moi, un homme cisgenre vous-même, et en conséquence, quelque peu dépourvu d’expertise en la matière, ce qui renforce vos difficultés à vous positionner.

Si j’en juge aux publications sur facebook, un nombre important d’entre vous contemple le conflit d’un point de vue extérieur, pour adopter la position que le féminisme critique du genre est un courant de pensée respectable injustement diabolisé dans une tentative de réduire au silence ses adeptes.

Ce que vous exprimez par des affirmations de ce type (citation anonyme issus de personnes différentes à chaque fois) :

  • “Je ne défends PAS la position féministe critique du genre (ou peu importe le nom par lequel vous désignez cette position) Je défends simplement le droit d’en discuter , de prendre en considérations certains de leurs arguments qui peuvent former une base intéressante à des sujets qui valent la peine d’être étudié. Contrairement à l’attitude qui prévaut dans certaines sphères de les exclure d’entrée de jeu sans en débatre au préalable.”
  • “(Il) ne défend pas sa position, il défend simplement l’idée d’un libre débats d’idée en général.”
  • “Je dois aussi ajouter que je ne défends pas l’idée que la nouvelle législation en matière de droit des personnes transgenre est problématique, je défends la légitimité à la mettre en question et à en discuter, un droit qui semble dénié à certaines personnes.”
  • “Tout ce qu’elle a affirmé, c’est que les traitements hormonaux ou chirurgicaux ne sont pas suffisants pour faire d’un individu une “femme” selon sa propre définition. Ok, c’est une opinion, peut-être que d’autres personnes pensent différemment en la matière, mais ce n’est pas nécéssairement insultant ou injurieux…”
  • “Coopérons tous ensemble, pour nous mettre clairement d’accord sur le fait que nous rejetons les menaces, hélas trop fréquentes, de réduire au silence et de priver de toute possibilité de s’exprimer qui tendent à être brandies vis à vis de certaines collèges. Il est également nécessaire de s’opposer à la stigmatisation et la diabolisation de ces mêmes personnes pour la simple défense d’opinions philosophiques.”
  • “Il faut nous opposer à toute tentative de censure d’une opinion et de délégitimation A priori d’une position sans discussions, peu importe qu’elle se dissimule sous des pretextes aussi nobles que la lutte contre la haine ou l’intolérance.”
  • “Nous condamnons avec la plus grande fermeté la rhétorique cruelle et abusive dont sont victimes certaines philosophes pour discréditer leurs opinions, et cela inclut les accusations de haine ou de transphobie qui leurs sont adressés en guise de seul contre-argument.”

Chers philosophes, cet article constitue ma tentative de vous convaincre qu’en effet, il ne vaut pas la peine de s’engager dans une quelconque discussions avec les féministes critiques du genre. Leurs détracteurs sont parfaitement justifié à qualifier leur pensée comme dépourvue d’une quelconque valeur…

(Il ne faut pas comprendre cet article comme une accusation à votre égard, ou de ceux qui défendent ces positions. Pas plus qu’il ne s’agit d’une tentative de jeter l’opprobre sur vos motivations comme vos personnes. J’ignore tout des circonstances comme des motivations personnelles qui ont pu amener certaines personnes à défendre telle position plutôt qu’une autre. En toute honnêteté, avoir défendu un point de vue en public et se maintenir sur la défensive une fois que les critiques commencent à fuser peut déjà constituer une motivation à part entière. On pourrait également imaginer des motivations du type “Cette personne m’a défendu quand je faisais l’objet de critique injustifié, il est normal que je lui renvoie l’ascenseur quand c’est son tour…”

Mon but ici n’est pas non plus de discuter des étapes pratiques, comme la question de savoir où tracer la ligne entre la protestation légitime et le harcèlement, ainsi que toutes les problématiques similaire. Je ne cherche à défendre qu’un seul point ici, est ce que la position féministe critique du genre est digne, ou non, de respect intellectuel)

(J’utiliserais les termes “critiques du genre” ou les abréviations GC (gender criticals) ou GCRF (Gender critical radical féminist/féminism) pour la simple et bonne raisons que ce sont les termes que les adeptes de ce courant utilisent pour s’identifier. L’utilisation de ces termes ne doit donc pas être comprise comme constituant une accusation, un contre-argument en lui même, ou une manière de court-circuiter le débat. Il s’agit simplement d’une application de l’adage “Ne va jamais attaquer des personnes par la forme quand tu peux les attaquer sur le fond”. La position alternative à la leur sera qualifié de Pro Trans, faute d’un meilleur terme)

Pour en revenir à la situation difficile dans laquelle vous vous retrouvez enlisés, chers collègues philosophes, je suppose que votre principale difficulté est la radicalité des affirmations émises du côté pro trans.

Elles n’affirment pas seulement que les positions sont fausses, ce qui serait de bonne guerre dans toute discussions, la majorité des idées philosophiques se sont révélés fausses, à tout le moins discutable sur le long terme, après tout.

Elles n’affirment pas seulement que le GCRF est faux sur des points fondamentaux qui ont des conséquences pratiques négatives, ce qui en soit n’a rien de problématique, vous êtes philosophe, après tout, votre perspective générale est que même les opinions fondamentalement fausses, et même dangereuses, méritent d’être débattus publiquement, pour en démontrer la fausseté comme la dangerosité.

Le camp pro trans semblent aller un cran plus loin, puisqu’elles vont jusqu’à qualifier le camp GC comme, pour parler crument, de la “merde”, dépourvue de la moindre valeur intellectuelle, farcie de haine, et haïssable sous tous ses aspects.

Elles affirment qu’au lieu de gagner quoique ce soit, sur le plan intellectuel, à débattre avec les GC, le résultat est au contraire une perte. Les débats autour des problématiques liés au genre sont polluées en essayant de prendre en compte la perspective GC. Ce courant obscurcirait les choses bien plus qu’il ne les mettrait en lumière, et déformerait bien plus qu’il n’aiderait à clarifier quoique ce soit, pour la simple et bonne raison que les arguments intellectuels qu’il met en avant ne constituent pas son principale moteur, mais un simple rideau de fumée pour le seul véritable objectif de ce mouvement, un antagonisme vis à vis des personnes transgenre.

(Note : Dans cet article, j’utiliserais les termes “haine”, “haineux” et “transphobe” dans la lignée d’un essai que j’ai consacré au sujet. La haine n’est pas compris comme une émotion, ici, mais comme un échec à incorporer pleinement l’humanité des autres personnes dans votre vision du monde)

Peut-être que vous avez du mal à le comprendre, ou même simplement à le voir… Vous avez parcouru ces longues chaines de commentaires sur Daily Nous, étudié des confrontations par articles interposés sur Medium, pris la peine de jeter un coup d’œil aux affirmations du côté GC, et elles vous ont parues, si ce n’est vraies, à tout le moins suffisamment raisonnable pour se situer dans la zone d’un débat respectueux de part et d’autre.

Les dénonciations du côté pro trans vous paraissaient en décalage complet avec le ton mesuré, prudent et modeste du côté GC. Rien dans leurs proses ne vous donnaient l’impression d’avoir affaire à un discours haineux. De fait, vous aviez plutôt l’impression de voir des personnes de bonne foi injustement stigmatisé et diabolisé, vous êtes habitués à vous identifier aux côtés qui posent des questions, et en conséquence, c’est un réflexe naturel pour vous de prendre la défense du camps CG quand elles vous donnent l’impression de simplement poser des questions et d’être harcelées pour cette seule attitude, qui vous a toujours paru légitime.

Que faire donc, puisque vous entendez continuellement que leurs idées seraient au final simplement “merdiques”, alors même que vous ne percevez pas vous même ce que leurs discours ont de problématique au fond?

Chère philosophe, j’étais dans la même positions que vous. Je savais que je voulais offrir mon soutien à mes amies et collègues transgenre, et je ne ressentais guère d’inclinations du côté des conclusions auquel voulaient aboutir les GC, mais j’aurais toujours un faible devant l’idée de “simplement poser des questions légitimes, sans A priori ni réponses données d’entrée de jeu”.

Mon réflexe aurait été de dire quelque chose du genre “Si nous sommes toutes et tous des féministes, ne devrions nous pas essayer de trouver un terrain d’entente, de comprendre nos divergences, et d’essayer de trouver un juste milieu qui offrira la meilleures synthèses de nos différentes perspectives?”

Mais en pratique, le consensus chez la totalité des personnes que je percevais comme détenant une quelconque autorité en matière de féminisme, depuis des philosophes de renom jusqu’à des amies bien informés, c’était au contraire l’idée que le féminisme GC ne serait jamais un courant vis à vis duquel il y aurait une quelconque valeur à faire une synthèse ou à rechercher un terrain d’entente…

J’avais décidé de me mettre au diapason de ce consensus qui semblait régner chez les féministes, à savoir l’idée que le GCRF serait au fond de la merde, même si j’avais des difficultés à articuler clairement les raisons justifiant ce jugement. Après tout, il s’agissait de personnes que je respectais, j’avais pleinement confiance dans leur jugements en matière de féminisme de manière générale

J’aurais pu adopter une attitude différente “Ces féministes dont je respecte habituellement les opinions me semblent bien trop fanatisées et dogmatique sur ce sujet précis, mais en tant qu’homme blanc de classe moyenne, je peux m’offrir le luxe d’une appréciation approprié de l’importance d’une discussions ouverte.”

Peut-être que c’est actuellement votre position, cher philosophes, mais fort heureusement, ce ne fût pas la mienne. Au lieu de cela, je me suis mis à chercher la forêt que je ne parvenais pas à percevoir malgré mon examen des arbres qui la dissimulaient à mes yeux.

Mais j’ai cherché à mieux comprendre les enjeux du débat, j’ai donc pris le temps de lire, d’écouter et de réfléchir, avant de prendre une position publique ferme en la matière, et plus je m’attelais à cette tâche, plus j’étais en mesure de voir la fameuse forêt, et d’aboutir à la conclusion qui m’avait été suggéré initialement, en comprenant que le féminisme critique du genre se réduisait à une pollution infectant les débats autour de la question du genre, et qu’il était plus pertinent de le comprendre comme un rideau de fumée intellectuelle dissimulant un antagonisme vis à vis des personnes transgenre au lieu de le confondre avec une école philosophique digne de considération.

Dans cette article, je vais essayer d’articuler les raisons qui m’ont convaincu de cette position au niveau intellectuelle, alors que jusque là, j’avais adopté cette position de par la confiance et le respect que j’éprouvais vis à vis des personnes qui la défendait.

Pour cela, je vais me livrer à un examen approfondi de ce qu’il me paraît approprié de qualifier des trois positions centrale du GCRF.

  • Les personnes transgenre renforcent les stéréotypes de genre
  • Des enfants et adolescents qui ne se conforment pas aux normes et stéréotype de genre seraient poussé et même quasi forcé à transitionner, et ce de manière imprudente, entrainant des conséquences dramatiques à terme
  • Inclure des femmes transgenre dans des espaces féminins comme les toilettes ou les vestiaires exposeraient les femmes cisgenre à des risques

Je vais essayer de démontrer que ces trois affirmations ne sont pas seulement fausses, mais dépourvue de fondement, s’enracinant dans une combinaison de confusion conceptuelle et d’erreurs factuelles, et que l’adhésions à ces affirmations, sous la forme d’une idéologie, s’expliquent uniquement par l’anxiété, la confusion et l’hostilité vis à vis des personnes transgenre, ce qui constitue au final leur fondement comme leur seul moteur.

Partie 1 : Est ce que les personnes transgenre renforcent les stéréotypes de genre? (Non)

Les deux premières idées que je veux critiquer sont illustré de manière appropriée par cette image populaire, qui sert pratiquement d’étendard au subreddit “critique du genre” (en espérant que la source de cette image démontrera que je ne tresse pas d’homme de paille en la matière)

(L’image montre deux silhouettes, la première représente un homme stylisé avec un cercle rose symbolisant la fémininité dans la tête, la seconde est une femme stylisée avec un cercle bleue symbolisant la masculinité dans la tête. L’objectif est visiblement de représenter une personne assignée homme à la naissance (le terme “homme biologique” est également utilisé) disposant d’intérêts ou d’une personnalité jugées “féminine” ainsi qu’une personne assignée femme à la naissance (ou “femme biologique” avec un style, des intérêts ou un tempérament jugé masculin)

Cette image suggère que la société sexiste/patriarcale et l’idéologie transgenre seraient chacune le reflet de l’autre, la première forçant les personnes à modifier leur personnalité pour qu’elle devienne approprié à leur sexe biologique, la seconde forçant les personnes à modifier leur sexe pour qu’il devienne approprié à leur personnalité. Quant aux féministes GC, elles seraient les seules à laisser ces personnes hypothétiques être libre de leur identité sans leur imposer d’injonctions.

Une image qui résume et synthétise parfaitement la perspective GCRF sur ce débat. Elle a malheureusement un léger problème, sa caractérisation de “l’idéologie transgenre” est complétement fausse… et fausse dans le sens où elle se situe à des années lumières de la réalité.

Nous pouvons distinguer deux inquiétudes véhiculées par cette image

A)Les transitions de genre, même si elles sont effectuées de manière volontaire, aboutirait à renforcer les stéréotypes de genre en s’assurant que toute personne avec des intérêts et un tempérament “féminin” sera une femme et réciproquement que toute personne avec des intérêts “masculins” sera un homme

B)Les personnes en non conformité de genre sont incitées/pressurisées à transitionner. Point que nous discuterons ici et dans la section suivante.

L’idée que les personnes transitionnerait dans l’objectif de mieux correspondre aux stéréotypes de genre est, aussi loin que je peux en juger, tout simplement fausse. Ce n’est tout simplement pas la réalité effective de la chose. La conformité aux stéréotypes de genre et l’identité de genre sont deux choses distinctes, l’une peut exister sans l’autre, et les personnes transgenre en sont parfaitement conscientes.

Avoir des intérêts et des goûts en décalage avec ceux qui sont associés aux genre qui vous est assigné à la naissance, en soi, ce n’est pas une raison justifiée pour transitionner, et avoir au contraire des goûts et intérêts en conformité avec le genre qui vous est assigné à la naissance ne constitue pas non plus une raison qui devrait vous empêcher de transitionner.

Je n’ai pas d’expérience personnelle en la matière, il est donc possible que je me trompe, mais en revanche, j’ai cessé de compter le nombre de personne transgenre que j’ai entendu affirmer, de par leur propre expérience personnelle, que pour se voir diagnostiquer une dysphorie de genre, le seul critère à remplir est de se rendre à la clinique et d’affirmer “Je suis/veux devenir un garçon/une fille”, les centres d’intérêts, goûts, inclinations ou tempérament “féminins”/”masculins” n’étant pas jugé dignes d’entrer en considération sur la question.

Pour le moment, je n’ai rencontré aucune personne transgenre pour me contredire sur ce point, et les critères de diagnostic actuels du DSM s’accordent à cette affirmation.

Et si j’en juge à ma propre expérience personnelle, la majorité des personnes transgenre que j’ai pu rencontrer disposent de bon nombre de traits et d’intérêts qui seraient considérés on ne peut plus atypiques pour leur genre.

Qui plus est, je n’ai jamais rencontré une seule personne transgenre ou une seule féministe pro-trans suggérant qu’être un homme stéreotypiquement féminin ou une femme stéreotypiquement masculine serait nécessaire ou même suffisant pour être une femme transgenre ou un homme transgenre.

(après, il est bien possible que dans le vaste océan d’internet, on trouve au moins une ou deux personnes ayant défendu cette position, mais c’est le cas de la totalité des idées existantes)

Il y a bon nombre d’homme transgenre avec des intérêts codés féminins et tout autant de femme transgenre avec des intérêts codés masculins. Si votre objectif est réellement de laisser un espace de liberté aux femmes masculines ou aux hommes féminins, le transféminisme serait de votre côté.

Maintenant, entendons-nous bien, je ne pense pas que cette idée est une pure création du mouvement GCRF. Ma compréhension du phénomène est que l’idée de la transition de genre comme méthode de guérison de la non conformité de genre a toujours plus ou moins flotté depuis un certain temps, mais ce ne sont pas les avocats de la cause trans qui la défendaient, bien plutôt leurs adversaires au sein du système médical. Des adversaires contre lesquels les personnes transgenre ont du batailler depuis des décennies pour ébrécher et essayer d’abolir les barrières à l’entrée opposées à leur transitions.

En pratique, la moitié de ce que les personnes trans ont affirmé vis à vis de leur propre identité en tant que personne transgenre reflète le script implicite et explicite que leur imposaient les professionnels pour les juger digne ou non d’avoir accès aux traitements médicaux que leur patient(es) réclamaient.

Si la seule manière d’avoir accès à une transition médicale est de faire des confessions du type “j’ai toujours su que j’étais un garçon/une fille né dans le corps d’une fille/d’un garçon, depuis le moment où mes parents m’on offert une poupée/auto miniature alors qu’en réalité, au fond de moi, c’était l’auto miniature/la poupée que je désirais” alors c’est ce que les personnes transgenre confesseront.

Bien sûr, il peut arriver à certaines personnes transgenre d’accentuer des traits ou marqueurs sociaux qui correspondent aux stéréotype de leur genre, de manière à avoir un meilleur passing et faciliter leur intégrations à la société… mais c’est aussi le cas de bon nombre de personne cisgenre!

Nous devrions éviter de déchiffrer une idéologie derrière la manière dont les personnes gèrent les problématiques que leur imposent la vie comme la société.

Et les GC sont particulièrement mal placées pour le faire puisqu’elles sont les premières à pointer du doigt ou tourner en dérision les personnes transgenre qui ne parviennent pas à adopter un passing adéquat selon leur standards, ou expriment des intérêts/traits associés au genre qui leur a été assigné à la naissance.

Par exemple, les GC accusent les femmes trans d’irradier d’ ”énérgie masculine”, mettant les femmes cisgenre dans l’inconfort chaque fois qu’elles s’immiscent dans un espace féminin.

Si vous étiez à l’inquiet à l’idée que le moindre trait codés masculins puissent être interprété comme évidence de votre “énergie masculine”, est-ce que vous ne vous efforceriez pas d’agir ou de paraître d’une manière plus stéréotypiquement féminine?

Dans ce cas de figure, est-ce que vous ne seriez pas écœuré à l’idée qu’on vous accuse de renforcer les stéréotypes de genre? Est ce que ce n’est pas au fond une manière cruelle de vous imposer des injonctions contradictoires dans un sale petit jeu où vous ne pouvez décidément pas gagner?

Il me parait nécessaire d’insister sur la fausseté de l’affirmation “les personnes transgenre renforcent les stéréotypes de genre”, pour la simple et bonne raison que cette affirmation ne parait pas absurde A priori.

Si je n’avais jamais rencontré de personnes transgenre ou étudiés les écrits de personnes transgenre, j’aurais plus ou moins anticipé que les personnes effectuant une transition de genre serait celles qui correspondraient le plus aux stéréotypes du genre de leur choix et serait en dissonances avec les stéréotypes de leur genre assigné à la naissance.

Cela s’insérerait à merveille dans une théorie parcimonieuse du genre : Il y a des corps sexués, des stéréotypes sociaux, la transition se produit en cas de dissonance trop forte entre les deux.

Cette théorie parcimonieuse aurait pu s’avérer correcte mais s’est révélé en pratique fausse. Tout ce que les personnes transgenre affirment de leur vécu comme de leur expérience montrent la fausseté de ce modèle. A moins de supposer qu’elles mentent systématiquement ou qu’elles sont enfermées dans un déni perpétuel vis à vis de leur propre motivations, il faudrait peut être simplement comprendre que la psychologie du genre est plus complexe et nuancée qu’une pure idée A priori.

Une personne assignée garçon à la naissance peut désirer au fond d’elle même être une femme en contradiction flagrante vis à vis de multiples stéréotypes féminins, et une personne assignée fille à la naissance peut désirer être un homme en contradiction flagrante avec de multiples stéréotypes à propos de la masculinité.

Je ne dispose pas de théorie pour expliquer cet état de fait, mais ce sont les données sur lesquelles nous devons nous baser, et se débarrasser d’une théorie explicative inadéquate en conflit avec ces mêmes données est la première étape nécessaire à leur meilleur compréhension.

Qui plus est, se débarrasser du modèle basé sur les stéréotype de genre est la première étape nécessaire pour démontrer que vous essayez sérieusement de comprendre la réalité et que vous prenez un minimum au sérieux ce que les personnes transgenre peuvent avoir à dire sur leur propre vécu.

Par contraste, faire la promotion du modèle basé sur les stéréotypes revient à falsifier les données pour sauver une théorie. Cela revient à dénier ou ignorer les descriptions que font des personnes de leur propre motivations quand il s’agit de prendre des décisions majeures vis à vis de leur vie personnelle, et préférer des théories dont le seul mérite est d’attribuer à ces mêmes personnes des motivations douteuses ou contestables qui correspondent mieux à la place que nous leur accordons dans notre propre vision du monde.

Raison pour laquelle je qualifie cette attitude de “haineuse” ou de “transphobe”. Il s’agit d’une forme épistémique du refus de respecter l’humanité des personnes transgenre, un refus de les écouter ou de les croire, un refus de traiter ces personnes comme la meilleure source d’information possible concernant leurs propres émotions comme leurs propres vécus.

Une haine qu’on peut concevoir comme banale ou en quelque sorte “compréhensible”, dans la mesure où elle ne nécessite pas une perversité rare et anormale pour l’expliquer, ni même une émotions ou un dégoût particulièrement intense à son origine.

Tout ce qu’elle nécessite c’est une forme banale d’adhésion bornée en vos propres opinions. Vous commencez par essayer de comprendre quelqu’un d’autre, vous générez une explication à son attitude comme ses décisions qui vous paraissent intelligible à votre niveau personnel, et par la suite, vous vous y accrochez bec et ongle alors même qu’elle rentre en contradiction avec les évidences qui vous sont présentés.

Peut-être que vous ne prenez pas la peine d’étudier sérieusement les éléments en contradiction avec votre explication personnel, ou choisissiez de les voir de manière systématiquement sceptique et avec un biais de charité interprétative inversée.

Peu importe le mécanisme au fond, vous vous accrochez à une explication qui fait sens pour vous, qui parait simple et logique, peu importe les évidences à son encontre.

A un certain niveau, c’est une forme de paresse intellectuelle, mais ce qui lui donne une coloration haineuse est la sélectivité des témoignages que vous êtes prêts à accepter ou rejeter sur le champs sans plus de réflexion.

Considérez cette série de tweet que je vais citer en les anonymisant :

“Ce qui me met mal à l’aise avec la culture transgenre, c’est la manière dont je vous beaucoup de personne transgenre renforcer les stéréotypes de genre… Je ne suis pas une femme typiquement “féminine” pour une multitude de raisons que je ne vais pas détailler ici… Alors quand je vois une femme transgenre avoir recours à la chirurgie pour rendre leur voie plus aigue, je me mets à penser “mais être une femme, ce n’est pas ça..”

Je vois toute ces femmes transgenre faire toute ces choses supposées féminines et je penses, qu’être une femme, ça ne devrait pas être ça… Et oui, les femmes cisgenre le font aussi, mais quand je vois les femmes transgenre le faire, c’est comme si elles me disaient qu’être une femme, ce n’est pas autre chose que ça, et ça me blesse.”

Cela constitue un excellent exemple du refus de prendre pleinement en considération l’humanité d’autrui, sans faire preuve de malice ou d’antipathie particulière à son égard.

Regarder quelqu’un prendre des décisions sur leur propre corps ou la manière dont elles apparaissent aux yeux des autres, admettre que bon nombre de personnes font de même, mais dans le même temps, avoir l’impression que quand ces personnes spécifiques le font, elles imposent une position sur ce que doit constituer la féminité pour l’ensemble des femmes, et ressentir cela comme un affront.

Cela revient à interpréter la vie personnelle d’autrui à travers le prisme de la manière dont cela pourrait impliquer quelque chose à propos de vous même, et les émotions suscitées par cette implication fantôme, plutôt que de voir les décisions personnelles d’autrui comme une chose que cette personne fait pour elle même, vraisemblablement avec des idées complexes et des motivations ambiguës, ancrées dans les spécificités de leurs propres vies comme de leur propre situation.

Cela revient à ne pas laisser d’espace, dans votre vision du monde, à quelqu’un, pour qu’il puisse être une entité plus grande que les sensations qu’il ou elle suscite chez vous, et le faire spécifiquement parce que cette personne appartient à un groupe minoritaire avec lequel vous n’êtes pas familier.

Bien que cela constitue une forme de “haine” au sens spécifique que j’ai donné à ce terme, ce n’est pas quelque chose dont le monopole est détenu par les individus méprisables ou les individus rongés par la colère.

Ce n’est même pas une chose positive à proprement parler, plutôt une absence… Un échec à rectifier la tendance humaine, trop humaine, à l’égocentrisme, un échec à se dire “Attends voir, tout n’a pas à tourner autour de moi, je ne sais rien de cette personne ou de son histoire, je ne devrais pas partir du principe qu’elle cherche à m’imposer quelque chose ou à impliquer quelque chose à propos de moi”.

Pour clarifier les choses, il est parfaitement compréhensible et même normal d’éprouver des émotions ambivalentes vis à vis du genre et de la manière dont les autres naviguent en son sein. (C’est aussi mon cas)

Mais ne prenez pas ces sentiments comme une boussole adéquate de ce que les autres désirent, essaient de faire ou de vous faire comprendre, en partie pour la simple et bonne raison que ces personnes peuvent nourrir leur propres sentiments ambivalents vis à vis du genre, qui s’expriment à travers leurs actions.

Assigner des motivations simples voir simplistes à autrui, tout en s’octroyant pour son propre compte le droit à la nuance, à l’ambivalence et à la complexité, ce n’est pas respecter l’humanité d’autrui.

Chers philosophes, laissez-moi aussi vous suggérer deux manières dont ce grand mensonge vis à vis des stéréotypes peut être exprimés plus subtilement dans des contextes philosophiques.

Une première manière de le faire est le cadrage des alternatives. Vous avez peut-être vu des GC présenter des conférences et des articles structurés autour d’une évaluation comparative de deux stratégies rivales pour résister au patriarcat : La première consiste à transitionner d’un genre à l’autre, la seconde consiste à laisser les individus des deux genres embrasser des traits ou comportement non conforme au genre qui leur est assigné à la naissance.

Peut-être qu’elle glisseront, en passant, au cours d’une note de bas de page, qu’il est sans doute possible de combiner les deux stratégies de manière cohérente, mais formuler la questions en terme d’alternative binaire entre l’une ou l’autre stratégie est déjà réfutée par le simple fait que les personnes transgenre et les personnes cisgenre non conforme aux stéréotypes de genre sont déjà des alliés naturels et que respecter les premières va de pairs avec l’idée de respecter également les secondes.

La stratégie à adopter est de respecter la manière dont les personnes choisissent de naviguer au sein du genre, une stratégie qui bénéficie également aux deux catégories.

Une autre manière dont le grand mensonge sur les stéréotype de genre se glisse au sein de la philosophie est constitué par l’ambiguïté de la question “Qu’est ce que l’identité de genre?” ou sa variante “Qu’est ce que le genre?”

Vous avez peut-être remarqué que les CG adorent poser ces questions à leurs adversaires et critiquer les réponses qui leur sont donné. Vous avez sans doute songé quelque chose comme “Eh bien, c’est une question aussi justifiée que pertinente, ma foi, et j’aimerais connaître la réponse!”

Et une des choses qui m’a frappé, au fur et à mesure que je parcourais les écrits des personnes transgenre, c’est le simple fait qu’elles se posaient la même question! Bon nombre d’entre elles en discutent et expriment leurs curiosité à son égard, même si elle le font à l’abri des GC. Et bon nombre de philosophes féministes qui ne s’identifient pas GC écrivent aussi sur cette question, font des conférences à ce sujet, etc… Pour la simple et bonne raison que cette question peut être posée de deux manières différentes.

Une manière de demander “Qu’est ce que l’identité de genre?” est une manière de se poser des questions sur la nature de quelque chose dont l’existence est avérée et au delà de toute controverse. Cela revient à dire “Wow, beaucoup de personnes ont des préférences fortes vis à vis de la manière dont elles se présentent/apparaissent aux yeux des autres, la manière dont elles sont incarnés par leurs propre corps et la manière dont elles sont genrées, parfois en défiant les stéréotypes de genre. Quelle est l’origine de tout cela? Quelles sont les racines psychologiques et la structure de ce phénomène fascinant?”

Cette question est une invitation à l’investigation, si nous ne parvenons pas à trouver une réponse satisfaisante, cela signifie que nous devons déployer plus d’éfforts.

Il existe cependant une manière différente, et transphobe, de poser cette question : Comme un défi et un challenge. Cela signifie “Bon, les personnes transgenre peuvent affirmer que leur préférence en matière de présentation, d’incarnation et de genrage viendrait de cette chose aussi mystérieuse qu’intérieure qu’elle nomme identité de genre. Mais qu’est ce qu’est c’est que ça au juste? Je ne peux guère le comprendre, il est donc probable qu’elles se trompent.”

En d’autres termes, la formulation transphobe de la question en fait un test : Si une définition satisfaisante de l’identité de genre ne peut pas être produite hic et nun, alors la descriptions que font les personnes transgenre de leur propres motivations comme de leur propres émotions ne peut pas être pris au sérieux. Appelons ça la formulation sceptique de la question.

L’ambiguïté en matière de questionnement est une chose relativement courante en philosophie : Un philosophe posant la question “Mais au fond, que sont les formes hylémorphiques au juste?” implique la possibilité qu’il n’existe aucune chose de ce type, et si leur interlocuteur ne peut pas produire de réponse satisfaisante, c’est la conclusion naturelle qui semble s’imposer.

Mais un philosophe demandant “Qu’est ce que la coopération au juste?” pose une sorte de question différente, puisqu’il part du principe qu’il existe déjà une chose telle que la coopération. Si aucune réponse satisfaisante n’est trouvé, la coopération demeurera une chose mystérieuse, mais personne ne mettra en doute son existence pour autant.

Si quelqu’un demande “Qu’est ce que l’identité de genre?”, cela peut se comprendre comme une question type “Qu’est ce qu’une forme hylémorphique?” ou comme une question type “Qu’est ce que la coopération?”

Et utiliser la question de la première manière est une arme puissante puisque la majorité des personnes cisgenre auront naturellement tendance à rejeter une motivation pour la transition qu’elles ne peuvent pas comprendre ou à laquelle elles ne peuvent pas s’identifier, et préféreront lui en substituer une autre, plus familière ou plus satisfaisante (comme “elles veulent se conformer aux stéréotypes”, ou encore “elles sont instables mentalement” ou bien “c’est une forme de perversion sexuelle ou de fétichisme” et bien pire encore…)

Vous n’avez pas besoin d’affirmer explicitement que les personnes transgenre mentent pour les décrédibiliser aux yeux de vos lecteurs. Le style sceptique de mettre en question l’identité de genre est une manière innocente en apparence de déployer les outils de la philosophie pour mettre en doute le témoignage d’une minorité vis à vis de son propre vécu, et laisser les stéréotypes haineux combler le vide ainsi créé. C’est également une manière d’utiliser un scepticisme sélectif et biaisé dans l’objectif de dissimuler la vérité ou de disséminer des idées fausses à la place.

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Marie la rêveuse éveillée
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Written by Marie la rêveuse éveillée

Une personne qui s'égare souvent parce qu'elle passe son temps à se chercher...

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