Samudaripen, le génocide des tsiganes, quand une historienne libertaire se livre au devoir de mémoire pour une tragédie qu’on s’évertue à effacer

Marie la rêveuse éveillée
6 min readApr 12, 2023

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Le devoir de mémoire est une nécessité et une obligation éternelle, mais toujours d’actualité… Se souvenir, entretenir le souvenir de celleux qu’on a cherché à noyer dans l’oubli, ceux qu’on essaie encore et toujours de nous faire oublier…

C’est une triste réalité, même s’il faut lutter encore et toujours pour que cette ombre ne disparaisse jamais de nos mémoire, le soleil noir de la Shoah tends à éclipser d’autres astres peuplés d’horreurs qui ont gravité autour… Parmi eux, le Samudaripen…

Un mot romani construit sur le substantiel “mudarel” “Il tue” d’où provient le substantif abstrait “Mudaripen”, “le meurtre”. Mudarel qui a la même racine indo-européenne que le “meurtre” français et le “murder” anglais.

Quant au préfixe Sa, il s’agit d’un pronom indéfini qui signifie “Tout.” Ce qui dévoile la terrible signification du mot Samudaripen “Tuer tout”, “Meurtre total”. Un mot usé par les victimes pour désigner et garder en mémoire ce qu’on a essayé de leur faire subir.

Pour citer Claire Auzias : “Il ne s’agit pas dans Samudaripen d’exterminer tout un genre, mais d’exterminer n’importe quel groupe dans sa totalité. Il n’a pas le sens grec d’holocauste ni le sens hébreu de Shoah. Il indique dans la langue spécifique du peuple qui a subi ce meurtre de masse, tous ces sens à la fois. C’est “le génocide des tsiganes” mais aussi “le génocide pour les tsiganes et pour les autres”.”

Le génocide des grands oubliés de l’Histoire, ce “point de détail” qu’on évoque, entre deux virgules, mais sur lequel on ne s’appesantit guère… La tentative d’extermination des roms, sinti, gitans, tsiganes, gens du voyage, gypsies…

Celleux que les nazis regroupait sous le terme de Zigeuner, équivalent allemand de tsiganes, abrégés en une lettre Z, inscrit sur les pièces d’identité que leur assignait le Reich quand ce n’était pas tatoué sur la peau de celleux dont on faisait un bétail en route vers l’abattoir.

Une horreur dont on parle assez peu, pour ne pas dire presque pas… Arendt aura même ces mots terrifiants “La mort des juifs aurait-elle été un moindre mal s’ils avaient été un peuple sans culture, comme par exemple les gitans qui ont été exterminés, eux aussi?”

Toutefois, Arendt reportera fidèlement les enjeux du procès auquel elle consacra le plus célèbre de ses livres, rappelant que l’extermination des tsiganes faisait partie des chefs d’accusation porté à l’encontre d’Eichmann.

Les roms ont bien évidemment leur devoir de mémoire, le “Ma bister!” (“Souviens-toi” en romani). Mais là encore, je cède la parole à Claire Auzias, qui s’est faite la chroniqueuse de leur histoire.

C’est à nous, qui ne sommes pas tsiganes, d’imposer le respect de leur histoire, et de respecter le silence que d’aucun veulent maintenir. Dans la tradition lointaine, le peuple tsigane n’est pas un peuple du souvenir mais de l’oubli; un peuple de la vie sans cesse réinventé au présent. C’est à lui de choisir comment porter parmi nous, les gadjé-ces autres extérieurs mis à distance-ce qui lui est advenu. Et c’est à nous d’en savoir quelque chose, lorsqu’il passe parmi nous, parfois dans un grand bruit masquant l’intime silence.”

Un peuple qui fût réduit au statut méprisant d’”associaux” pour avoir vécu en nos marges, y compris les marges de nos livres d’histoire comme de nos commémorations.

Le “nomadisme”, à savoir l’errance en dehors des dispositifs de contrôle de l’Etat fût criminalisé, Toutes personnes au dessus de 18 ans ne pouvant prouver ses revenus était expédiés en camps de travail. Même celleux qui jouait le jeu de la sédentarité n’étaient pas épargnés.

Il fallait endiguer la “menace tsigane”, avant de l’éradiquer… Parquer et vaporiser cette population de criminel.le potentiel.e.

Et les nazis trouvèrent un dispositif tout préparés à leur disposition des années, si ce n’est des décennies avant leur accession au pouvoir… Les tsiganes étaient catalogués, fichés, enregistrés, tracés, par les forces de police et leurs discrimination théorisée et justifiée…

Un process qui n’a jamais vraiment cessé au fond, la manière dont nous traitons encore les roms est-elle si différente du terreau au sein duquel a germé le Samudaripen?

Nous les parquons, les surveillons, les gardons à l’œil, certains maires comparent ouvertement leurs caravanes à des dépôt d’ordure qu’on ne veut pas dans son jardin…

Ils sont déjà jugés, et condamnés, à un tribunal invisible où la présomption n’est pas d’innocence mais de culpabilité, où tout roms est au mieux un criminel en puissance, au pire un criminel en acte qui passe entre les mailles du filet…

Quoiqu’ils se passe, ielles sont vu.es comme des “bons à rien”, “des parasites” qui ne veulent pas “s’intégrer”, des survivances d’un passé qui n’a pas sa place dans nos société modernes…

Parce que nous avons refusé de regarder notre histoire en face, nous la répétons mécaniquement… jusqu’au moment où le fruit aura muri…

Pour citer Myriam Novitch, rescapée du ghetto de Varsovie, et qui a intégré à ses morts ceux d’un autre peuple ds ses commémorations et ses kaddish (prières des morts) : “Le génocide, c’est une formule très brève, c’est quand ont tue quelqu’un, non pas pour ce qu’il pense ou fait, mais pour ce qu’il est.”

Toujours selon Myriam Novitch, il y généralement 3 phases ds l’extermination des tsiganes menée par les nazis.

Tout d’abord, ils sont déclarés asociaux, ensuite on les met dans un camps de concentration, enfin on les extermine.”

Ces asociaux qu’on a réduit en esclavage, les faisant travailler à la constructions de leurs propres prisons comme de leurs propres abattoirs, quand ils ne servaient pas de mains d’œuvre bon marché dans les fermes, entreprises ou restaurants, ou comme participants au travaux publics. Bien évidemment, ceux qui “embauchaient” ces travailleurs particuliers ne leur versaient jamais le fruit de leurs labeurs…

Payant à la place les camps pour l’exploitation des roms au tarifs en vigueur. En d’autres termes, la plus inhumaines des administrations faisait peser sur les épaules de ses victimes le financement de leurs propres déportations, séquestrations et extermination.

Je ne saurais trop vous inviter à lire l’ouvrage si méconnu de Claire Auzias, quand bien même ses pages sont noircis par des horreurs digne de figure aux côtés de celles que Spiegelman a immortalisé sous son crayon dans Maus.

On y parle de populations stérilisés de force, parqués comme des bestiaux dans ses wagonq ou des dépôts pour être décimées par la famine et le typhus, quand les maladies ne leurs étaient pas directement et volontairement injectés…Quand ils ne finissaient pas gazés, que ce soit dans les sinistres chambres qui ont fait la notoriété d’Auschwiz ou des camions…et certain.e ont fini leur pauvre existence comme chair à scalpel à Mengele et ses complices…

Lisez si vous le pouvez, et si vous ne le pouvez, souvenez-vous de celleux qu’on a essayé de faire disparaître, et de leurs descendants qu’on continuent d’invisibiliser et d’altériser…

J’ai continué mon errance dans les marges de cette histoire qui doit être racontée…outre les horreurs et le désespoir qui irradie de chaque pages, on découvre, horrifiée que l’altérisation comme la criminalisation des roms se maintient quasi tel quel en notre douce France…

Parce que nous avons oubliés cette histoire, ou ce qui revient au même, l’avons maintenue dans les franges de notre conscience, le passé n’en a pas fini de passer, et nous continuons de répéter nos erreurs et de jouer le script comme des idiots et des somnambules…

Les directives du régime de Vichy à l’égard des Roms, cités en annexe, sont lumineuses dans leur raffinement de cruauté administrative avec une saveur délicieusement française dans le détail…De fait, j’inviterais tout.e celleux qui appartiennent à une minorité à les (re)lire, rien, absolument rien de nouveau sous le soleil, et cela démontre mieux que tout les traités théoriques à quel point notre oppression est méthodiquement construite…

Je me permets de renvoyer à cet article en complément, qui rappelle, une fois de plus, que le devoir de mémoire reste d’une éternelle actualité…

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Written by Marie la rêveuse éveillée

Une personne qui s'égare souvent parce qu'elle passe son temps à se chercher...

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