Sexed up III : La stigmatisation spécifique des minorités LGBT+
Et nous arrivons à une section d’une triste actualité, la stigmatisation des LGBT+ par la sexualisation
La conceptualisation Prédateur/proie et le script construit autour repose sur un ensemble de présupposés, la plus centrale d’entre elles étant que les humains peuvent se ranger en 2 catégories (homme masculin et femme féminine).
Deux catégories qui seraient naturellement attirés l’une vers l’autre de manière naturelle (hétérosexualité) et remplirais chacun de leur côté des rôles complémentaires (“agresseur/actif” et “objet/passif”)
Bien évidemment, Serano ne manquera pas de remarquer que dans la langue de Shakespeare, les individus conforme à l’ensemble de ses présupposés sont désigné par le terme Straight.
Mot synonyme de direct, franc, sincère, honnête, honorable, digne de confiance, droit, correct, non-altéré ou non-modifié, dépourvue d’embellissements, respectueux des lois, qui ne s’est jamais engagé dans la voie du crime…
Nul besoin d’être Nietzsche ou Derrida pour déchiffrer les implications, l’hétérosexualité cisgenre est perçu comme naturelle, normale, et correspondante à “l’ordre des choses”. Ce qui ne manque pas d’avoir des implications sinistres pour celleux qui sortent de ce schéma…
Que ce soit les personnes attirés par des individus du même genre (gay et lesbienne), des deux genres (bisexuel.les),n’éprouve aucune forme de désir sexuel (asexuel) ou existent en dehors des standards concernant l’identité de genre ou l’expression de genre (trans au sens large incluant le spectre non-binaire) ou des normes physiques par lesquels on définit la différenciation des sexes (les intersexes)
Serano rappelle brièvement les ordres de grandeur mesurable à ce jour aux US. 5% de la Population s’identifient dans les catégories gay/lesbienne/bisexuel/transgenre (ce qui n’inclut donc pas les asexuels et les intersexes dont la prise en compte gonflerait le résultat)
Et si les sondages de terrain se focalisent sur l’attraction vis à vis du même sexe, plutôt que l’identité, environ 10% de la population US ne serait pas conforme à l’hétérosexualité cis.
Pour être précise, 10% d’hommes et 20% de femmes d’ailleurs. Dans un monde idéal, ces personnes seraient vu comme une simple nuance/variation dans l’arc en ciel du vivant pour reprendre la métaphore de la biologiste Joan Roughgarden.
Malheureusement, ce monde n’est pas le nôtre. De fait, pendant l’essentiel du XXème siècle, les minorités LGBT ont été criminalisées (via par ex les délits de sodomie, d’indécence ou de travestissement), pathologisé (via les diagnostic psychiatriques et dans le cas des enfants intersexe, l’assignation chirurgicale forcée).
Et si des progrès significatif ont été accomplis, notamment au cours des deux dernières décades, 24% de la population US continuent de penser que les relations homosexuels devraient être criminalisées de nouveau, et 32% pensent que la société a été trop loin dans son acceptation des personnes trans…
On rappellera que la situation s’est très largement dégradé pour les personnes trans en ce moment, concernant les US
Même si les personnes LGBT ne représente en pratique aucune menace pour le reste de la population, c’est pourtant bel et bien de cette manière qu’elles sont perçues et traités…
Non pas tant comme menace directe que comme menace vis à vis de la notion de “sexes opposés” et du sacro-saint script prédateur/proie codifiant l’essentiel des interactions entre eux.
Ce qui est particulièrement visible dans le terme Queer, qui avant d’être réapproprié comme marque de fierté par les stigmatisés, était synonyme d’étrange, de suspicieux, d’une nature ou d’un caractère discutable, douteux, de corruptions ou de ruine…
Bref, l’idée d’anomalie, d’anormalité et de déviance par rapport à l’ordre des choses (et en opposition à Straight bien évidemment).
Il s’agira d’étudier maintenant comment les LGBT ont pu être hypersexualisé, à l’instar d’autres minorités marginalisés, mais également conceptualisé comme souffrant d’une forme d’insuffisance sur le plan sexuel (pas assez masculin, ou pas assez féminine, ou manquant des désirs appropriés, c’est à dire hétérosexuels).
Si nous voulons comprendre pourquoi les personnes LGBT sont associé à la tromperie, l’inauthenticité ou la contrefaçon, il faut garder en tête le présupposé de l’hétérosexualité cis (oui désolé, trouve pas de meilleure retranscription pour Straight assumption)
A savoir la tendance inconsciente à présupposer que toutes personnes que nous croiserons sera cis et hétérosexuel par défaut. Réflexe qui peut s’expliquer par la convergence entre plusieurs biais évoqués dans les threads précédents
Le biais des deux catégories de genre nous poussant à ranger toute personne dans la binarité homme/femme et à intégrer tout les éléments de notre perception d’autrui dans cette grille de lecture.
L’intériorisation de l’idée de consistance de genre nous poussant à considérer que les catégories de genre sont immuables et qu’en conséquence, nulle ne pourra passer de l’une à l’autre au cours de sa vie.
Et le script Prédateur/proie nous poussera à nous attendre à ce qu’autrui soit conforme avec le genre que nous avons perçu et lui avons assigné, que ce soit au niveau de l’identité de genre, l’expression de genre, et l’orientation sexuelle.
La combinaison de ces trois biais nous poussera à décoder tout individu que nous croiserons comme straight (aka hétérosexuel.le cisgenre) jusqu’à preuve du contraire.
Tendance que Serano illustrera avec ses expériences personnelles au cours de sa propre jeunesse.
Alors même qu’elle savait qu’elle n’était pas tout à fait comme les autres (s’imaginant d’abord être gay, puisqu’elle ne s’identifiait pas à la masculinité que projetait ses camarades comme la société environnante, puis prenant graduellement conscience de sa transidentité), elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer qu’elle était l’exception qui confirmait la règle, et que toutes les personnes qu’elle croisait était cishet, quand bien même elle était la mieux placée pour savoir qu’une personne à l’apparence “normale” aux yeux des autres pouvait dissimuler une anomalie par rapport aux normes en matière de genre comme de sexualité.
Et puisqu’il faut bien détruire le mythe un jour ou l’autre, le fameux gaydar…n’existe pas.
Quand elle s’imagina en mesure de repérer les signes qu’autrui était dans une situation similaire à la sienne et faisait partie de la communauté caché, la véracité du diagnostic demeurait aléatoire quand elle avait la possibilité de le mettre à l’épreuve à termes.
Elle avait décodé comme LGBT des personnes tout ce qu’il y a de plus cis et hétéro, et inversement, n’avait pas réussi à percer le placard de personne tout ce qu’il y a de plus LGBT.
Bref, autant d’exemple illustrant les différents degrés du présupposé de cisnormativité et d’hétéronormativité…
Dans ce cadre, il est aisé de comprendre pourquoi les identités LGBT se retrouve associé à l’idée de contrefaçon/dissimulation/manipulation/fausseté.
Ce qui peut se manifester sous deux formes. En premier lieu, on peut être dans le déni vis à vis de l’existence d’une identité LGBT ou de l’appartenance d’une personne à cette catégorie.
Puisque nous avons assigné cette personne à une identité cisgenre ou hétérosexuel, toutes les expressions identitaires, désirs et attitudes de cette personne qui sont non conforme à cette idée seront interprété comme fausse et illusoire.
Dans le meilleur des cas, on fera preuve de paternalisme et jugera que la personne se ment à elle même ou est simplement confuse, et si ce n’est pas le cas, on lui attribuera des motivations pour expliquer sa nécessité d’endosser une identité fausse
Il suffit de voir les éternels ritournelles des éditorialistes, “intellectuels” de salon et politiciens conservateurs nous expliquant que les identités LGBT sont un effet de mode, une manière de se rendre intéressant, une forme de narcissisme, une lubie d’ados, etc…
La deuxième variante serait de prendre au sérieux la personne LGBT, de reconnaître son identité, mais en contrepartie, de l’accuser de nous l’avoir dissimulé parce qu’elle ne s’est pas montré conforme à l’idée que nous nous en faisions…
Bref, nous considérons que si nous nous étions persuadé que la personne en face était cis et hétéro, c’est parce qu’elle en délibérément adopté les codes et l’apparence pour nous tromper et nous induire en erreur…
Once again, nous partons du principe que si les autres ne sont pas conformes à nos stéréotypes, c’est une déviance de leur part plutôt qu’une illustration du fait que ces stéréotypes renvoyaient une image déformé de la réalité
Bien évidemment, il est possible de combiner les deux. En accusant une personne LGBT de nous avoir menti, mais simultanément de se mentir à elle même quand elle revendique une identité qui est fondamentalement factice…
Dans tout les cas, la tonalité fondamentale reste la même. Il s’agit de réaffirmer l’hétérosexualité et l’identité cisgenre comme réel, naturelle, authentique, et en conséquence, d’étiqueter comme simulateur ou déviant quiconque s’en écarte
La manière dont le Pénis est érigé en symbole de la dynamique prédateur-proie/le marquage des personnes LBGT comme hypersexuel
Nous avons étudié précédemment la manière dont s’opérait l’assignation d’identité hétéro et cisgenre par défaut, et ainsi la manière dont les identités LGBT sont conceptualisés comme mensongère/trompeuse/illusoire en mode “Tu prétends être X alors qu’en réalité tu es au fond Y”.
Or le sexe physique, et plus particulièrement le sexe assigné à la naissance, semble avoir la proéminence sur toutes les autres marques d’identités aux yeux de la plupart des adultes, comme nous l’avions évoqués précédemment.
Si les autres traits d’un individus sont estimés trop ambigus pour trancher son identité de genre, la plupart des gens compteront sur la présence ou l’absence d’un pénis pour trancher le nœud gordien.
Ajoutons que l’étude ethnométhodologique de Suzanne Kessler et Wendy McKenna avait mis en lumière la façons dont nous assignons des significations sociales aux corps pour les ranger dans la binarité masculin/féminin et que les indices masculins tendent à supplanter les indices lu comme féminins.
Dans les images montrées aux sujets, la présence d’un pénis entrainait 95% de chance d’être le signe de l’image d’un homme…
Pour que le pourcentage d’identification au féminin atteigne le même score, deux indices supplémentaires devaient être ajouté à un vagins…
Il va donc falloir se poser la question de l’importance que nos sociétés accorde à ce fameux pénis pour qu’il puisse bien souvent supplanter tout le reste…
Dans notre culture, les pénis sont parfois glorifiés en tant que symbole de puissance et de domination, dans d’autre contexte, diabolisé comme outils de viol et d’oppression.
On va parfois jusqu’à les anthropomorphiser pour leur donner une véritable indépendance quasi animiste, comme s’ils disposaient d’une autonomie par rapport à leur propriétaire.
Comme on peut s’en douter, Serano, de son côté, dispose d’une perspective plus ambivalente vis à vis de cet organe dont elle avait jadis été doté avant de le faire reconfigurer chirurgicalement.
(Etant donné qu’en dépit d’un mythe nourris des phantasmes transphobes, non, la réassignation chirurgicale d’une femme trans ne consiste pas à procéder à une castration, puisque le pénis formera le matériel à partir duquel sera façonné le vagin au cours de la vaginoplastie)
Bref, comme le pointe Serano, pour peu qu’on se penche dessus, la réalité est que le pénis est composé de chair et de sang, comme le reste de notre corps, et qu’il s’agit de la portion la plus sensible comme la plus vulnérable du corps qui en est doté, de par la multitudes de terminaisons nerveuses qu’il comporte.
On notera de manière intéressante que, dans notre prisme culturel, ce ne sont pourtant pas les adjectifs qui viendrait spontanément en tête vis à vis des pénis…
Après tout, dans le tableau des dualismes oppositionnels, sensible et vulnérable se voyait ranger du côté féminin et non masculin… (ce qui montre bien à quel degré nos croyances colorent la réalité en sélectionnant les aspects à retenir ou mettre de côté pour la caractériser)
Mais bref, si on en retire la symbolique qu’on brode autour, il n’y a pas grand chose à en dire. Certaines personnes sont dotés de pénis et/ou apprécient les pénis dans un contexte sexuel et voilà tout…
Et pourtant, même si un pénis n’est pas un prérequis pour se livrer à des rapports sexuels, la majorité de la population semble avoir une conception des plus phallocentrée de l’acte sexuel.
Dans les sondages menés auprès des lycéens pour savoir ce qui constitue ou non le sexe (au sens de rapport sexuel), les interactions pénis/vagin l’emportent par un score de 80%, score identique pour le rapport annal et qui baissera à environ 40% pour le sexe oral…
Quant aux autres pratiques, elles sont laissées loin derrière… En d’autres termes, si les gens peuvent avoir des divergences sur leur définition du sexe, la majorité pense que cela doit impliquer la pénétration par un pénis, mais que l’implication d’un vagin est optionnel
Si nous plaçons tout cela dans le cadre du script Prédateur/proie, cela entraine des conséquences intéressantes… En effet, c’est toujours celui ou celle qui accepte ou subit la pénétration par le pénis qui est vu comme souillé ou dégradé par l’acte sexuel
Dégradation ou souillure qui ne s’applique jamais au détenteur du pénis au centre de l’acte. Ce n’est pas un hasard si les femmes sont perçues comme utilisée, souillées, humiliées et salies par l’acte sexuel, mais jamais l’homme qui a participé au même acte.
La fellation est souvent utilisée comme insulte ou analogie dégradante, qu’on pense aux contextes non sexuels dans lequel on qualifie quelqu’un de “suceur de bittes”, que ca soit par homophobie ou pour symboliser une forme de soumissions veule et le stade ultime du sacrifice de la dignité pour s’aplatir devant quelqu’un, alors qu’on ne voit pas symétriquement d’insultes universellement dégradantes autour du cunnilingus et de celui ou celle qui s’adonne à cette activité.
En d’autres termes, si les pénis ou leurs détenteurs ne sont pas stigmatisés directement, ils sont susceptibles, dans notre culture, d’apposer un stigmate vis à vis de celui ou celle qui interagit avec..
Notons également, avec Talia Bettcher, qu’il est universellement considéré qu’un homme contemplant le corps nu d’une femme se livre à une violation de son intimité, en revanche, on considère qu’un homme qui expose son corps nu à une femme se rends coupable d’indécence
Comme le pointe Serano, on peut interpréter cette asymétrie comme suit. Quand un individu expose son pénis, il ne sera pas perçu comme s’offrant en guise d’objet sexuel, mais sera interprété comme menaçant autrui de le réduire au rôle d’objet sexuel.
Et comme on va le voir, ce pouvoir quasi magique qu’on attribue au pénis d’apposer un stigmate sur autrui ou de le dépouiller de sa pureté sexuelle aura des conséquences pour les minorités LGBT…
Les personnes LGBT font partie des populations marquées, mais qui plus est marquées par la sexualité. Raison derrière la parodie grotesque d’ouverture d’esprit qu’exhibe régulièrement les conservateurs “tolérants”.
L’éternel ritournelle “Faites ce que vous voulez dans la chambre à coucher mais n’allez pas vous exhiber en public comme ça” simplement parce qu’une personne LGBT aura mentionné être en couple avec une personne du même sexe, simplement mentionné être homosexuel/bisexuel ou se sera adonné à un acte aussi licencieux que de tenir la main de son ou de sa partenaire en public.
On notera que personnes n’accusera les personnes hétérosexuelles d’exhiber leur sexualité en public si elles mentionnent qu’elles sont en couple ou vont exprimer publiquement et de manière chaste leur affection vis à vis de l’élu de leur cœur…
Mentionnons également l’éternel tartuferie consistant à accuser les fictions pour enfants mettant en scène des personnes LGBT d’exposer les enfants à la sexualité ou des contenus obscène, quant la mise en scène de romance hétérosexuel sera vu comme innocente…
On pourrait multiplier les exemples, mais l’évidence est là pour qui veut la voir, les LGBT sont constamment ramenés ou plutôt réduits à leur sexualité. Ce qui est particulièrement parlant avec les personnes trans qui seront sexualisées ainsi, même si elles sont hétéros ou asexuelles
Les milles et un visages de la marginalisation/stigmatisation des LGBT
Etudions de manière plus approfondie les mécanismes de stigmatisations des personnes LGBT maintenant que les bases sont posées.
La cause profonde du rejet des LGBT est qu’ils représentent par leur existence même une remise en question de l’ordre des choses compris comme hétérocentré, cisnormatif et codé sous l’angle prédateur/proie.
Pour rappel : Deux catégories qui seraient naturellement attirées l’une vers l’autre de manière naturelle (hétérosexualité) et remplirais chacun de leur côté des rôles complémentaires (“agresseur/actif” et “objet/passif”)
Les LGBT représentant une déviation par rapport à cette norme jugée naturelle, on s’efforcera de mettre en doute leur existence, que ça soit de manière directe, ou d’une manière plus insidieuse, en les intégrant de force au lit de Procuste de la norme
D’où cette éternelle question stupide que les hétéros lambda posent aux couples homosexuels : Qui fait l’homme, qui fait la femme? Illustration criante du fait qu’ils ne peuvent concevoir une sexualité en dehors de ce schéma prédateur/proie
Dichotomie où l’agresseur/rôle actif est lu comme masculin et la proie/rôle passif comme féminin. (ce qui est bel et bien du sexisme)
Et dans le même ordre d’idée, nous aurons l’éternel phantasme, déjà vu dans la science médicale du XIXème de l’homosexuel comme inverti… L’idée que pour accepter un rôle passif/se laisser pénétrer/s’adonner à une fellation, il faut avoir une nature féminine/efféminée et réciproquement pour les lesbiennes, il faudra nécessairement un partenaire dominant, et ce sera nécessairement avec un rôle masculin.
Comme avec tout stéréotypes, on trouvera des couples ou des individus qui correspondent plus ou moins à ce schéma… mais la problématique est de nier la diversité des dynamiques de couples/personnalités/expression de genre au sein des personnes LGBT
Dans tout les cas, cela explique cette tendance à s’imaginer pouvoir déduire l’orientation sexuelle d’une personne à partir du degré de conformité de cette même personne aux normes de l’expression de genre.
Rappelons aussi que la non-conformité aux normes de genre est souvent la marque favorite des homophobes…Un garçon jugé trop efféminé sera qualifié de “pédale/tantouze/etc…” sans que l’agresseur s’inquiète de connaître l’orientation sexuelle réelle de sa cible…
On notera d’ailleurs que si on nous informe qu’un homme est gay, nous aurons tendance à le juger moins viril ou plus efféminé, comme mis en lumière par des études de terrain.
Outre l’idée que les homosexuels seraient plus ou moins condamnés à mimer l’hétérosexualité, au point de vouloir jouer le rôle du sexe opposé au leur, la codification en termes prédateur/proie poussera également à stéréotyper les relations gays comme hypersexuelles.
Les hommes étant codifiés comme agresseur/sujet sexuel par nature, une relation entre deux hommes semblera poser des difficultés sur la question de savoir où se situe l’objet du désir, d’où le fait de les voir avant tout sous le prisme de la gratification personnelle plutôt que sous l’angle de l’attraction sexuelle envers l’autre ou du désir interpersonnel. Ce qui explique la tendance à dépeindre l’homosexualité masculine comme hédoniste et décadente par nature.
Dans le cadre de l’homosexualité féminine, la stigmatisation procédera différemment, puisque dans ce cas le problème ne sera plus le manque d’objet sexuel, mais le manque d’un initiateur censé mener la danse…
Ce présupposé que les lesbiennes ne peuvent pas réellement avoir de relations sexuelles sérieuses (comprenez, initiés par un mâle et centrée autour du pénis) explique le cliché populaire des relations lesbiennes quasi platoniques se limitant à des démonstrations de tendresse
Le nec plus ultra du genre étant l’exploitation des lesbiennes dans la pornographie à usage d’un public masculin, où les relations entre femmes sont mises en scène comme simple préliminaire invitant l’homme à venir les rejoindre pour entamer le véritable rapport sexuel
En outre, l’idée que le sexe entre femmes n’est pas du sexe à proprement parler entraine une autre conséquence, le paternalisme à l’égard des lesbiennes, accusées de vivre dans le déni…
On notera que la stigmatisation des asexuel.les procède par des mécanismes similaires… jusqu’à l’horreur des viols correctifs auquel cette population est exposée…
Les bisexuel.les quant à elleux, seront marqués comme hypersexuels et insatiables puisqu’ils ne peuvent pas s’estimer satisfaits par des partenaires d’un seul sexe. D’où la manière de les caricaturer en quasi nymphomanes/obsédés/incapable d’engagement stable
Mais les bisexuelles subiront une double peine, puisque l’hypersexualité qu’on leur projette s’additionnera à la tendance à projeter des invitations suggestives fantômes de la part des femmes…
D’où la tendance à s’imaginer que les bisexuelles ne “demandaient que ça”…et les raisons pour lesquelles elles sont trois fois plus exposées au risque de viol que les homosexuelles et les hétérosexuelles. (les imbéciles qui nient l’existence de la biphobie sont des excréments)
L’invisibilisation des bisexuels et ses racine sous-jacente ont d’ailleurs très bien été mise en lumière dans l’essai “Le phallocentrisme et l’invisibilité bisexuelle” de Miki R.
Et comme on peut s’y attendre, l’origine est bien la conception phallocentrée de la sexualité que nous avons évoqué au thread précédent.
Il suffira à un homme d’avoir eu une seule expérience sexuelle avec un autre homme pour être marqués gay à vie, peu importe ses expériences ultérieures avec des femmes.
Par contraste, le nombre d’expérience sexuelles avec d’autres femmes qu’une bisexuelles aura eue ne sera pas suffisant pour la délivrer du stigmate qu’au fond, elle reste une hétérosexuelle qui ne s’assume pas..
Tout cela s’explique, selon Miki R, par l’effet de contamination attribué au pénis, notre culture estime que nos orientations sexuelles sont déterminées en fonction de notre degré de contamination par le pénis.
Ce qui explique la hiérarchie entre les catégories estimées pures car immaculées de tout contact avec le pénis (les vierges, les “hommes, les vrais”, et les golden star lesbienne qui n’ont jamais eu de relations sexuelles avec un homme) et les catégories estimés souillées de par ce contact (qu’il s’agisse des “pédales” ou des “salopes”).
Concernant les personnes transgenre, Serano peut se contenter de reprendre la théorisation brillante de la transphobie qu’elle avait déjà effectué dans Whipping girl.
Elle s’intègre de toutes manières tout naturellement dans son analyse générale de la sexualisation. Les femmes étant conceptualisées comme objet sexuelle par essence, on attribuera naturellement aux femmes trans des motivations d’ordre sexuelles pour leur transition…
Une société patriarcale ne pouvant conceptualiser qu’un homme puisse accepter de se “dégrader” en adoptant le rôle de la femme, objet sexuel, s’il n’en retire pas une gratification sexuel, ou s’il ne guigne pas le pouvoir qu’on attribue aux femmes, celui de la séduction
Ce qui explique l’hypersexualisation des femmes trans, qu’on réduira au désir sexuel autour duquel on les construit et dont on estimera qu’elles font la publicité de ce même désir de par leur simple présence dans l’espace public…
Le pinacle du genre étant le concept d’Autogynéphilie concocté par ce fumiste de Blanchard, théorisant la transidentité comme une forme extrême d’auto-érotisme, le trans jouissant de la fétichisation de son propre corps féminisés.
Voir ici pour la démolition de cet escroquerie.
Rappelons aux immondices transphobe qui adorent dégainer ce concept fumeux dans des cas d’école de stigmatisation par la sexualisation, que 93% des femmes cisgenre présentent des symptômes d’autogynéphilie
La conceptualisation des LGBT comme prédateurs et pestiférés dont il faut se prémunir, justifiant ainsi leurs persécutions
Nous avons vu que dans le script Prédateur-Proie, le rapport sexuel présuppose un agresseur actif et une proie qui jouera le rôle d’objet sexuel passif qui sera ainsi perçue comme dégradé/rabaissé/mis en position d’infériorité de par le sexe qu’elle subira.
Script intégré dans un narratif hétérocentriste qui suppose une binarité des genres. On peut vite comprendre comment le narratif en question va avoir des difficultés à intégrer les personnes trans…
Pour qu’elles fassent sens au sein de cette mécanique, l’idée va être que si elle prétendent être quelque chose qu’elles ne sont pas, ce sera dans l’optique d’imposer le sexe, en bon prédateur, par la dissimulation et la contrefaçon
Une motivation qui existe uniquement dans l’œil qui la projette, cela va de soi. Point qui sera mis en lumière par les analyses des sociologues Kristen Schilt et Laurel Westbrook qui se pencheront sur pas moins de 7000 couvertures médiatiques de meurtres visant des personnes trans dans le contexte américain (nous parlons donc de personne trans assassinées par des meurtriers cisgenres)
Sans surprise, les deux chercheurs constateront que la trope narrative du prédateur sexuel agissant par dissimulation formera le leitmotiv de ces couvertures médiatiques.
“Même dans les affaires où il a pu être établi, sur bases de preuves, que le meurtrier connaissait la transidentité de la victime avant d’avoir des relations sexuelles avec elle, un nombre impressionnant de personnes impliquées dans l’enquête, y compris des journalistes ou des officiers de police, ont néanmoins continué d’utiliser le cadre narratif d’une manipulation du meurtrier par la victime.”
L’association des trans à la tromperie, la manipulation de victimes abusés sur le genre du prédateur, ou du mensonge fera également partie des tropes favorites déployés par la pop culture. (voir cette vidéo tristement éclairante)
On affirme souvent des femmes trans, particulièrement dans le contexte pornographique, qu’elles formeraient le “meilleur des deux mondes”, disposant d’attributs ou plutôt d’atouts aussi bien masculin que féminins…
Dans le cadre de la stigmatisation par la sexualisation, c’est plutôt la règle du pire des deux mondes qui s’applique, puisqu’elles sont visées par les deux types de stigmates visant les minorités.
Le stigmate des hommes comme prédateurs potentiels dont il faut se prémunir et le stigmate des femmes comme objets sexuels s’offrant au tout venant et qui au fond, ne demandait pas mieux que de servir d’exutoire à ses pulsions.
En d’autres termes, les deux formes d’hypersexualisation leur seront appliqués. Les femmes trans seront conceptualisées comme prédateurs infligeant le stigmate du sexe sur leur victime, et comme proie attirant et séduisant les autres, signifiant qu’on peut les en blâmer, y compris en cas de viol, dont la responsabilité sera toujours partiellement ou totalement imputée à la victime dans le cadre de la culture du viol.
Ce qui explique la manière dont les femmes trans seront visées particulièrement par les viols correctifs, perçus comme châtiment approprié à la prédation qu’on leur projette, et d’autant plus approprié qu’elles “demandent à être traitée comme des femmes”…
Dans le cadre des hommes trans, le viol correctif fonctionnera selon le même mécanisme que ceux visant les lesbiennes, une manière de rétablir l’ordre des choses en les ramenant à la place qui leur est assigné.
Cette usage des agressions sexuelles comme punition infligés aux trans pour leur faire expier la nature de criminelle potentielle qu’on leur impute, on peut la constater de par les statistiques mesurant les agressions de ce type dont cette population est victime
A travers une multitude d’études, le consensus qui se dégage est qu’environ la moitié des personnes trans ont expérimentés des violence de nature sexuelle, témoignant du fait qu’elles avaient bien été visées en tant que personne trans.
En comparaison des violences de nature similaire que peuvent subir les personnes cisgenre, ces agressions surviendront en moyenne plus tôt (parfois dans le cadre du harcèlement scolaire), auront plus de chance d’être exercé par un étranger que par un proche et seront plus fréquemment accompagnés de violence physique.
Il faut cependant comprendre que si la transidentité entrainera des chances plus élevés d’être victime de violence, ce facteur fonctionnera en synergie avec l’appartenance à d’autres communautés marginalisés/stigmatisés…
Dans son étude “Black Trans bodies are under attack, Gender non-conforming victims in the US, 1995–2014” Janae Teal constatera que les trans afro-américains (et plus particulièrement les femmes trans afro-américaines) formeront non seulement la majorité des victimes alors même qu’elles constituent une fraction relativement minoritaire de la communauté trans dans son ensemble, mais que les crimes dont elles pouvaient être victimes présentaient une chance plus élevé d’être d’une violence extrême.
Le type de crimes où “les victimes sont détruites et oblitérés plutôt que simplement tuées”. Leur chances d’être dépeinte comme prédateurs manipulateurs par les médias seront également plus élevées.
Les personnes pauvres ou les travailleuses du sexe (deux catégories où les trans sont surreprésentés au sein d’une société transphobe) seront également plus vulnérables aux agressions sexuelles, accompagnés ou non de violence.
Dans tout les cas, la trope narrative du trans manipulateur sera invoquée, soit comme justification pour la violence exercée, soit comme interprétations post hoc du crime par ceux qui se pencheront dessus par la suite.
Il ne faudrait néanmoins pas s’imaginer que cette trope est réservée exclusivement aux personnes trans, elle peut également être déployé vis à vis des personnes homosexuel.les ou bisexuelles quand leur identité est révélé, et entrainer les mêmes conséquences…
A ce sujet, il est intéressant de constater que les lesbiennes ont longtemps été stigmatisés comme prédatrices potentielles à maintenir à distance des enfants comme des vestiaires féminins ou des toilettes, qu’il ne fallait surtout pas autoriser à exercer le métier d’enseignant
Ca ne vous rappelle rien? Eh oui, les paniques morales transphobes ne sont qu’un remake des anciennes paniques morales visant les gays et les lesbiennes…
Des phénomènes qu’on peut d’autant plus facilement expliquer si on les analyses dans le cadre du script prédateur/proie. Les personnes hétéros cisgenre attribuent le rôle de prédateurs aux LGBT en se réservant celui de proie.
Ainsi, si une personne LGBT manifeste une attirance, même simplement potentielle vis à vis d’une personne hétéro cisgenre, ou si une personne hétéro cisgenre ressent ou pourrait ressentir une attirance vis à vis d’une personne LGBT, dans les deux cas, c’est le narratif prédateur/proie qu’il projettera sur la personne LGBT, que la personne cis se conceptualise comme victime potentielle directe via agression, ou indirecte, via manipulations et tromperie de celui ou celle qui dissimulait sa nature de prédateur
On notera que ces paniques morales peuvent vite se retrouver déconnectées de toute logique puisque les branques de la LGB alliance, association notoirement transphobe et cheval de Troie conservateur avait trouvé le moyen de tirer la sonnette d’alarme pour les moniteurs…asexuels
En fait, de la même manière que le sexe est vu comme stigmatisant pour la proie en général, dans le cadre de cette variante du narratif, le prédateur LGBT imposera une souillure “queer”, réel ou potentiel, à l’héréro cisgenre victime de ses “manipulations”
On peut en trouver une illustration limpide dans la scène la plus transphobe de l’histoire du cinéma, le fameux moment dans Ace Ventura où le détective découvre que la femme qu’il a embrassé un peu plus tôt dans le film…était trans…
Découverte qui le poussera à s’engager dans une série de rituels de purification divers et variés, se nettoyer la bouche au dentifrice, brûler les vêtements qu’il portait et se doucher en sanglotant…
Comme s’il fallait absolument qu’il se désinfecte littéralement de la souillure comme de la contagion potentiel. Et oui, à moins d’être stupide, on réalise tout de suite que la scène suinte non seulement de transphobie mais également d’homophobie
De fait, il y a bien une idée des LGBT comme vecteur de contagion potentiels qu’il faudrait mettre en quarantaine au minimum de peur d’être contaminés et de voir sa précieuse hétérosexualité dégradé voir atteinte dans ses fondements…
Ce qui explique pourquoi bon nombre d’hétéros se sentent menacés de cette manière, même quand ils n’ont aucune chance d’avoir des interactions intimes ou sexuelles avec les LGBT.
Et surtout, on le voit à la manière dont les LGBT sont régulièrement dépeint comme des menaces potentielles vis à vis des enfants, qui ne doivent surtout pas y être exposés…
Menace qui va au delà de la simple association des LGBT avec la pédophilie. La simple exposition à l’existence des LGBT dans l’espace public, y compris via des œuvres de fictions est jugés dangereuses pour les enfants…
On rappellera la tristement célèbre Section 28 sous Thatcher que des nostalgiques s’efforcent de rétablir, les tentatives similaires des conservateurs français, de la manif pour tous jusqu’à Z…, et surtout les évolutions législatives en cours dans les Etats républicains
En Floride, le simple fait pour un enseignant de mentionner une orientation sexuelle ou une identité de genre dans le spectre LGBT, même de la manière la plus innocente possible qu’on tolérerait chez un prof hétérosexuel, elle est déjà criminalisé.
La sexualisation des minorités LGBT est d’ailleurs le fer de lance de cette campagne de diabolisation, tout ce qui touche de près ou de loin à une personne LGBT sera interprété comme l’expression d’un désir sexuel déviant à réprimer par décence ou le bien être des enfants
Et concernant cette défense hypocrite des enfants, on notera qu’elle n’embrasse que les enfants hétéros cisgenre. Les enfants LGBT, homosexuel ou Trans, seront perçus comme des adultes miniatures, prédateurs sexuels potentiels à mettre en quarantaine…
L’innocence étant apparemment un monopole des enfants cis comme hétéros. On notera que la sexualisation des identités LGBT vise d’autres objectifs…
Dépeindre ces identités comme des phénomènes artificiels, qui ne peuvent survenir de nature naturel, raisons pour laquelle un enfant ne peut pas être LGBT sans avoir été contaminé ou formaté par des adultes…
Ce qui justifiera qu’on leur inflige des thérapies de conversions pour les guérir/déprogrammer ou qu’on criminalise comme maltraitance toute acceptation de leur identité par leur famille…
Bien sûr, celleux qui auront suivi la série d‘articles’ depuis le début noteront les similitudes entre ces paniques morales et les discours eugénistes, sexistes, racistes et classistes des scientifiques du XIXème siècle.
Le passé continue de nous hanter de par son empreinte sur notre inconscient, notre culture et nos institutions
En complément d’information, on renverra également aux statistiques concernant les violences visant les personnes trans collectées ci-dessous :
Les chiffres en questions sont tirés de Une culture du viol à la française de Valérie Rey-Robert, je cite les sources qu’elle met en références.
Au vu des difficultés à trouver des donnés précises sur le phénomènes, elle s’appuient sur des études américaines et canadiennes, on peut néanmoins, et malheureusement, extrapoler que les mêmes causes produisent les mêmes effets, et que ca reflète une tendance hélas répandue
Une personne transgenre sur deux sera victime de violences sexuelles au cours de sa vie (The health, Health related needs and lifecourse experience of transgender virginians, Departement of Health, 2007)
15% des personnes transgenre déclarent avoir été agressées en garde à vue ou en prison. Pourcentage qui double pour les personnes transgenre afro-américaines.
(Injustice at every turn : A report of the national transgender discrimination survey, National center for transgender equality and national gay and lesbian taskforce 2011)
Entre 5 et 9% des personnes transgenre déclarent avoir été agressées sexuellement par des policiers. (Hate violence against Lesbian, gay, bisexual and transgender people in the united states, National coallition of anti-violence programs, 2009)
10% l’ont été par des professionnels de la santé. (Injustice at every turn : A report of the national transgender discrimination survey, National center for transgender equality and national gay and lesbian taskforce 2011)
D’après le FBI, les personnes LGBT en général serait plus exposés aux crimes de haine, plus que n’importe quel groupe minoritaires.
(PARK Haeyoun and MIKHYALYSHYN Iaryna, The new york times, 16 juin 2016)
Prenez en compte que beaucoup ne portent pas plaintes, et que la police rechigne à enregistrer les plaintes de celles qui le font.
Une enquête canadienne de 2015 sur les jeunes transgenre entre 14 et 25 ans relève que 23% d’entre eux ont été physiquement forcés à des violences sexuelles non désirées. (Saewick Elizabeth, Etre en sécurité, être soi-même, résultat de l’enquête canadienne sur la santé des jeunes trans, The university of british Colombia, 2015)
Une enquête européenne de 2018 révèle que 46% des femmes trans ont subies une agression physique ou sexuelle lors des 5 dernières années.(Rights areas : Sex, sexual orientations and gender, EU LGBTI Survey II, Octobre 2018)
Comment la communautés LGBT contribue à l’exclusion des minorités, en son sein comme en dehors…
Il va nous falloir maintenant poser le pied sur un terrain glissant et controversé, les (auto)critiques qu’on peut adresser au mouvement LGBT…
S’il est indéniable que des progrès on pu être accompli en terme de défense ou d’acquisition de droits via les luttes du mouvement LGBT, il est également nécessaire de rappeler l’envers du décor…
A savoir que la stratégie mainstream de ce mouvement d’émancipation a fini par prendre la forme d’un pacte faustien, la politique de respectabilité.
L’idée était fondamentalement que rien ne distinguait les LGBT des hétéros, à l’exception de leur orientation sexuelle. Il fallait convaincre la majorité que la minorité n’était pas différente d’eux…
Que les LGBT étaient des individus respectables et intégrables, qui demandait juste à être acceptés et à endosser les mêmes rôles que leurs concitoyens hétéros.
Mais pour être accepté, encore faut-il être acceptable. Et un problème va inévitablement se poser. Celui des micro-communautés qui sont le moins acceptables par la majorité…
Un constat amer que les plus marginalisés au sein de la communauté LGBT ne connaissent que trop bien, le sentiment d’avoir été poussés sous le bus par ceux qui pouvaient le plus facilement s’intégrer à la société qui les excluait…
Nous avions évoqué l’angoisse de la contagion queer chez les hétéros, mais de fait, elle existe également au sein de la communauté LGBT… L’angoisse d’être contaminé par une proximité trop grande avec les membres les plus marginalisés…
L’éternelle mécanique, chaque fois qu’un groupe social est exclu, devenir le transfuge qui pourra sortir du ghetto réel ou métaphorique, en montrant pattes blanches et en démontrant qu’il n’est pas comme les autres, plus proches des gens “normaux” que des parias…
Dans le pire des cas, les parias seront utilisés comme repoussoir “Regardez ces clowns/pervers/tarés, vous voyez bien que je suis normal (en comparaison), moi, certainement pas comme eux…”
Ce qui peut aller jusqu’à participer au rituel d’intégration par excellence, participer à l’ostracisation, la persécution, l’humiliation et le lynchage du paria mis au ban de la communauté parce qu’il est jugé être non intégrable par nature…
On peut constater que cela ne va pas sans une certaine dose de révisionnisme historique… Il suffit de voir comment la marche des fiertés a longtemps été reformulés en gay pride…
Au degré que certains nigauds de la dernière génération vont nous affirmer que les trans sont des squatteurs qui viennent parasiter le travail accompli et ridiculiser la communauté par leur présence…
Le fait que les trans étaient déjà là, et en première ligne lors des émeutes de Stonewall? Oblitéré de l’Histoire qui est souvent écrites par les vainqueurs…
Mais ce n’est pas la seule problématique qui gangrène le mouvement. Une autre stratégie adopté pour exorciser la peur de la contagion a été d’invoquer le caractère innée des identités LGBT…
Une tactique qui avait deux objectifs. On ne pouvait pas blâmer les LGBT pour une caractéristiques qui ne relevait pas de leur choix mais du hasard de la loterie des naissances.
Et surtout, si l’homosexualité était innée, présente depuis le tout début et qu’on savait si on l’était ou non, alors aucun risques pour les hétéros d’être “infectés” ou “contaminés”… Si la sexualité était immuable, le risque baissait à zéro…
On voit tout de suite la faille de cette approche. Qui des personnes qui réalise leur homosexualité sur le tard? On peut prendre l’exemple de la biologiste Anne Fausto-Sterling…
Alors qu’elle était encore en primaire, ses petites camarades lui avait fait la plaisanterie morbide suivante : Eriger une pierre tombale factice “Ici repose Annie qui préférait les insectes aux garçons”
Quelques années plus tard, la biologiste, adulte, mariée et avec une vie sexuelle épanoui rigole, adressa un bras d’honneur imaginaire à ses anciennes ennemies…
Le temps passe, la biologiste réalise qu’elle est lesbienne… Ce qui la forcera à ronchonner et marmonner “Okayyyy mais au niveau du timing? NUL LES FILLES”
Fausto-Sterling n’a rien d’un cas isolé, et pour cause… Les orientations sexuelles sont comme la différence des sexes, un continuum plus qu’une réalité rigide, et entre les homosexuels pur et dur et les bisexuels, il y a un spectre…
A fortiori si on se remémore la manière dont la société nous pousse à présupposer que l’hétérosexualité est la norme naturel par défaut… combiné à la tentative constante et encore actuelle d’invisibiliser voir d’effacer ce qui dévie de cette norme…
Il n’est pas inutile de rappeler, dans la lignée de Foucault (Volonté de savoir, tome 1 de l’histoire de la sexualité) que l’homosexualité tel que nous l’entendons, comme préférence exclusive envers les individus du même sexe, est une invention récente
S’agissant d’une création des scientifiques eugénistes du XIXème, postulant et façonnant une nature/pathologie spécifique pour expliquer toute forme de sexualité déviant de la norme biologique (et surtout sociale) qu’ils essayaient d’établir…
D’où l’idée des homosexuels comme inverti (disposant d’une âme ou d’un caractère féminin dans un corps masculin), souffrant “nécessairement” d’un déficit de virilité, nécessairement “dégénérés”, etc…
Bien évidemment, les personnes trans sont celle qui sont le moins conforme à ce narratif du caractère immuable et donné d’entrée de jeu des identités LGBT, et donc une autre épine dans le pied à invisibiliser pour le courant mainstream
Mais l’innéité des identités sexuels n’est pas la seule stratégie déployé par le mouvement LGBT pour conjurer l’angoisse de la contagion au sein de la population “normale”… Il y a eu aussi le mythe de l’exclusivité et de l’endogamie LGBT…
A savoir “les gays couchent avec les gays, les lesbiennes avec les lesbiennes, les hétéros ne nous intéressent pas, donc arrêtez d’avoir peur de nous”
On peut facilement réaliser quelle serait la poutre vermoulue de cet échafaudage qui menacerait de provoquer son effondrement. Les bisexuel.les…auquel on peut ajouter les trans hétérosexuels….
Bref, on peut voir les failles de cette belle mécanique d’intégration, d’autant que les dissonances en question prendront la forme d’être humains bien réels, sacrifiés ou rejetés parce que non solubles dans le système…
Concernant la manière dont les gays et lesbiennes ont contribué à la transphobie, on renverra à Whipping girl et Excluded de Julia Serano, les passages consacrés au mouvement LGBT dans Evolution’s Rainbow de Roughgarden et surtout Invisible lives de Viviane Namaste
Néanmoins, il ne faudrait pas s’imaginer que les trans eux même sont de pures victimes qui ne contribuent en rien aux systèmes d’oppressions en place…
Quiconque a fréquenté cette communauté suffisamment longtemps sera bien placé pour savoir qu’elle n’est pas immunisé à la tentation d’exclure les moins intégrables de la communauté et à les piétiner pour en user comme marchepieds à l’intégration
La Biphobie est un cancer récurrent, assaisonné du mythe que les bisexuels ne subissent pas d’oppressions (on renverra aux thread précédents), mais l’acephobie a également le vent en poupe à intervalles régulier puisqu’on voit régulièrement les asexuels caricaturés comme incel narcissique ne subissant aucune oppression et se définissant par le fait de “ne pas baiser”. On invitera les lumières à s’éclairer ici…
Mais on peut ajouter sans problème l’embiphobie, avec les mêmes mythes et caricatures, les non binaires n’existent pas, sont des narcissiques qui veulent se rendre intéressant et dont l’identité se résume à un “badge pokémon”, souffrent de troubles, ne subissent pas d’oppression,
N’importe qui, à ce stade, peut réaliser que c’est une réplications parfaite des même mécanismes d’invisibilisation, d’effacement, de pathologisation et même de sexualisation que subissent les gays, lesbiennes, et trans… Oh sweet irony
Bien évidemment, les LGBT dans leur ensemble ne sont pas immunisés non plus à la sexualisation et la stigmatisation des minorités racisées, en leur sein comme en dehors…
Raisons pour laquelle Serano invite le mouvement LGBT dans son ensemble à changer de stratégie, et à lutter contre les process de sexualisation qu’elle a mis en lumière, plutôt que d’essayer de se faufiler dans les marges de manœuvre que peut concéder ce système