Sexed up VI : L’ambivalence de la sexualité, par delà l’opposition entre féministes pro sexe et féministes antipornographie
Nous arrivons maintenant à un chapitre d’histoire, celui des guerres féministes autour du sexe…
Au cours des articles précédents, nous avons défendu l’idée qu’il ne fallait pas pathologiser les individus pour des plaisirs sexuelles de nature solitaire ou consensuelle (dans le sens où ils impliquerait un ou plusieurs partenaires en les stigmatisant comme paraphilie, perversion ou déviance.
Cependant, nous avions également vu que le paradigme prédateur/proie pouvait influencer nos désirs comme nos phantasmes à un degré ou un autre.
Ce qui n’est pas sans soulever un certains nombre de question, ce paradigme impliquant une hiérarchie entre le sujet sexuel, estimé supérieur, et l’objet sexuel, jugé inférieur, ceux qui arrachent en quelque sorte le sexe à autrui, et celles qui sont “prises” ou “conquises”
On pourrait donc s’interroger sur le caractère problématique de certains phantasmes. Après tout, c’est plus ou moins ce que nous avions fait avec la fétichisation des minorités par les groupes dominants…
Phénomène qui s’appuie sur les hiérarchies sociales existantes, et peut aboutir potentiellement à les renforcer. Au cours des années 80, une scission se produisit autour de ces questions au sein du courant féministe
Entrainant la guerre idéologique entre celles qui s’autoproclamaient “anti pornographie” et leurs adversaires qui se revendiquaient “pro sexe” Conflit qui n’a jamais vraiment cessé depuis, sous la valse des étiquettes
Les Anti pornographie s’opposaient à la pornographie proprement dite, mais aussi au BDSM, au travail du sexe, aux identités butch/femme de certaines lesbiennes, autant de phénomènes supposés renforcer les hiérarchies sexuelles basé sur la domination du masculin sur le féminin
Les Pro sexe, de leur côté critiquaient l’universalité supposé de ces affirmations, mettant en avant que pour les femmes et les minorités dont les désirs étaient systématiquement effacés au sein de notre culture, affirmer sa sexualité était crucial pour mettre en question ces hiérarchies…
Il faudrait cependant se garder de tout manichéisme, en s’imaginant deux camps étanches l’un vis à vis de l’autre. On peut parfaitement imaginer des manière de concilier les deux positions jusqu’à un certain point…
Après tout, la position antipornographie se focalise sur la lutte contre l’objectivation d’autrui, la position pro sexe sur la lutte contre la stigmatisation sexuelle, deux problèmes aussi sérieux l’un que l’autre et contre lesquels on peut vouloir lutter simultanément
Commençons par écrémer les positions les plus intenables au sein des deux camps. Le camp pro sexe affirme que la pornographie, le BDSM et de manière générale la sexualité sont par essence affirmative, libératrice et émancipatrice
Pour ajouter des nuances de gris tirant vers le noir à cette thèse, il suffit de relire l’intégralité des articles précédents (harcèlement de rue, violence et agression générée par la culture du viol, fétichisation et stigmatisation des minorités par l’accusation d’hypersexualité)
Du point de vue d’une femme trans comme Serano, le sexe n’est pas tant positif et affirmatif que “compliqué plus qu’autre chose”. Une source de plaisir mais qu’il fallait dissimuler dans un placard de par la stigmatisation dont ses désirs faisait l’objet…
Endurer quotidiennement les remarques déplacés d’inconnus sur les attributs de son corps féminins, suite à sa transition. Se découvrir des affinités avec une personne sur un site de rencontre en ligne, avant de voir ses espérances s’écraser sur un mur de silence quand elle demanda à sa partenaire potentielle si elle avait remarqué qu’elle avait spécifié être trans sur son profil. (visiblement non, elle n’avait pas remarqué)
C’était aussi interagir avec des hommes intéressés sexuellement par sa transidentité mais qui ne s’intéressait guère à toutes les caractéristiques qui la définissaient en tant qu’individu.
Et aussi écrire un ouvrage sur la sexualité et la sexualisation, deux sujets qui lui tiennent à cœur, et savoir avec certitude que, peu importe les nuances ajoutés et les précautions prises, des groupes transphobes déformeront ses propos ou les sectionneront chirurgicalement de son contexte, dans l’objectif de la dépeindre comme “un pervers fétichiste sexualisant les enfants” (Spoiler, c’est effectivement ce qui s’est produit)
Outre ces complications générées par la sexualité, on peut ajouter que tout le monde n’est pas forcément intéressé par le sexe en premier lieu. Certaines personnes peuvent être tout simplement asexuelles, d’autres ne seront simplement pas d’humeur à ce moment là, d’autres encore se remettront d’une rupture, d’un deuil ou d’un trauma et n’auront pas la tête à s’adonner aux plaisirs de la chair.
Dans la perspective de ces personnes, des généralités à propos du caractère affirmateur et émancipateur de la sexualité seront au mieux maladroites, au pire blessantes, insultantes, voir stigmatisantes…
Puisque cela revient à énoncer que les personnes n’ayant pas de relations sexuelles doivent être aliénés, exclues, incomplètes, défectueuses, inférieurs… Il ne faut pas oublier que notre culture est la reine des injonctions contradictoires en matière de sexe
La sexualité est quelque chose qu’il faut contrôler, invisibiliser voir réprimer quand elle n’est pas conforme à certaines normes, mais il y a également une certaine forme d’obligation à participer à la sexualité d’une façon ou d’une autre
Qu’on pense à la manière dont les asexuels sont pathologisés, et la manière dont les accusations de frigidités sont brandis pour forcer la main aux individus qui ne seraient pas suffisamment enthousiastes à l’idée d’avoir des relations sexuelles
Dans notre culture, les individus qui ne désirent pas suffisamment de relations sexuelles seront stigmatisés tout autant que ceux qui en désirent trop, ou qui s’adonnent au “mauvais type de relation sexuelles”
Bref, plutôt que de vouloir promouvoir une position unilatéralement “Pro sexe”, il serait plus judicieux de reconnaitre que la sexualité soulève des émotions ambivalentes pour beaucoup de personnes, suscitant des sentiments positifs come négatifs, voir les deux simultanément. Ce qu’on peut comprendre dans le cadre de la construction des significations sexuelles que nous avons étudiés…
Une expression sexuelle n’ayant que des connotations positives pour un individu serait susceptible d’avoir des connotations négatives, ou à tout le moins ambivalentes pour un autre.
Ceci étant dit, il y a tout à redire à la position anti pornographie. Nous ne pouvons pas affirmer que tout acte évoquant une hiérarchie sexuelle d’une manière ou d’un autre doit être découragés voir condamnés.
Ne serait-ce que parce que la ligne de démarcation sera toujours flou, subjective et au final arbitraire. Un couple de lesbienne se répartissant les rôles entre butch et femme va-t-il renforcer l’idée sous-jacente d’une supériorité du masculin sur le féminin?
Ou vont-elles au contraire déconstruire et subvertir cette hiérarchie en réfutant la notion que le sexe présuppose un pénis cis ou qu’une femme ne peut pas être légitimement initiatrice en matière de sexualité?
Et de manière générale, comment distinguer la sexualité hiérarchique de la sexualité égalitaire? Si une position sexuelle nécessite une personne au dessus, une personne en dessous, est-elle hiérarchique par nature?
S’il y a une différence de statut entre les deux partenaires (différence de genre, de classes économiques, d’ethnicité, si l’un est valide l’autre non, l’un cis l’autre trans, etc) est ce que cela disqualifie toute forme “équitable” de sexualité entre eux?
Autant de questions auxquelles certaines répondront oui d’autre non, et pour cause, la ligne étant subjective et contingente, mais nous pouvons être certaines d’une chose…La ligne sera toujours définie de manière à ce que celui ou celle qui la trace se retrouve du bon côté…
Plaidoyer pour le BDSM
Attelons-nous enfin au vrai combat de notre temps, réhabiliter le BDSM dans une perspective féministe!
On pourrait voir des similitudes entre la théorisation du script Prédateur/Proie par Serano et la théorisation de la domination masculine par les féministes antipornographie. Les deux prismes se recoupent souvent, il est vrai, mais cela peut masquer des différences cruciales
Pour certaines féministe, la domination masculine est une idéologie totalisante et invasive qui contamine tout les aspects de notre société, notre sexualité incluse et la seule manière de se défaire véritablement de son emprise serait d’en traquer et d’en purger le moindre vestige au sein de nos vies.
Par contraste, le script Prédateur/proie est un ensemble de présupposés que nous partageons en commun et qui nous est inculqués dès notre plus jeune âge, façonnant notre compréhension du genre, de la sexualité, et nous donnant des points de repères pour nous guider dans notre vie sexuelle et amoureuse…
Certains d’entre nous accepteront ce script et les rôles qu’il nous assigne sans se poser trop de question, le percevant comme l’ordre naturel des choses, d’autres mettront en question cette dynamique, en totalité ou sur certains de ses aspects, au fil du temps…
Certaines personnes le jetterons complétement aux orties, ayant trouvé d’autres paradigmes pour donner un sens au genre comme à la sexualité
Dans la mesure où la majorité d’entre nous a été exposé à ce paradigme pendant notre enfance comme notre adolescence, il pourrait bien s’agir d’un des facteurs les plus déterminants pour le développement de nos sexualités bourgeonnantes…
Raison pour laquelle, même après avoir déconstruit ce paradigme et pris une distance critique avec, certains aspects du script continueront d’avoir une résonance sexuelle pour nous, quand bien même ce narratif cesserait de nous déterminer en totalité
Ce qui peut nous amener à nous en réapproprier certains éléments, pour les combiner à notre façons, dans des contextes de notre invention, aboutissant à la panoplie de phantasmes gravitant autour du script prédateur/proie que nous avons eu l’occasion d’évoquer précédemment
Et le BDSM est justement une excellente manière de mettre en lumière les différences entre l’approche de Serano et celle des féministes antipornographie.
Pour ces féministes, la messe est dite et le verdict rendu, le BDSM est par nature patriarcal, déviant et antiféministe, reproduisant des hiérarchies impliquant l’objectivation, la soumission et la domination.
Ce qui revient à faire une lecture superficiel et surtout littéral de la culture BDSM sans s’interroger sur le contexte au sein duquel elle s’encastre.
Prenons l’exemple hypothétique de Jess, une femme queer et féministe, engagée dans la défense de la justice sociale comme la critique de l’hétérocentrisme patriarcal au sein de nos sociétés mais qui, à l’occasion, pratique le BDSM
N’ayant rien d’une débutante, elle connait sur le bout des doigts toutes les précautions diverses et variés listés dans les manuels de BDSM. Jess et ses partenaires, masculins comme féminines, commenceront par une communication ouverte
Discutant dans le but de déterminer le contours précis des désirs et des répugnances de chacun, et de traces les lignes précises à ne pas franchir, quitte à y ajouter nuance, gradations, et différents signaux d’alerte prédéfini avant les sessions.
La dimension de respect et d’écoute d’autrui est donc présente d’entrée de jeu, tout comme l’emphase sur l’agentivité de chacun. Aussi glauque que soit le script mis en scène, il s’agira d’un “jeu de rôle” (donc d’adopter un rôle qui n’est pas le sien dans la vie réelle)
Au sein de la scène BDSM, on parle également d’échange de pouvoir, ce qui là encore, met l’emphase sur l’agentivité de l’autre qui nous cède volontairement son pouvoir, de manière temporaire, et dans un cadre définis aux préalables.
Bien évidemment, nous avons décrit ici le BDSM modèle. On peut malheureusement trouver des personnes qui négligeront ses précautions, ou qui se serviront de ce contexte pour abaisser la garde de leurs victimes avant de passer outre les limites qu’ils s’étaient engagé à respecter
Et tout les praticiens BDSM ne seront pas féministes dans l’âme. Cependant, le propre des féministes antipornographies sera de ne pas faire de nuance et d’amalgamer ces individus à la totalité de la communauté BDSM pour y apposer la même condamnation
Ce qui illustre bien la superficialité de cette approche qui confond la Lune avec le doigt, l’arbre avec la forêt, le symbole et la réalité, le signifiant et le signifié, le rôle et la personne qui l’endosse temporairement, le phantasme mis en scène avec la réalité, etc
Le caractère problématique du script Prédateur/proie est sa tendance à assigner des rôles rigides, spécifiques et parfois stigmatisés aux individus sans leur consentement, à savoir, précisément l’inverse de ce que nus avons évoqué
Comprenons nous-bien, le but n’est pas de dire que tout praticiens du BDSM est libéré et émancipés par essence, ou que la sexualité doit passer par le BDSM pour se libérer…
Simplement de pointer qu’il est malhonnête d’assimiler les praticiens du BDSM qui s’efforce de respecter le consentement et l’agentivité d’autrui avec des prédateurs sexuels dont le propre est de nier consentement et agentivité à autrui…
On notera d’ailleurs que ce n’est pas un hasard si les terf (aka celle qui justifie leur transphobie au nom du “féminisme”) défendent systématiquement dans le même temps la stigmatisation du BDSM, de la pornographie et du travail du sexe…
Ne serait-ce que parce qu’elle sont fort attaché au notions de déviances, de paraphilie et de pathologisation, de perversion fétichiste… Stigmatisations qu’elles sont les premières à mobiliser contre les trans
D’autre part, la culture du viol comme le caractère “naturel” du paradigme prédateur/proie sont une nécessité pour la structure même de leur panique morale comme de leur manicheisme.
Hommes et femmes doivent rester deux catégories rigides, l’homme doit être prédateur par nature et la femme victime par essence… Ce qui renforce le mythe d’une lutte des classes entre hommes et femmes.
Justifiant ainsi le voile idéologique de la sororité qui aveuglera bien des différences de catégories sociales réelles (qu’il s’agisse de classe sociale, d’ethnies ou d’identités sexuelles)
Autorisant ainsi celle qui sont de la classe dominante ou vise à s’intégrer une place dans la classe dominante à jouer les ventriloques avec des femmes dominés, et à faire passer les intérêts de leurs groupes pour les intérêts de toutes…
Personne n’est plus attachées que ces “féministes” au script Prédateur/proie et aux mécanismes de stigmatisation (notamment par la sexualisation) qu’il autorise, les autorisant à apposer stigmate sur les trans, travailleuse du sexe ou toutes femmes contestant leur idéologie
Pour une analyse nuancée de la réalité du travail du sexe comme de la pornographie/ Déconstruction des politiques de respectabilité et de l’intériorisation des stigmates imposés par les groupes dominants
Après le BDSM, attaquons-nous maintenant à la question du travail du sexe
Vis à vis du travail du sexe dans son ensemble, on peut relever la même confusion ou plutôt le même amalgame entre ce qu’on pourrait qualifier de situation sexuelle complexe/ambivalente et les mécanismes oppressifs.
Concernant le travail du sexe, il peut inclure du télétravail (téléphone rose, spectacle érotique par webcam interposé), du travail performatif (strip tease, modèle de photos de charme, actrice de film pornographique) et les activités sexuelles rémunérées
La position féministe antipornographie standard affirmera que le travail du sexe dans son ensemble devrait être interdit et criminalisé car il revient à traiter les femmes comme “des marchandises qui peuvent être achetées et vendues”.
Celles qui défendent cette position auront également tendance à assimiler le travail du sexe avec le trafic d’êtres humain (impliquant enlèvements, séquestrations formes modernes d’esclavages et prostitutions forcées sous menace de violence voir de meurtre)
En pratique ce sont deux choses de natures radicalement différentes (l’existence de l’esclavage ou des camps de travail n’a jamais été invoqué pour criminaliser toute forme de travail) mais cette confusion est volontairement entretenu par les abolitionnistes…
Tour de passe-passe et jeu de bonneteau qui permet ainsi d’assimiler toutes personnes dénonçant la persécution administrative et policière des prostitués à un avocat/complice des mafias pratiquant l’esclavage moderne…
Du côtés des travailleuses du sexe justement, la position défendu sera que le travail sexuel est du travail. Au sein d’un système capitaliste, nous vendons tous nos corps, nos capacités physiques et notre temps à des employeurs en échange d’une compensation financière.
Certaines formes de travail peuvent être plus dangereuse, salissante ou éreintante que d’autres, et le travail du sexe n’est certes pas différent de ce point de vue.
A une différence près, c’est une activité professionnelle socialement stigmatisé, et le plus souvent criminalisé. On rappellera d’ailleurs que sa criminalisation aboutit en pratique à donner aux policiers la capacité d’abuser de leur pouvoirs auprès des prostitués, force ces dernières à pratiquer leur métier dans la clandestinité, et donc limite leur marge de négociations avec la clientèle, (concernant par ex le port de préservatif) en plus de les exposer au danger…
Concernant la conceptualisation du travail du sexe comme marchandisation du corps humain, on rappellera aux marxistes au rabais qui usent de cette trope que fondamentalement, on peut l’appliquer à toute forme de travail salarié (cf cet excellent billet)
Et pour finir sur cette question, on renverra à l’indispensable ouvrage de Ruwen Ogien
Concernant la pornographie, sa prohibition a également été réclamé par la même catégorie de féministes, arguant qu’elle constituait en elle même ou faisait la promotion de la soumission féminine, ainsi que de la déshumanisation des femmes comme de la violence sexuelle
Si certaines formes de pornographies hardcore prennent effectivement un malin plaisir à dégrader les femmes qu’elles mettent en scène, on peut trouver moult contre-exemple pour contrebalancer cette réalité sordide.
On peut trouver par exemple une quantité phénoménale d’œuvres pornographiques (softcore ou porno amateur) qui se contentent de mettre en scène nudité et relations sexuelles sans impliquer de dégradations des femmes comme de leur image…
Il faut également mentionner le porno queer/LGBT qui s’adressent à des minorités sexuelles, ce dernier pouvant mettre en scène les femmes comme sujet sexuel, ou les hommes comme objet du désir)
Les études contemporaines comme celle du psychologue David Speed montreront de toute manière que “les individus ne réagissent pas de manière uniforme face à la pornographie”
Dans les études littéraires comme les analyses des contenus médiatiques, il est couramment admis que le même “texte” peut être interprété d’une multitude de manière, et la pornographie ne fait pas exception.
L’adulte lambda qui consomme du porno aura conscience de contempler une œuvre de fiction qui met en scène une version idéalisé ou phantasmé de la réalité (insérez blague sur la représentation irréaliste du travail des plombiers dans les films pornographiques)
En revanche, un adolescent sans éducation sexuelle pourrait manquer de ce recul critique et confondre fiction et réalité.
Et si la plupart des hommes ont consciences que les actrices pornos qu’ils voient sur leur écran ne sont pas représentative de la femme lambda, en revanche, ils pourraient consommer du porno mettant en scène une minorités pour la fétichiser et s’imaginer que cette vision déformé est représentative de ce groupe minoritaire dans son ensemble. Bref, comme de coutume en matière de sexualité, la pornographie n’est ni bonne ni mauvaise dans l’absolu mais ambivalente et complexe.
Si on peut comprendre les critiques formulés par certaines féministes à l’égard de la pornographie, on ne peut pas les suivre sur une condamnation et une diabolisation de la pornographie dans son ensemble.
Cette dernière ne pouvant se réduire à un bloc monolithique oppressif. Qui plus est, on peut également critiquer l’idée sous-jacente que la pornographie serait nuisible pour l’ensemble des femmes alors que seules une fractions d’entre elles sont réellement impactées
Approche simpliste qu’on retrouve dans la théorisation de l’objectivation par certaines féministes.
Au lieu de se focaliser sur la manière dont l’objectivation stigmatise les individus qui sont directement ciblées (particulièrement ceux qui sont à l’intersection de plusieurs identités/groupes marginalisés), elles extrapoleront l’idée que ces instances déshumaniseraient l’ensemble des femmes.
Affirmations qui useront d’ailleurs de termes propres à l’épidémiologie, parlant d’exposition ou de la manière dont certaines représentations médiatiques peuvent infecter ou corrompre les jeunes filles…
Bref, ces thèses sont un décalque de la stigmatisation sexuelle que nous avons étudié à multiples reprises, avec ses propriétés similaires à la contagion, une dominance du négatif sur le positif, une insensibilité à la dose et une permanence de l’infection.
Il y a d’ailleurs une similarité avec un reproche récurrent qu’on peut voir aussi bien au sein du féminisme que des activismes pro LGBT+. L’idée que certains individus véhiculerait une image négative de leurs groupes dans son ensemble.
Ce qui revient à déplacer la responsabilité et le blâme, la retirant des actes sexistes/LGBTophobes pratiqués par la majorité non marqué, pour faire porter la responsabilité sur les individus marqués et la réaction qu’on les sommes d’adopter face à ce sexisme.
Cela revient également à façonner des nouveaux stéréotypes auquel les individus marqués devraient se conformer, stéréotypes construits sur des présupposés arbitraires sur ce qui pourrait constituer le renforcement ou la subversion de la marginalisation dont ils sont victimes.
Qu’on pense à la manière dont certaines femmes sont blâmées par leurs consœurs si elles ont le malheur de porter une tenue jugé trop féminine ou trop sexualisée…
Ou la manière dont certains gays peuvent se voir reprocher d’adopter une tenue et une attitude susceptible d’être stigmatisé comme trop sexuel par la majorité hétéro (drag queens, tenue de cuirs, faire référence de manière trop “ostentatoire” à leur sexualité, etc)
Réaction qu’on peut comprendre, quand une minorité est marqués par le sexe (femmes, LGBT, minorités ethniques), il est tentant pour ses membres de réduire toute expression de la sexualité de peur de fournir des munitions à ceux qui les marginalisent et les stigmatisent
Ce qui est d’ailleurs un phénomène courant avec toute minorité marginalisé, la dichotomie entre les “bons” éléments et les “mauvais”, les bons étant supposés partager les critiques formulés par les dominants à l’égard des mauvais…
Qu’on pense à la manière dont les “filles respectables” vont stigmatiser sexuellement d’autres femmes ou celle dont les gays et lesbiennes qui peuvent se fondre le plus facilement dans la société vont stigmatiser ceux qui véhiculent une mauvaise image de la communauté.
Ce qui expose les membres de ces groupes marginalisés à un éternel dilemme, dissimuler ou réprimer leurs traits marqués de peur d’être stigmatisés, vivant ainsi dans la peur constante d’être découvert ou re-marqués et assumer leurs traits marqués sans honte, au risque d’être victime d’agressions, de discriminations ou de sollicitations non demandés qui seront rationalisés par les dominants sous le mode “Si vous aviez réellement voulu être tranquille, vous seriez restés discrets…”
Marché de dupe car les stigmates apposés sur les corps comme les attitudes des minorités ne sont pas inhérents à ces corps et attitudes en eux mêmes, mais à la manière dont elles sont perçu par la société (lisez, le groupe dominant non marqué)