Grenoble, ville violente : mythe ou réalité ?

Céline Legay
6 min readSep 28, 2018

Affaire Kevin et Sofiane, fusillades, règlements de comptes, attaque au couteau à la sortie d’une boîte de nuit… Les faits divers de Grenoble font régulièrement parler d’eux dans les médias. La capitale de l’Isère souffre en effet depuis plusieurs années de l’image d’une ville violente, où la délinquance et la criminalité seraient supérieures à la moyenne.

En août dernier, le syndicat Alliance Police Nationale avait même créé la polémique en évoquant le cas grenoblois, “le Chicago français” selon leurs mots. Un terme repris un peu partout au niveau national, alors même que le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb était en déplacement à quelques kilomètres de là, dans le Vercors.
L’image d’une violence démesurée est bien présente. Mais sur le terrain, qu’en est-il ?

Si l’on en croit les chiffres 2017 de la Police nationale, le nombre de crimes et délits pour 1000 habitants est en effet supérieur à d’autres villes. L’année dernière, plus de 25 843 ont été recensés dans la zone. Attention toutefois, ces résultats englobent les 7 communes de la circonscription de police concernée, soit Grenoble, Échirolles, Saint-Martin-d’Hères, Fontaine, Saint-Martin-le-Vinoux, La Tronche et Gières. Une zone de 65,4 km² pour une population totale de 276 218 habitants. Avec plus de 4 223 habitants au km², Grenoble est l’un des secteurs les plus denses de province, derrière Lyon et Villeurbanne.
L’année dernière, la circonscription a enregistré 93 faits pour 1000 habitants. Un résultat nettement supérieur à Dijon par exemple, et ses 59 crimes et délits pour 1000 habitants. Grenoble arrive également devant des villes comme Marseille et ses 85 délits et crimes pour 1000 habitants. Un secteur pourtant connu pour son climat violent.

Pour la procureur de la République de Grenoble Jean-Yves Coquillat, l’explication de cette violence est la suivante : “Je n’ai jamais vu une ville qui était aussi pourrie et gangrenée par le trafic de drogue que Grenoble. C’est bien simple, il y a des points de revente partout”, avait-il déclaré au Dauphiné Libéré à l’été 2017. Il avait à l’époque défrayé la chronique. Dans les chiffres pourtant, les délits et crimes relatifs au trafic de drogue ne sont pas les plus éloquents.

Le bilan de la police grenobloise révèle en effet que ce sont les cambriolages qui arrivent en tête des faits les plus importants dans la zone, avec plus de 8 pour 1000 habitants : soit un total de 4315 sur l’année 2017. Avec une moyenne de 15 cambriolages par jour, la zone a connu une hausse de 10% par rapport à l’année précédente pour ce type de délits.

Pour tout ce qui relatif aux infractions à la législation sur les stupéfiants cependant, Grenoble et ses 1,63 faits pour 1000 habitants arrive loin derrière Toulon par exemple (6,45 pour 1000 habitants). Attention toutefois, il s’agit ici d’une comparaison avec quatre autres circonscriptions de police de province : Marseille, Toulon, Rennes et Saint-Étienne. Ces résultats ne sont pas représentatifs d’un classement national.

On peut également voir que la délinquance a augmenté en 2017. L’an dernier, les vols violents avec arme ont connu une hausse de 42% par rapport à 2016. Les vols violents sans armes ont, eux, augmenté de 26%.

Aux vues de ces résultats, il semble qu’il n’est pas erroné de dire que Grenoble est une ville où la délinquance et la criminalité y est plus forte que la moyenne. Les facteurs peuvent cependant être multiples et ont évolué au fil de l’histoire.

De manière générale en France, la criminalité a connu des variations significatives.
La criminalité en France ne date pas d’aujourd’hui. Plutôt faible dans les années 1970 — notamment avec la prospérité que connaît le pays depuis la fin de la guerre (Trente Glorieuses) — le taux de criminalité s’accentue dès 1980, dû à la détérioration de la situation économique de la France après le premier choc pétrolier en 1973. Mais aussi dû à la hausse du chômage qui entraîne alors une paupérisation de la population. Il atteint un premier pic en 1984, de 67,08 crimes et délits pour 1000 habitants. Ce dernier connaît une considérable baisse pendant quatre années de suite puis réaugmente à la fin de la décennie pour s’établir à 61,73 faits pour 1000 habitants en 1990. On constate d’ailleurs que ce schéma se répète à chaque début de décennie jusque de nos jours, dû à la dépénalisation de certains actes.

Face à cette situation qui se détériore dans les années 1980, plusieurs crimes et délits deviennent majoritaires dans l’Hexagone. D’ailleurs, la principale infraction reste les vols (y compris recels). Par exemple, la seule année 1985 en dénombre 2 301 934. Les escroqueries arrivent, elles, en seconde position avec un pic en 1983. Viennent ensuite, les crimes et délits contre les personnes et tous les autres types d’infractions comprenant aussi les stupéfiants.

Grand banditisme

À partir des années 1950, des familles siciliennes débarquent dans la capitale des Alpes pour travailler sur les gros chantiers de la ville. Dès les années 1970, ces Italiens prennent le contrôle des bars, des casinos, de la prostitution, du trafic de stupéfiants et des rackets jusque dans les années 1990. Selon un ancien enquêteur de la Section de Recherche de Grenoble, la criminalité à Grenoble reflète parfaitement la situation française en matière de crimes et délits à la même période : « À l’époque, les vols avec violence, notamment les braquages de banques et de transports de fonds constituaient la majorité des infractions. La prostitution est ensuite remplacée par l’émergence d’escroqueries financières avec l’installation illégales de machines à sous dans les bars. »

Entre temps, avec la création de banlieues dans les années 1960, la communauté maghrébine arrive à Grenoble. Les conflits ne cessent alors de prospérer entre les différents clans jusqu’à la fin des années 1980. « Il y avait énormément de règlements de comptes, car ils se disputaient entre eux tous ces lieux de fréquentations », déclare-t-il. Selon Le Parisien, un rapport d’enquête parlementaire sur l’implantation de la mafia en France, a d’ailleurs établi que Grenoble était l’un des points d’ancrage de Cosa Nostra (mafia sicilienne).

Si aucun chiffre de la criminalité n’a été trouvé pour décrire la criminalité de l’époque dans la capitale des Alpes, cet enquêteur ajoute que le climat était plus serein : « On ne peut pas dire que Grenoble était une ville plus violente avant, car on ne parle pas du tout du même type de violence. Elle s’organisait uniquement entre les chefs de clans et ne touchait pas la société. Il n’y avait pas par exemple de caillassages de policiers ou de pompiers à l’époque. Pourtant c’est désormais monnaie courante aujourd’hui. »

À partir des années 1980 et jusqu’à aujourd’hui, les voyous des cités iséroises prennent le flambeau de leurs aînés et se tournent vers un trafic très juteux : celui des stupéfiants. « La mafia a ensuite été dépassée par une autre mouvance, liée aux trafics de drogue. Aujourd’hui, dans la grande majorité des cas, les faits criminels dans l’agglomération sont consécutifs à des affaires de stupéfiants, notamment à la suite d’un vol de territoire ou d’une reprise de marché. Le trafic y est très développé et est très lucratif », conclut-il.

Méthodologie.

Pour réaliser cet article, nous avons pris en compte les chiffres du service statistique du ministère de l’Intérieur ainsi que ceux de la circonscription de police de Grenoble. Le taux de criminalité a été calculé à partir du nombre de crimes et délits sur la zone concernée, par rapport au nombre d’habitants de celle-ci. Cela a été le cas pour Grenoble et la moyenne nationale. Pour les autres villes de province, ce taux provient des archives du Dauphiné Libéré. Nous voulions établir un comparatif de la situation actuelle de Grenoble avec celle des années 80. Cependant, nous n’avons pas pu nous procurer les chiffres de la délinquance et de la criminalité dans la ville à cette époque. Malgré l’absence de chiffres au niveau local, la comparaison a pu se faire grâce à l’étude des chiffres nationaux (notamment du taux de criminalité à cette époque) et à l’aide du témoignage d’un ancien enquêteur de la Section de recherches de Grenoble.

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