Les taux de suicide et de risques de suicide chez les vétérinaires alertent sur le mal-être de la profession

Coppe Piccolo
5 min readJan 19, 2023

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Chez les vétérinaires français, le risque de suicide est 3 à 4 fois plus élevé que dans la population générale. Cette souffrance de la profession, liée à des facteurs tels que la peur de l’erreur ou la charge de travail, a été abordée pour la première fois en 2022 dans un travail d’enquête commandité par le Conseil de l’Ordre des Vétérinaires.

© iStock-zoranm

« Entre burn-out et violences subies, la santé mentale des vétérinaires est mise à rude épreuve. » Ce constat d’un large mal-être de la profession a été dressé par l’étude menée par Didier Truchot, professeur de psychologie à l’université de Franche-Comté. Son travail d’enquête, commandé par l’Ordre des vétérinaires et l’association Vétos- Entraide, permet de lever le voile sur les risques accrus de suicide des praticiens et ses causes.

Une profession exposée aux tentatives de suicide

« Il existe un taux de suicide particulièrement élevé chez les vétérinaires », souligne ainsi le rapport, publié en mai 2022. Il s’appuie sur les réponses d’environ 3200 praticiens, soit 17,5% des vétérinaires français. Un chiffre édifiant illustre ce phénomène : 4,7% des vétérinaires interrogés déclarent avoir déjà fait une tentative de suicide.

« La profession le savait, tout le monde le disait, mais personne n’allait plus loin », explique Corinne Bisbarre, responsable de la commission sociale du Conseil de l’Ordre. Elle poursuit : « Même si des bruits de couloir affirmaient que notre profession était davantage concernée par le suicide, nous n’avions jamais été confrontés à la dure réalité des chiffres. » Aussi à l’initiative de cette enquête, elle confie avoir elle-même « cinq personnes dans [s]on entourage qui se sont suicidés ».

Interrogés sur la fréquence de leurs pensées suicidaires, les vétérinaires ne dissimulent pas leur souffrance. 4,8% déclarent avoir eu « assez souvent », « fréquemment » ou « tout le temps » envie de se suicider dans les semaines précédentes. 18,4% affirment avoir des « idéations suicidaires occasionnellement ».

“Nous n’avions jamais été confrontés à la dure réalité des chiffres”, Corinne Bisbarre

Ce sont ainsi 23,2% des praticiens interrogés par le professeur de psychologie qui déclarent avoir eu au moins une fois envie de se suicider dans les semaines ayant précédé l’enquête. Ce risque de suicide élevé concerne davantage les hommes (26,2%) que les femmes (21,9%).

Selon la synthèse de ce travail, le risque de suicide est « 3 à 4 fois plus élevé » chez les vétérinaires français que dans la population générale et « 2 fois plus important que dans les professions de santé ». En effet, le rapport souligne que 20% des vétérinaires interrogés ont eu des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois. Des pourcentages bien plus élevés que les données nationales fournies par Santé publique France en 2019. En comparaison, chez les actifs français, 4,5% des femmes et 3,1% des hommes ont eu un désir de suicide au cours des 12 derniers mois.

Corinne Bisbarre confirme ce triste constat : « Je pense que 80% des vétérinaires peuvent dire qu’ils connaissent un collègue qui s’est suicidé. C’est une évidence acquise par les praticiens. » La vétérinaire précise qu’en « étant la seule profession confrontée à l’euthanasie, les vétérinaires ont tendance à désacraliser la mort ». Les injections létales administrées aux animaux sont pour elle une des composantes de ce risque élevé dans la profession. « On a tout à disposition pour le faire, tous les médicaments, tout le matériel. On sait que ça sera sans souffrance, comme le policier qui prend son arme de service ou l’agriculteur qui prend son fusil de chasse », se désole-t-elle.

Les causes de cette souffrance

Au fil de son travail d’enquête, le professeur Didier Truchot a tenté d’identifier les facteurs menant à ces actes, révélateurs pour lui d’une « grande souffrance ». Ses entretiens érigent des corrélations entre les causes de stress des vétérinaires et leurs envies de suicide.

La peur de l’erreur figure en tête et se révèle être un facteur « hautement significatif ». « Pour les clients, on n’a pas le droit à l’erreur, on se doit d’être parfait, car c’est l’animal de leur vie », confie un vétérinaire interrogé.

La charge de travail et l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée est le second facteur le plus associé au risque de suicide. « On se sent régulièrement submergé par le travail, les papiers administratifs, les nuits de garde », confirme un professionnel. « Ça peut être une descente aux enfers pour mes collègues qui ne peuvent pas prendre des jours de repos, qui sont en surcharge de travail et qui n’arrivent pas à recruter », explique Alexis Dutuh, vétérinaire dans le Jura. Dans son cabinet, un praticien a mis fin à ses jours en 2017.

Cette enquête, première du genre en France, a été saluée par l’ensemble de la profession pour avoir permis d’ouvrir le débat. Les formations vétérinaires ont initié un dialogue avec leurs étudiants, comme l’explique Matthias Vernoit, étudiant à Lyon : « Pendant une semaine complète sur les enjeux vétérinaires, l’administration a insisté sur cette problématique. Les élèves sont maintenant assez conscients et sensibilisés ». Corinne Bisbarre conclut : « Le but était finalement de montrer que la profession, souvent admirée, ne va pas si bien que ça ».

Encadré méthodologie :

Les données des différents graphiques sont issues de l’étude commanditée en 2019 par l’Ordre des vétérinaires et Vétos- Entraide sur la souffrance au travail des vétérinaires. Ce travail de recherche, intitulé “La santé au travail des vétérinaires : une recherche nationale”, a été dirigé par Didier Truchot, professeur de psychologie sociale à l’université de Bourgogne Franche-Comté. Les données ont été rendues publiques le 19 mai 2022. Le travail d’enquête a été mené en 2020 auprès de 3244 praticiens, soit 17,5% de la population totale des vétérinaires (19 530 vétérinaires).

Les données en pourcentage de la version complète de ce rapport, et celles du rapport de 2019 de Santé Publique France sur les suicides et tentatives de suicide ont été analysées pour établir un comparatif. Les facteurs liés aux risques de suicide sont représentés sous forme de tableau par souci de compréhension (les données de l’étude s’expriment en p-value, la probabilité pour un modèle statistique, difficilement exploitables sous formes de graphiques).

Coppélia Piccolo

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