Apprenti Vice-Président

Philippe Corbé
7 min readMay 6, 2024

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La nouvelle télé-réalité Trump

Donald Trump n’aurait jamais été président s’il n’était pas entré pendant une décennie dans les foyers de dizaines de millions d’Américains avec sa télé-réalité The Apprentice, “L’Apprenti”, “Le Stagiaire”.

Une sorte de Koh Lanta du business. Le clinquant de la décoration rococo de la Trump Tower plutôt que les coups de soleil sur les plages tropicales. Pas de conseil autour du feu mais un faux conseil d’administration et un légendaire You’re fired ! lancé aux candidats éliminés qui perdaient leur chance de rejoindre la Trump Organization.

Maintenant que l’issue de la primaire républicaine ne fait plus de doute, Washington spécule sur celui ou celle que choisira Donald Trump pour être son veep, son vice-président. C’est toujours un choix politique révélateur, pour compenser les points faibles du candidat (en 2008, le manque d’expérience d’Obama l’avait conduit à choisir Biden, vieux routier du Sénat). Son nom ne devrait être connu qu‘en juillet, avant la convention à Milwaukee, mais les potentiels veep font activement campagne (et si vous n’avez vu la série Veep de HBO, c’est un chef d’oeuvre de la comédie).

HBO

Donald Trump a donc organisé ce weekend à Palm Beach, en Floride, une sorte de nouvelle saison de The Apprentice. Il avait réuni six des potentiels candidats à une rencontre avec des donateurs républicains, pour les tester.

Evidemment, il n’y avait pas Mike Pence. L’ancien vice-président, choisi en 2016 par le candidat plusieurs fois divorcé pour rassurer les chrétiens évangéliques, a depuis rompu avec Donald Trump. Après avoir travaillé auprès de lui pendant quatre ans, il a prévenu qu’il n’appellera pas à voter Trump en 2024, et celui ci n’aurait certainement pas envie de faire à nouveau appel à l’ancien gouverneur de l’Indiana. Il lui reproche toujours d’avoir certifié les résultats de la présidentielle le 6 janvier 2021, le jour de l’insurrection du Capitole, le « point culminant d’une tentative de coup d’État » selon l’élu démocrate Bennie Thompson qui présidait la commission d’enquête de la Chambre. Cette commission avait recueilli des témoignages indiquant que le président Trump, après que les émeutiers qui avaient envahi le Capitole avaient commencé à hurler « Pendez Mike Pence ! », avait exprimé son soutien à l’idée de pendre son vice-président.

Il n’y avait pas non plus Nikki Haley, son ancien ambassadrice aux Nations Unies. Avant les premiers votes des primaires, elle semblait ménager le candidat Trump. Etait-ce pour préparer un plan B comme candidate à la vice-présidence ? Mais Haley a brûlé les ponts dans les dernières semaines de sa campagne. Elle semble plutôt jouer 2028, en cas de défaite de Donald Trump face à Joe Biden cette année.

Parlons plutôt des six candidats potentiels réunis à Palm Beach samedi soir. Donald Trump les a fait monter sur scène, puis ils se sont déployés dans les émissions politiques à la télévision en espérant satisfaire le patron.

Le plus inattendu est J.D. Vance, sénateur de l’Ohio, qui a le mérite d’avoir écrit un bon livre, un récit personnel sur le malaise de l’Amérique blanche des Appalaches, ravagée par la dépendance aux opiacés, usée par un sentiment de déclassement. Hillbilly Elegy a été publié à l’été 2016, quatre mois avant l’élection de Donald Trump. Si les stratèges de la candidate Hillary Clinton l’avaient lu et en avaient tiré quelques enseignements élémentaires, Donald Trump n’aurait peut-être pas rassemblé deux tiers des voix des électeurs blancs sans diplômes, qui lui ont assuré sa victoire.

Mais Vance passe beaucoup de temps ces dernières semaines à expliquer aux journalistes, comme ici sur Fox News dimanche, pourquoi il soutient Trump avec ardeur alors qu’il le traitait il y a quelques années de personnage « répugnant » et « idiot ».

FOX NEWS

L’un des favoris est Marco Rubio, sénateur de Floride, candidat à la primaire 2016, qui avait été alors jusqu’à se moquer de la taille des mains de Donald Trump (en tirant des conclusions hasardeuses sur la taille supposée du pénis de l’homme d’affaires, qui l’avait assez mal pris).

Voici donc Rubio, huit ans plus tard, qui n’exclut pas de déménager de son état de Floride, où il est né, où ses parents cubains ont trouvé refuge, pour être désigné candidat à la vice présidence (Donald Trump étant désormais électeur de Floride, son candidat à la vice-présidence doit venir d’un autre état). La question lui était posée dans l’émission politique de Fox News.

FOX NEWS

Autre candidat qui se renie pour espérer être choisi par Trump : Tim Scott, sénateur de Caroline du Sud, candidat malheureux à la primaire, qui était lui en campagne dans l’émission politique de NBC.

NBC NEWS

La question simple posée par la journaliste de Meet The Press fait référence à la rupture entre Trump et Pence à l’hiver 2020–2021. Trump refusait de reconnaitre la victoire de Biden. Pence désobéissait au président Trump qui lui ordonnait de ne pas certifier les résultats.

Q : Vous engagerez-vous à accepter les résultats des élections de 2024 ?

… Pas de réponse claire de Tim Scott…

Q : Oui ou non ?

… Pas de réponse claire de Tim Scott…

Q : Accepterez-vous les résultats, quel que soit le vainqueur ?

… Pas de réponse claire de Tim Scott…

Q : Oui ou non ?

… Pas de réponse claire de Tim Scott…

Q : Je n’entends pas de réponse ?

… Pas de réponse claire de Tim Scott…

Scott sait bien que s’il s’engage à certifier les résultats de l’élection, même si Joe Biden est réélu, Trump lui lancera une sorte de You’re fired !

Passons rapidement sur le milliardaire Doug Burgum, gouverneur du Dakota du Nord. Ses chances semblent faibles, mais il y croit, jusqu’à qualifier sur CNN ce dimanche de « largement optimiste » le diner de la veille à Palm Beach pendant lequel Donald Trump avait comparé l’administration Trump à la Gestapo.

CNN

Du Dakota du Nord au Dakota du Sud (oui, il y a deux Dakota, mais les deux états cumulés ne comptent pas plus d’habitants que l’île de Manhattan), une autre candidate qui a été classée parmi les favorites, la gouverneure du Dakota du Sud, Kristi Noem.

Il faut conjuguer ses espoirs au passé, depuis qu’elle s’est vantée dans un livre publié il y a quelques jours, écrit pour accroître ses chances d’être choisie par Trump, d’avoir abattu Cricket, son chiot de 14 mois, parce qu’il était « difficile, désordonné et moche » (elle lui reprochait d’être « fou d’excitation, chassant tous les oiseaux et passant le meilleur moment de sa vie »).

CBS NEWS

Ses espoirs de devenir présidente étaient déjà aussi morts que le pauvre Cricket, mais elle est quand même allée dans l’émission politique de CBS. Etait-ce pour se donner une image de force ? lui a demandé la journaliste à propos de son livre, en relevant un autre passage à propos de Commander, le nom du chien des Biden, qui a quitté la Maison Blanche depuis qu’il a mordu des agents du Secret Service : “À la toute fin du livre, vous dites que la toute première chose que vous feriez si vous arriviez à la Maison Blanche serait de vous assurer que le chien de Biden ne se trouve nulle part sur le terrain. Commander, dis bonjour à Cricket”.

Quelqu’un avait du lui dire que Trump n’aime pas les chiens.

You’re fired !

La plus habile, et peut-être la mieux placée pour devenir la candidate à la vice présidence de Donald Trump, c’est Elise Stefanik, élue de l’état de New York au Congrès. Elle était sur Fox News dimanche.

FOX NEWS

Son soutien à Donald Trump est indéfectible, et sa loyauté (qualité suprême aux yeux de Trump) s’est révélée dans les efforts pour contester les résultats de l’élection de 2020. Elle a aussi été la première élue du congrès a soutenir officiellement Trump pour 2024.

Elle s’est distinguée il y a quelques mois lors des auditions des dirigeants de trois prestigieuses universités, Harvard, le MIT et UPenn sur l’antisémitisme.

« She’a killer » a dit d’elle Donald Trump.

Un vraie tueuse (et pas que de chiens).

C’est ce qu’il cherche chez un bon Apprentice.

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Philippe Corbé

Journaliste / Auteur du roman "Cendrillon est en prison" et des essais "J’irai danser à Orlando" et "Roy Cohn, l’avocat du diable" chez Grasset