Biden vs. le Seigneur Tout-Puissant

Philippe Corbé
4 min readJul 6, 2024

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Les démocrates espéraient le convaincre de renoncer en exerçant une pression discrète en privé. Ils vont devoir l’assassiner politiquement en public.

ABC News

On sait désormais qui pourrait convaincre Joe Biden de renoncer à sa candidature.

Les démocrates vont devoir recruter “le Seigneur Tout-Puissant”.

C’est le président qui les met au défi.

Quatre mois jour pour jour avant l’élection et une semaine après son débat catastrophique contre Donald Trump, plus que jamais favori dans tous les sondages, Joe Biden a accordé à ABC un entretien enregistré en marge d’un déplacement de campagne à Madison, dans l’État bascule du Wisconsin. Vingt-deux minutes, sans montage, diffusion en primetime, pour essayer d’éteindre l’incendie qui embrase le parti démocrate. Un moment rare, tant l’équipe Biden a limité le nombre d’entretiens télévisés depuis son arrivée à la Maison Blanche. Elle a même renoncé à l’entretien traditionnel avant la finale du Super Bowl, comme c’est la tradition, le jour qui réunit le plus d’audience à la télévision.

Alors que George Stephanopoulos l’interrogeait sur les démocrates qui lui demandent de renoncer à sa candidature, le pieux Biden a répondu : “Si le Seigneur Tout-Puissant descendait et disait : « Joe, quitte la course », je me retirerais de la course, mais le Seigneur Tout-Puissant ne descendra pas.

Il a balayé les critiques sur son débat télé en répétant “I just had a bad night”, c’était seulement “une mauvaise soirée”, balayé les sondages qui montrent qu’il a perdu du terrain, au point que des États jusqu’à présent démocrates à chaque présidentielle sont désormais menacés (“ça se joue dans un mouchoir de poche, c’est un mouchoir de poche”), balayé les interrogations sur son état de santé et les doutes sur ses capacités cognitives (“Je passe un test cognitif tous les jours. Chaque jour, je passe un test, avec tout ce que je fais. Non seulement dans ma campagne, mais je dirige le monde”), balayé les doutes de ses électeurs et des membres de son parti qui craignent qu’il ne perde non seulement la présidence mais entraîne avec lui les candidats à la Chambre des représentants et au Sénat, bref qu’il cède tout le trousseau de clés aux trumpistes revanchards.

Le président semblait moins hagard, sa voix moins râpeuse que lors du débat de la semaine dernière. Ses équipes ont masqué sa pâleur avec du fond de teint terracotta à la Trump. Quand il ne voulait pas répondre en détail, il a ressorti le classique sourire étincelant à la Biden.

Cet entretien télévisé sur ABC est donc le pire scénario pour les démocrates. Le président n’était pas assez rassurant pour calmer la panique, mais sa prestation n’était pas aussi catastrophique que celle de la semaine dernière et donc ne l’enfonce pas davantage. Il n’a rien fait qui l’obligerait à abandonner la course dès maintenant. Il semble vieux, faible, hésitant, radoteur, mais moins cadavérique que lors du débat.

Donc il va rester en course. Il fait comprendre qu’il n’a pas l’intention de renoncer tranquillement ou rapidement. Le président met au défi ceux qui veulent le voir partir de se faire connaître publiquement.

C’est la pire situation pour les démocrates qui espéraient le convaincre de quitter la scène paisiblement, en exerçant une pression ferme mais discrète, en privé.

Ils vont donc devoir l’assassiner politiquement en public.

Le Congrès est à nouveau en session à partir de lundi. Les parlementaires vont revenir à Washington. On pourra mesurer l’humeur des représentants qui jouent leur réélection en novembre le même jour que la présidentielle dans des circonscriptions tangentes où ils savent que leur sort dépend de celui de leur candidat à la Maison Blanche.

Un sénateur de Virginie a déjà annoncé qu’il allait rassembler un groupe de sénateurs pour accroître la pression sur Biden. Il est le premier à dire publiquement qu’il souhaite qu’il se retire. Interrogé à ce sujet sur ABC, Biden a répondu : “Il est le seul”.

Il n’est pas certain que cette phrase vieillisse très bien, sans même que le Seigneur Tout-Puissant n’ait besoin de s’en mêler.

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(Mise à jour)

Mon époux (il est Américain) s’étonne que je ne mentionne pas ici un passage de cet entretien, selon lui révélateur du narcissime de Biden qui s’entête à rester en course.

Il a raison.

C‘est la réponse à une question à la fin de l’entretien.

Stephanopoulos : “Si vous restez, que Trump est élu et que tout ce dont vous mettez en garde se réalise, comment vous sentirez-vous en janvier ?

Biden : “Je penserai que tant que j’ai tout donné et que j’ai fait le meilleur boulot que je peux faire, c’est de cela dont il s’agit.

Si la démocratie est menacée comme il le dit, l’histoire ne se contentera pas d’un “j’ai tout donné”, elle se demandera pourquoi l’égoïsme puéril d’un homme amer d’avoir été sous-estimé pendant toute sa carrière politique l’a poussé à prendre une décision aussi funeste, contre toute évidence.

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Philippe Corbé

Journaliste / Auteur du roman "Cendrillon est en prison" et des essais "J’irai danser à Orlando" et "Roy Cohn, l’avocat du diable" chez Grasset