Soudain, le doute Vance

Philippe Corbé
8 min readJul 24, 2024

--

Sa victoire semblait acquise, mais le camp Trump doute depuis le retrait de Biden et la désignation de Harris. Le choix de Vance était-il le bon ?

FOX News

Et soudain, le doute s’est immiscé.

La semaine dernière, la convention républicaine de Milwaukee ressemblait à un sacre impérial. L’euphorie était palpable. Jamais depuis la campagne de réélection de Reagan en 1984, les républicains n’avaient semblé si confiants quant aux chances de leur candidat, qui venait d’échapper à une tentative d’assassinat. Beaucoup d’Américains, pro ou anti-Trump, pensaient que l’ancien président allait prendre sa revanche et revenir à la Maison-Blanche.

Il avait déjà gagné.

Comme je le racontais ici, c’était fini, plié, à moins que les démocrates ne changent de candidat.

C’est bien ce qui s’est passé dimanche, et tout a changé.

Les attaques que la campagne Trump adressait à Biden se retournent contre eux : Donald Trump est désormais le plus vieux candidat de l’histoire, celui qui parle du passé plus que de l’avenir, qui se bat pour lui plus que pour le peuple américain, celui qui tient régulièrement des propos incompréhensibles et se trompe dans les noms.

Le doute est là.

Même le milliardaire américain Elon Musk, qui avait promis la semaine passée de dépenser $45 millions par mois pour financer la campagne Trump, vient de renoncer à cet engagement car il ne “souscrit pas au culte de la personnalité” (vous avez le droit de rire).

Elon Musk avait pris cet engagement dans la foulée de l’annonce par Donald Trump de son candidat à la vice-présidence, J.D. Vance. Le milliardaire d’origine sud-africaine, ainsi que le fondateur de PayPal Peter Thiel, semblent d’ailleurs avoir joué un rôle déterminant en coulisses pour pousser Vance.

Ce choix a à peine une semaine et semble déjà daté, tant la campagne a changé depuis le retrait de Joe Biden et la désignation quasi immédiate de Kamala Harris.

La carte Vance pouvait avoir un certain sens quand Donald Trump était confiant dans ses chances de victoire. Son histoire personnelle racontée dans un livre à succès devait l’aider à enthousiasmer les électeurs de la classe ouvrière blanche déclassée de trois États bascule : la Pennsylvanie, le Wisconsin et le Michigan. Donald Trump avait résisté aux pressions de l’aile plus traditionnelle du parti (ou de ce qu’il en reste) de choisir le milliardaire et gouverneur du Dakota du Nord Doug Burgum (le clan Murdoch appuyait fortement cette hypothèse, il suffisait de lire les éditoriaux du Wall Street Journal) ou bien le sénateur de Floride Marco Rubio, qui lui aurait permis d’élargir son électorat en allant chercher davantage de Latinos.

Associated Press

Donald Trump s’est laissé convaincre par son fils Don Jr (avec l’appui de Musk et Thiel) qu’il n’était pas nécessaire d’élargir sa base électorale, qu’il fallait au contraire mobiliser sa base en choisissant Vance, l’électriser en le présentant comme un mini-Trump, un Trump intello, un Trump nouvelle génération, quelqu’un qui pourrait apparaître comme l’héritier du trumpisme et du mouvement Make America Great Again pour les prochaines élections de 2028 et 2032.

Le choix a été fait lundi dernier, à Milwaukee, juste avant qu’il ne soit annoncé par Donald Trump. Le discours de Vance prononcé mercredi n’a pas marqué grand monde, l’écrivain n’ayant pas su raconter de façon éloquente sur scène l’histoire qui avait enthousiasmé des millions de lecteurs.

Mais maintenant que le doute s’est immiscé, que la campagne Trump doit changer tous ses plans, passer d’une campagne offensive contre le grabataire Biden à une campagne défensive sous les coups de boutoir de la procureure Harris, le choix de Vance apparaît à des responsables de l’équipe Trump comme “une sorte de luxe destiné à accroître les marges avec la base lors d’une victoire écrasante plutôt que de persuader les électeurs indécis dans une élection serrée”, écrit The Atlantic dans un article où est cité le co-directeur de la campagne Trump. Selon l’auteur Tim Alberta, certains dans l’équipe Trump “remettent en question” le choix de Vance.

Il y a une semaine, la carte Vance envoyait un message de confiance. Maintenant que Harris est l’adversaire, elle ressemble plutôt à de l’arrogance.

Avec une femme candidate, qui sera plus efficace que ne l’était dernièrement Biden pour replacer le sujet de l’avortement au cœur des débats, le ticket avec Vance n’aide pas Trump à compenser ses faiblesses sur le sujet, il les accentue.

Il est remarquable de noter que la restriction du droit à l’avortement, qui était un sujet omniprésent de toutes les conventions républicaines depuis un demi-siècle, a quasiment disparu de celle de Milwaukee la semaine dernière, alors que cela restera dans l’Histoire comme l’une des traces les plus marquantes du bilan de Trump. Sa nomination de trois juges très conservateurs parmi les neuf de la Cour Suprême a abouti il y a deux ans à mettre fin à ce droit garanti au niveau fédéral par la Cour depuis près d’un demi-siècle. Le droit des femmes à disposer de leur corps dépend désormais des États, et il est restreint de façon drastique dans les États dirigés par des républicains.

Le parti a bien mesuré que c’est cette décision qui l’a empêché de gagner comme prévu les élections de mi-mandat en 2022. Donald Trump a compris qu’il fallait éviter autant que possible le sujet d’ici novembre. C’est aussi pour cela que la performance de Biden était catastrophique lors du débat fin juin, il a été incapable de profiter de cet avantage sur Trump, même quand celui-ci délirait en laissant entendre qu’il y a dans certains États démocrates des avortements après la naissance, “nous tuons le bébé”. C’est faux, évidemment, mais Biden était resté silencieux, comme hagard.

Et c’est là que Vance devient un vrai problème. Il est bien plus conservateur que Trump sur le sujet de l’avortement.

En 2022, il avait dit lors de sa campagne pour le Sénat qu’il aimerait que l’avortement soit illégal au niveau national. Sans aucune exception, même pour un viol ou un inceste. Exactement le contraire de ce que répète Trump, qui essaye de limiter les effets dévastateurs du sujet en répétant que c’est aux États de décider, et qu’il doit y avoir des exceptions. Vance voulait interdire aux femmes de se déplacer dans un autre État pour avorter. Il s’est depuis aligné sur les positions de Trump mais ses anciennes déclarations ressortent.

Ce ne sont pas les seuls propos de Vance à propos des femmes qui hantent désormais la campagne Trump.

Vance a reproché aux femmes qui subissent des violences dans leur couple et veulent divorcer d’être “égoïstes car selon lui les gens “changent de conjoint comme ils changent de sous-vêtements” et que cela a nui à une génération d’enfants : “voici l’un des grands tours que la révolution sexuelle a joué au peuple américain”. Pas très sympathique pour Trump qui en est à son troisième mariage, et qui a trompé sa première femme avec la deuxième.

Les démocrates ont ressorti une déclaration du candidat à la vice-présidence de Trump qui date de sa campagne sénatoriale 2022 et qu’ils auraient désormais tout intérêt à jouer en boucle dans leurs publicités télévisées : Vance dit que les femmes qui ne sont pas mères, comme Kamala Harris, sont des “dames à chats sans enfants, malheureuses dans leur propre vie” et qui veulent que le reste du pays se sente aussi “malheureux” qu’elles.

La plupart des scrutins depuis 2022, des partielles jusqu’aux élections de mi-mandat, montrent qu’il y a depuis la décision de la Cour Suprême une surmobilisation de l’électorat féminin. En 2022, le surcroît de participation a été particulièrement notable en Pennsylvanie, dans le Michigan et le Wisconsin, les trois États où va se jouer l’élection.

Tous les sondages montrent que les hommes votent plus massivement pour les républicains, et c’était déjà le cas avant Trump. Les femmes votent davantage pour les démocrates. Ce gender gap, cet écart du vote en fonction du genre s’est accentué. Donc, comme en 2016 et en 2020, ce sont les femmes des banlieues pavillonnaires de Philadelphie, Pittsburgh, Détroit et Milwaukee, qui ont en main la clé de l’élection, surtout celles qui ne se reconnaissent ni dans le parti démocrate ni dans le parti républicain. En 2016, beaucoup ont boudé Clinton, et Trump a gagné. En 2020, beaucoup ont voulu arrêter Trump, et Biden s’est imposé. Que feront-elles en novembre ? Que pensent-elles de Vance ? Et de Harris ? Les enquêtes d’opinion qui sont en cours après le retrait de Biden devraient nous donner une indication dans les prochains jours.

Et si la côte de Vance n’est pas déjà abîmée aux yeux de Donald Trump, il n’est pas certain que ses performances en réunion publique rassurent l’ancien président. Je suis en train de lire un livre d’enquête sur l’histoire secrète de l’émission de Donald Trump (il y a d’ailleurs participé largement) et il sait mieux que quiconque comment attirer l’attention à la télévision. C’est même là-dessus qu’il fonde souvent ses choix, et ça ne lui a pas trop mal réussi.

Pour le candidat à la vice-présidence, la première réunion publique en solo lundi n’a pas été très convaincante. Même dans la ville de l’Ohio où il a grandi, la salle répondait mollement à son discours, et c’était même gênant lors de ce passage où Vance a tenté de faire de l’humour en suspectant les démocrates de l’accuser de racisme parce qu’il avait bu du soda Diet Mountain Dew (comme les gens dans la salle, je n’ai rien compris, dites-moi si vous saisissez sa blague).

Dans ce tweet, cet éditorialiste pro-démocrate du Daily News le compare à Sarah Palin, le choix de John McCain pour la vice-présidence en 2008. Un choix stratégique audacieux, qui après un premier effet de surprise positif avait plombé la campagne de McCain, tant la candidate était devenue la cible des moqueries.

Sarah Palin et Tina Fey qui jouait son rôle dans Saturday Night Live sur NBC

Vance n’en est pas là, mais Trump ne doit pas aimer cela du tout.

Le doute qui s’immisce dans la campagne Trump ne porte pas seulement sur Vance, mais les défauts de Vance peuvent cristalliser sur sa personne une incertitude plus diffuse, surtout si le choix de Harris pour la vice-présidence lui permet d’élargir sa base.

Comme je l’écrivais ici, les deux favoris sont bien Shapiro, gouverneur populaire de Pennsylvanie qui pourrait l’aider à gagner cet état indispensable pour sa victoire, et Kelly, sénateur de l’Arizona, autre état important. Son histoire personnelle pourrait briller en comparaison du profil de Vance.

Ce dernier peut se rassurer en se souvenant que pendant la campagne 2016 Donald Trump avait déjà regretté en privé le choix de Mike Pence pour la vice-présidence, mais n’avait pas envisagé sérieusement de le remplacer. Après quatre ans au pouvoir ensemble, ils n’ont finalement rompu que quand Pence a tenu bon face à Trump pour certifier les résultats de l’élection lors de l’insurrection du Capitole pendant laquelle des partisans du président appelaient à pendre Pence. Il n’est pas facile d’être le veep de Trump.

Heureusement pour Vance, Saturday Night Live n’a pas encore repris.

--

--

Philippe Corbé

Journaliste / Auteur du roman "Cendrillon est en prison" et des essais "J’irai danser à Orlando" et "Roy Cohn, l’avocat du diable" chez Grasset