Interview de David Pastor : Les mutations du secteur de la musique classique

CULTUREVENT
4 min readOct 15, 2018

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David Pastor est corniste à l’Orchestre de la Garde Républicaine de Paris depuis 23 ans, porte de nombreux projets personnels comme celui de l’Ensemble Agora, collectif d’artistes qui met en scène des contes musicaux, et dirige et organise chaque année le concours international de musique de chambre de Lyon qui fera sa 15ème édition en 2019.
Il a accepté de répondre à nos questions sur les mutations des enjeux de la musique classique et nous a donné, dans ce cadre, son avis d’expert.

Quels sont, selon vous, les nouveaux enjeux de création et de diffusion de la musique classique ?

Le genre classique est probablement celui dont les formes de diffusion ont le moins évolué parmi les genres musicaux ; la forme de diffusion de l’orchestre reste en effet standardisée, stable, et ce depuis plusieurs décennies, cela en raison du fait que les grandes salles de concert prévues à cet effet restent les plus opérationnelles et les plus aptes à accueillir un ensemble classique qui exige une grande qualité acoustique.

En revanche, la création a bien évolué ces dernières décennies : on a vu se développer une constellation d’ensembles à géométrie variable qui développent des programmes entiers autour de musiciens et d’œuvres spécifiques, les thématiques sont recentrées pour donner une identité à la manifestation artistique. On voit notamment monter ce phénomène au sein des festivals, parmi lesquels le Festival de Radio France de Montpellier avec son thème « Douce France », par exemple, qui s’érige en illustration du vœu de fédérer le public et d’intellectualiser la programmation afin qu’elle soit plus lisible et attire plus d’auditeurs.


Le secteur de la musique classique a-t-il dû faire face à d’autres mutations ? Comment s’est-elle adaptée ?

D’une manière générale, l’industrie musicale a vécu un grand changement avec l’ère du numérique ; si avant on ne pouvait accéder à la musique que par le CD ou le spectacle en live, le mode de diffusion privilégié est aujourd’hui celui de la plateforme d’écoute numérique comme Deezer, Spotify, Youtube, Soundcloud…

Dans le monde de la musique classique cependant, on n’a pas encore trouvé le vecteur pour avoir un partage d’audience large à partir de ces nouvelles possibilités. Les CD n’ont quasiment pas été remplacés, les auditeurs de musique classique s’attachant énormément à la matérialité de l’objet et à la possibilité d’accéder aux livrets avec les explications des compositeurs et des interprètes. Le label NoMadMusic a certes tenté d’apporter une solution intermédiaire en proposant des livrets numériques mais ceux-ci n’ont pas été encore assez popularisés pour avoir un impact suffisant. Il y a également la question des droits des artistes qui refait surface avec l’économie du numérique, la répartition n’est pas efficace et il faudrait là aussi aboutir à un consensus qui n’est pas inné.

Toutefois, le secteur de la musique classique a quand même connu une certaine mutation avec l’utilisation progressive de la vidéo dans les manifestations musicales.
On conçoit de plus en plus de proposer des apports vidéo à la musique, notamment à l’opéra où son usage est quasi systématique ou lors de concerts liés au patrimoine et aux monuments. Il faut cependant bien garder en tête que le musicien classique subit principalement ce changement, il s’est toujours concentré sur « l’entendu » et doit sans cesse se réinventer pour apprendre à se confronter au « montré » qu’il n’a pas nécessairement choisi pour exprimer son art.

En quoi la musique répond-elle aux besoins de nouveaux organisateurs privés, tels que les entreprises, les lieux de patrimoine ou encore les particuliers ?

La musique répond toujours à un besoin d’événementiel avec l’objectif premier de faire rêver, de divertir : c’est tout l’intérêt de la prestation live qui diffère de l’écoute à la maison.
Il s’agit donc pour les salariés de sortir un moment du cadre de l’entreprise et d’y amener un moment de poésie ; de prendre le temps de rêver, de faire une pause là où seule la notion de productivité règne. On arrête d’être productif, on devient contemplatif le temps d’un instant.
Et puisque la musique (comme la plupart des arts) est éphémère et légère, elle n’est pas difficile ni lourde à porter, elle se déguste sur le moment et n’est pas contraignante. C’est un événement qui relève de l’exceptionnel mais qui ne demande pas de changer les habitudes, c’est pourquoi elle est tant appréciée dans un cadre plus rigide.

Le côté live est aussi très intéressant et joue un rôle clef puisqu’il est le contrepoint d’une société où tout est en libre accès sur internet, tout est podcasté. Le concert live ne se joue et ne se ressent qu’une seule fois et ne se partage qu’avec les personnes qui y auront assisté, d’où l’importance de l’unicité du moment, de l’instantané. C’est là que résident les besoins des nouveaux organisateurs, d’offrir l’exceptionnel aux auditeurs : la musique répond donc parfaitement à ces attentes et constitue, en outre, un élément fédérateur pour le public.

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