Quels sont les effets de la crise sanitaire sur l’activité des fonds de Venture Capital ?

Cyrielle Boclet
baby vc
Published in
6 min readMay 5, 2020

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Photo by Jukan Tateisi on Unsplash

L’apparition du virus Covid-19 en Chine fin 2019, puis sa propagation en Asie et dans le reste du monde sur les semaines suivantes, ont eu un impact très important sur l’activité des venture capitalists.

L’impact de la crise sanitaire actuelle sur les fonds de capital-risque dépend en grande partie de la maturité et des caractéristiques propres à chaque start-up. Les investisseurs ont donc naturellement réalisé une revue de leur portefeuille, et leur réponse diffère fortement suivant la capacité de résilience des sociétés. On peut segmenter les start-ups en trois catégories : les start-ups qui bénéficient de la pandémie (e.g. health-tech), celles qui sont négativement impactées (e.g. retail), et les autres pour lesquelles l’impact est neutre ou léger. En fonction de leur maturité et de leur situation, leurs besoins de trésorerie court et moyen terme varient fortement et doivent être mis en perspective avec la rentabilité future attendue. L’attitude des fonds diffère alors suivant l’analyse réalisée.

Actuellement, certains venture capitalists choisissent de se retirer ou de ralentir les processus de due diligence et les négociations en cours, afin de focaliser l’essentiel de leurs ressources sur l’accompagnement de leur portefeuille existant. En effet, pour pouvoir faire face à une crise de cette ampleur, les entrepreneurs doivent réagir immédiatement. A charge pour les investisseurs de les aider à s’adapter en proposant des aides stratégiques et opérationnelles multiples :

  • retravailler le plan de croissance, réimaginer l’équipe, rationaliser les coûts et étendre le cash burn, en particulier dans le cas de start-ups ayant prévu de réaliser une levée dans les 12 prochains mois,
  • comprendre le chômage partiel pour une mise en place rapide du dispositif et réaliser un business plan adapté à l’obtention de prêts,
  • accompagner la réalisation d’une levée, un bridge, pour permettre la survie de l’entreprise,
  • plus généralement, préparer le déconfinement : repenser ses priorités sans oublier l’essentiel, à savoir la capacité à vendre et à innover son produit.

Les fonds en fin de cycle suivent en particulier cette stratégie, et préfèrent sécuriser leur capital restant pour supporter financièrement les start-ups de leur portefeuille ayant un besoin urgent de trésorerie.

D’autres fonds de capital-risque continuent de suivre leurs opportunités en cours et sont réceptifs à étudier de nouveaux dossiers, en particulier ceux ayant récemment levé un nouveau fonds. Le contexte incertain augmente cependant la sélectivité des dossiers et les accords sont généralement plus faciles à réaliser si la rencontre physique a été faite avant le confinement.

Lorsqu’il s’agit de réaliser une levée de fonds intégralement à distance, la période d’ajustement est plus ou moins longue selon les cultures. Nous commençons déjà à observer, aux Etats Unis par exemple, des levées dont le processus a débuté après le début du confinement, en full remote. Bien que perçue comme inconfortable, les VC comme les entrepreneurs s’adaptent à cette situation. La construction de ces relations se fait dorénavant à distance : la visioconférence est la nouvelle norme. Le processus de due diligence étant plus difficile, les variables de confiance des investisseurs reposent de manière plus accrue sur la connaissance et la fiabilité des investisseurs des précédentes levées de la start-up, sur les références et les relations communes avec les entrepreneurs. En France, les investisseurs comme les entrepreneurs sont plus prudents et s’efforcent d’anticiper les implications de la crise. Dans ce contexte incertain, la majorité des entrepreneurs décidant de lever dans cette période ont un besoin urgent de trésorerie. Ils donnent la priorité, dans ce cas, à la rapidité de l’entrée d’argent par rapport à une valorisation favorable. A l’heure actuelle, si l’activité se poursuit pour les VC français, nous observons néanmoins une diminution du nombre de nouveaux dossiers étudiés et de deals conclus.

Enfin, une minorité de fonds ont choisi de réajuster leurs conditions d’investissement, au profit de valorisations inférieures ou de clauses favorisant la diminution du risque. Ces dernières années, l’émergence de nombreux fonds VC avait permis l’inversion du rapport de force avec les investisseurs, en faveur des entrepreneurs. La crise entraînera une contraction des liquidités et un accès plus difficile aux capitaux ; ainsi, ce rapport de force est susceptible de se rééquilibrer. La tentation d’inclure un niveau de protection supérieur pour les investisseurs implique des négociations plus longues avant la conclusion du deal. Compte tenu de la circulation libre et rapide des informations dans l’écosystème start-up ainsi que l’importance de la réputation des investisseurs, nous pouvons imaginer que les clauses appliquées ne deviendront pas massivement plus sévères. S’il est trop tôt pour tirer des conclusions généralisées, on peut cependant s’attendre à ce qu’une partie des investisseurs, notamment les business angels, réduisent les montants investis, et que les valorisations, en particulier les start-ups matures, late stage, diminuent.

Alors que les start-ups européennes attiraient de plus en plus les VC américains avant l’arrivée de la crise Covid-19, nous pressentons un repli vers leur cœur d’activité. En effet, de même que les start-ups sont dans l’obligation de réduire leurs initiatives non prioritaires, les fonds américains vont réduire à court terme leurs investissements en Europe, ces derniers étant davantage considérés comme étant des opportunités qu’une réelle thèse d’investissement prioritaire. Cependant, l’innovation n’étant pas localisée et la crise ayant favorisé le développement des relations à distance, nous pouvons sereinement prédire à moyen terme une relance de la tendance des fonds à investir dans des zones géographiques plus étendues.

L’après crise

Notre culture portée sur l’hyper croissance sera-t-elle amenée à se réduire, au profit d’une vigilance accrue sur l’atteinte de la profitabilité ? Les quelques entrées en bourse ratées de sociétés non rentables en 2019 avaient déjà soulevé cette question, de nouveau d’actualité : depuis leurs entrées en bourse, les cours d’Uber et de Lyft ont considérablement diminué, tandis que WeWork a vu son introduction en bourse repoussée pour des raisons financières et de gouvernance. Par ailleurs, certaines entreprises ont récemment été contraintes de fermer temporairement à cause de leur chaîne d’approvisionnement, dont une partie était localisée en Chine. Après la crise, les fonds seront plus attentifs à la viabilité des business model et aux métriques économiques, et le retour à des projections financières saines sera extrêmement important pour les start-ups qui souhaitent être financées. Les investisseurs prêteront également attention aux chaînes de production, à la durée des cycles de vente et à tout changement durable du comportement des clients.

Concernant les produits et services, nous n’observons aucune révolution. La crise actuelle ne fait qu’amplifier et accélérer des tendances de fond observées depuis plusieurs années : le développement du e-commerce, des logiciels permettant le travail collaboratif à distance, du streaming, de la livraison à domicile, la cybersécurité, la télémédecine, etc. L’évolution sera donc en faveur des entreprises digitales. D’ailleurs, les VC observent d’ores et déjà les nouveaux usages et comportements des consommateurs qui sont permis par la technologie, et parient sur ceux amenés à perdurer après la crise actuelle. Cette dernière crée des opportunités que les fonds investissant dans des start-ups jeunes, en early stage, vont tenter de saisir dans l’année qui vient.

Ces dernières années, les start-ups mettaient un point d’honneur à se focaliser sur un produit ou service pour en devenir le leader sur le marché. Nous observons en temps de crise une résilience supérieure des entreprises dont la base clients ou l’offre de produits est diversifiée. La stratégie orientée purement sur la croissance sera-t-elle remise en question, en faveur d’une stratégie moins efficiente mais plus mesurée, orientée sur la diversification ?

Si les méthodes de travail ont été bouleversées durant le confinement, il faut s’attendre à une modification structurelle des façons de travailler sur le long terme. En effet, cette crise nous permet de prendre conscience que le télétravail n’altère pas notre efficacité et bien souvent l’accroît grâce aux logiciels de collaboration, aux services de messagerie et à l’organisation de réunions en visioconférences. Les start-ups anticipent déjà le déconfinement : le travail à distance devient une opportunité plutôt qu’une nécessité. Les entrepreneurs remettent en question le besoin d’ouvrir un bureau local dans le cadre de leur déploiement géographique ; l’empressement à déménager dans de nouveaux locaux au rythme de l’agrandissement de l’équipe sera ralenti, au profit du télétravail. Le marché du travail, notamment sur des profils dotés d’une expertise rare, sera probablement moins tendu qu’avant la crise, rendant ce type de recrutement plus aisé ou plus abordable. Par ailleurs, la vigilance financière et la recherche de rentabilité amèneront peut-être les start-ups à s’appuyer sur leur équipe cœur plus longtemps et ainsi repousser les recrutements massifs.

Cet article a été rédigé sur la base de l’écoute de multiples conférences en ligne durant lesquels des venture capitalists français et américains ont donné leur point de vue sur la crise actuelle et ses implications pour leur activité et celle des start-ups de leur portefeuille. Merci notamment à Eldorado, UpComingVC, 50Partners, VentureCrush, Babyvc, pour l’organisation de ces webinars. L’objectif est de vous proposer une synthèse des principales hypothèses récemment formulées sur le sujet.

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