Le Metaverse n’est-il qu’un grand jeu de rôle virtuel pour adulescents ?

Cyril Dever
6 min readNov 7, 2022

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© Folio3

Après la pandémie et avec la montée des populismes de tous bords, le repli sur soi semble devenir progressivement la règle. Mais ce phénomène n’a pas attendu les pérégrinations de nos politiciens pour entrer dans nos vies. Le constat est là : notre monde au quotidien se passe presque plus à travers la lucarne de cinq pouces de nos téléphones que « pour de vrai ».

D’autant que la culpabilité née de la prise de conscience écologique semble « criminaliser » chaque jour davantage les usages physiques du progrès au profit des usages virtuels, pourtant pas forcément plus vertueux. A présent, il vaut mieux éviter de voyager loin, voire même d’avoir des contacts physiques réels. La vie virtuelle semble la seule issue. D’ailleurs, le dernier sujet à la mode, c’est le Metaverse (ou Métavers en français). Ici une rubrique, là un reportage, pas un jour sans que quelqu’un ne s’empare de ce fameux Metaverse pour en faire un sujet.

Un terme, pas encore de sens

Mot-valise inventé par Neal Stephenson et né de la contraction de l’expression anglaise « meta universe », il suggère la notion d’univers qui va au-delà de celui dans lequel nous vivons. Matthew Ball, l’un des principaux promoteurs du concept, évoque « un gigantesque réseau interopérable de mondes virtuels affichés en 3D en temps réel, qui peut être vécu de manière synchrone et persistante par un nombre illimité d’utilisateurs ».

Repris par Facebook, le concept et le nom ont été popularisés en grande pompe par Mark Zuckerberg lui-même en octobre 2021 lors du changement de nom de la holding du groupe devenue Meta sans que personne ne sache très bien de quoi il retournait vraiment à ce stade.

Souvent assimilé à une grand jeu de rôle virtuel, le Metaverse reste en effet encore un objet polymorphe qui cherche sa place dans l’imaginaire collectif aussi bien que dans le portefeuille d’actions des investisseurs ou que dans la stratégie des entreprises.

Dernièrement cependant, l’arrivée massive des marques de luxe a donné un nouvel éclairage sur l’usage concret que les entreprises pouvaient faire de cet outil virtuel.

Avec une question : est-ce vraiment une (r)évolution de notre mode de vie ou seulement une nouvelle forme de « bling-bling-isation » de la société ?

Aïe… Askip, rien qu’en la posant, je suis passé du côté obscur de la force. Tant pis, j’assume d’être un daron et j’ouvre une parenthèse : ce ne serait pas la première fois que les jeunes générations tenteraient de me placer dans la case « boomer » (alors même qu’historiquement les « boomers » sont mes parents, ce qui a donc plutôt tendance à m’agacer, quel que soit l’amour que je leur porte !). Je suis donc sans doute vieux à leurs yeux (comme mes parents l’étaient aux miens lorsque j’ai commencé à travailler), mais il n’empêche que la seule vue de la pyramide des âges devrait inciter ces jeunes à un peu plus de modestie quant à leur place future dans les préoccupations des entreprises. En d’autres termes, il va surtout falloir que l’on apprenne à se respecter un peu plus mutuellement, car aussi vieux soyons-nous et aussi jeunes soient-ils, nous sommes tous nés avec internet et ce n’est pas la technologie qui nous rebute, au contraire. Et qui dit se respecter, dit être capable d’échanger, de travailler ensemble, bref, de collaborer. Fin de la parenthèse.

Et parfaite transition car, à mon avis, plus que l’usage de la technologie 3D (déjà bien évoluée avec des choses comme Unity ou Unreal Engine), l’enjeu principal du Metaverse est la collaboration. Ou dit autrement, et même si le terme est barbare, c’est bien l’interopérabilité entre les mondes du Metaverse qui fera que cette nouvelle aventure réussira ou non et qu’il ne se résumera pas à une coquille vide inutilement énergivore comme certains articles publiés dernièrement le laissent à penser.

Interopérabilité et composabilité

Un post que j’ai lu récemment évoquait le pouvoir du Metaverse en terme de « composabilité », mettant en avant un parallèle entre le principe financier des intérêts composés (qui produisent eux-mêmes des intérêts) et la puissance potentielle du Web3 qui s’appuierait sur une idée analogue, à savoir la possibilité d’exploiter dans chaque monde du Metaverse la richesse créée dans les autres mondes, empilant ainsi la valeur, par exemple à travers l’usage des tokens ou des smart contracts de manière transversale et donc interopérable.

L’interopérabilité serait donc le pivot de la réussite de ce nouveau monde aspirationnel.

Mais l’interopérabilité, c’est quoi ? Comme le souligne à juste titre Wikipédia, « il convient de distinguer interopérabilité et compatibilité ». Pas besoin d’être compatible fonctionnellement et techniquement avec le monde d’à-côté pour être interopérable, c’est-à-dire capable de pouvoir communiquer et fonctionner ensemble.

© Synaltic

Cette distinction est essentielle car elle nous emmène sur un chemin technique tout autre que s’il fallait être compatible.

Qui n’a pas ragé de voir qu’il ne pouvait pas bénéficier de telle ou telle application sur son mobile ou son ordinateur parce qu’elle n’était pas compatible avec son système d’exploitation ? Et si la popularisation des apps ou des logiciels fonctionnant en SaaS a permis d’atténuer ces problèmes côté utilisateur, quel développeur n’a pas maudit le jour où il lui a fallu compiler son application ou sa librairie en autant d’environnements cibles que l’année compte de semaines ?

Une norme en ligne de mire ?

Avec l’interopérabilité, la question n’est plus de savoir quel langage utiliser mais quelle norme partager.

Alors évidemment, c’est là que les choses peuvent se compliquer car certains exemples récents nous montrent qu’il est facile d’empiler les normes mais plus difficile de s’accorder sur une norme unique. D’ailleurs, on pourrait penser qu’en Europe nous bénéficions là d’un avantage concurrentiel important, vu notre faculté à créer des normes réglementaires. Mais, comme je l’ai déjà dit dans un post précédent, c’est l’usage business que l’on fait de la technologie qui permet à celle-ci de s’épanouir pleinement, pas l’obligation règlementaire (même si cette dernière peut être un levier non négligeable).

Le Metaverse se trouve probablement déjà à ce carrefour crucial de son développement. Ses principaux acteurs, actuels et futurs, vont-ils réussir à faire émerger une norme à la fois suffisamment souple pour permettre à chaque monde d’apporter son utilité intrinsèque sans être bridé et suffisamment ouverte et simple pour autoriser les croisements, les hybridations ou les métissages d’usage qui feront de l’ensemble une valeur supérieure à la simple somme de ses parties ?

Une coquille à remplir

Les dernières polémiques laissant entendre que le Metaverse est pour le moment plutôt rempli de… vide me paraissent exposer des faits indéniables (si, si !), mais elles se situent dans un temps trop court pour permettre d’en tirer des conclusions définitives sur son avenir. Souvenons-nous du nombre de personnes qui pensaient lors de l’introduction en bourse de Facebook que l’entreprise ferait long feu.

En réalité, c’est à nous de nous mettre au travail ensemble pour réfléchir et agir afin que ce Metaverse soit plus qu’un simple jeu de rôle virtuel, qu’il soit une source de richesse personnelle et collective qui permette aussi au monde réel de bénéficier de son développement, le tout en travaillant activement à sa décarbonation. Cela passe sans doute par un effort pour aider les créateurs européens de blockchain, d’univers virtuel ou de service numérique (pour ne citer que quelques aspects des sous-jacents technologiques qui composeront nécessairement le Metaverse). Avec un objectif simple : atteindre le marché mondial via l’Europe tout entière, comme les GAFAM ont su le faire depuis les Etats-Unis. Cela suppose avant tout une volonté d’innover de chacun au sein de nos entreprises pour créer de la valeur avant les autres. Prenons des risques, nous en serons récompensés.

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