Où va la blockchain ?

Cyril Dever
5 min readOct 18, 2022

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Parmi les derniers sujets les plus cryptiques pour les non-initiés, The Merge d’Ethereum cristallise les commentaires les plus extravagants. D’un côté, il y a les sceptiques qui considèrent comme une trahison ce move de l’Ether (lequel a perdu selon eux sa qualité de crypto le 14 septembre dernier). De l’autre, il y a les optimistes qui y voient au contraire un signe positif envoyé par la tech dans la lutte contre le réchauffement climatique et une opportunité de faire redécoller les technologies de la blockchain.

Mais qu’en est-il vraiment ? Sommes-nous à ce stade potentiellement bénéfique de « destruction créatrice » à la Schumpeter que mentionnent certains articles que j’ai lus ? Ou le Web3 est-il déjà en train de dévoiler ses limites avant même d’avoir réellement pris son envol ? Comme toujours, la réponse se situe vraisemblablement quelque part au milieu.

Au commencement était le Proof-of-Work

A la base, Satoshi Nakamoto, en inventant le Bitcoin, cherchait à créer un outil décentralisé permettant de s’affranchir de toute autorité centrale pour la création de monnaie et la gestion des transactions entre individus. Lorsque le Bitcoin dépasse pour la première fois les 10 000 dollars courant 2017, on assiste au boom des cryptos, ces monnaies virtuelles qui se multiplient alors comme des petits pains en s’inspirant avec plus ou moins de virtuosité technique du white paper original sorti neuf ans plus tôt.

La blockchain Ethereum se développe réellement à partir de ce moment-là mais, si elle s’accompagne d’un fonctionnement par crypto avec l’Ether, elle se singularise avant tout par la création des smart contracts, ces contrats dits intelligents parce qu’ils peuvent s’exécuter automatiquement et en toute sécurité de manière distribuée, donnant naissance à un tout nouvel écosystème autour des Dapps, ces applications décentralisées qui forment la base du Web3. D’ailleurs, Vitalik Buterin, son créateur, ne l’a pas promue comme une cryptomonnaie à proprement parler mais bien comme une plateforme décentralisée.

La montée des périls

Pourtant, avec la prise de conscience de plus en plus forte des enjeux écologiques, la question de l’énergie va rapidement devenir centrale pour les technologies de la blockchain, y compris Ethereum. En effet, le protocole principal, le Proof-of-Work de Nakamoto, s’appuie sur deux caractéristiques essentielles et opposées pour garantir sa sécurité : d’un côté, la vérification de la validité d’un bloc doit être extrêmement facile et rapide, mais de l’autre, la création de ce bloc nécessite une puissance de calcul considérable pour avoir une chance de gagner la course au minage. Or, cette seconde caractéristique implique de disposer de ressources énergétiques colossales. Cela a d’ailleurs fini par faire dire à certains que le Bitcoin, plus qu’un outil monétaire, était en réalité devenu une sorte de régulateur du marché de l’énergie, les mineurs étant obligés d’aller chercher les coûts les plus faibles là où ils se trouvent pour que leur entreprise de minage reste rentable.

Dès lors, l’inscription du minage dans la liste des activités interdites en Chine à la mi-2021 puis l’invasion de l’Ukraine par la Russie début 2022 qui entraîne une hausse brutale des prix de l’électricité rendent presque inévitable un crypto crash, sorte d’écho à la bulle internet du début du millénaire finalement intervenu en mai dernier, provoquant en retour de nombreuses interrogations sur la technologie elle-même. Et pourtant, dans le même temps, apparaît l’engouement pour les NFTs, ces certificats d’authenticité enregistrés justement dans des blockchains qui font atteindre à certains objets numériques des prix affolants, et dont la plupart s’appuient sur l’ERC-20, un protocole spécifique d’Ethereum.

The Merge, ou l’avènement d’une autre conception

C’est dans ce contexte en ébullition que se produit The Merge qui fait passer le protocole d’Ethereum du Proof-of-Work (PoW) au Proof-of-Stake (PoS).

S’inscrivant dans une logique voulue par Buterin et déployée en plusieurs étapes (dont l’avènement prochain du sharding, mais c’est un autre sujet), l’opération est censée incarner le renouveau de la technologie blockchain, plus écoresponsable, Ethereum affirmant même que cela réduit d’environ 99,95% sa consommation d’énergie.

Conceptuellement, une chose est sûre : les deux types de protocole n’ont en commun que le nom de blockchain. Car leur mode opératoire est radicalement différent. Pour faire simple, le premier (PoW) récompense un mineur qui a résolu des équations complexes pour créer un bloc tandis que le second (PoS) rémunère tous les participants sur la base de ce qu’ils misent pour participer à l’émergence du consensus.

Et pourtant, tous deux ont en commun la volonté de proposer des moyens de sécuriser notre vie numérique.

Ne pas se disperser

On a bien compris qu’entre les tenants de la pureté du protocole de Nakamoto et les pragmatiques qui voient dans cette évolution un mal nécessaire, les points de réconciliation sont peu nombreux. Mais cela pose inévitablement la question de la viabilité à long terme de tout l’écosystème. Va-t-on voir la naissance de nombreux forks, ces versions divergentes d’une même blockchain, au risque de perdre le grand public face à ce foisonnement peu lisible ? Ou la realpolitik tech imposera-t-elle rapidement ce nouveau paradigme d’une blockchain basée sur un protocole (le PoS) potentiellement moins solide d’un point de vue théorique mais plus respectueux du monde tel qu’il évolue ?

Honnêtement, quelles que soient leurs formes, les technologies de la blockchain (qui s’inscrivent dans le registre plus large des shared ledgers, ou registres partagés) sont chaque jour un peu plus solides. Et, à mon avis, The Merge va quand même dans le bon sens. Mais ce n’est pas une garantie de réussite pour autant.

Business first

En ce qui me concerne, l’expérience de ces dernières années me fait penser que c’est par l’usage business qu’il en sera fait plutôt que par l’angle règlementaire que le match sera gagné. Le développement de notre blockchain de consentement, malgré sa force éthique et la réponse solide qu’elle apporte aux problématiques du RGPD, a été sérieusement freiné au moment de la pandémie parce qu’elle ne procurait pas assez de retour sur investissement immédiat aux entreprises qui avaient d’abord besoin de faire du chiffre d’affaires tout de suite et parce que les promesses de fermeté du régulateur européen n’ont pas vraiment été tenues, en particulier sur ce point précis de la gestion du consentement. C’est triste à dire, mais pour que le règlementaire marche, il faut que la peur de la sanction l’emporte sur les raisons non-économiques. C’est comme sur les routes : c’est d’abord la peur du gendarme (ou de l’amende) qui nous fait changer nos comportements.

Avec ses NFTs, ses smart contracts et sa cryptomonnaie, Ethereum est plutôt bien lotie en usages business porteurs. Mais elle n’est pas la seule. Les blockchains qui sauront s’inventer (ou se réinventer) pour répondre aux besoins business de leur marché y trouveront, elles aussi, leur place dans les années à venir.

Évidemment, malgré les imprécations de certains fanatiques du Web3, tout ne va pas devenir blockchain. Comme toute (r)évolution, cette technologie va progressivement prendre sa place dans la panoplie des outils à disposition des entreprises, ni plus, ni moins, mais elle n’est pas près de disparaître. Alors, soyons créatifs pour continuer à trouver ensemble le meilleur moyen d’en tirer parti !

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