Ce que Nice-Matin a appris après un an de journalisme de solutions sur son offre abonnés

Damien Allemand
6 min readDec 22, 2016

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Les personnages fort rencontrés cette année par les journalistes de Nice-Matin.

Quand nous avons décidé de développer une offre éditoriale payante tournée vers le journalisme de solutions, beaucoup ont écarquillé grand les yeux. Soit par interrogation ne comprenant pas très bien le concept voire l’utilité. Soit par curiosité, car la promesse d’un journalisme de qualité, au long cours travaillant sur des problèmes de fond, était plutôt enthousiasmante. Bref, c’était un pari et il était loin d’être gagné d’avance. Un an (déjà) après le lancement de cette offre bichonnée par Benoit Raphaël, plus personne ne se pose la question de ce positionnement éditorial. Le nombre d’abonnés a bondi (+ 70% en un an), la rubrique “Solutions” s’affiche en grand (et en jaune) sur les home page de nos sites et il n’est pas rare que ces reporters “différents” infusent cet esprit dans les pages du journal. On a en même fait un supplément de 8 pages en octobre sous l’impulsion du directeur de la rédaction, Denis Carreaux.

D’abord, c’est quoi le journalisme de solutions à Nice-Matin? C’est déjà une démarche qui fait écho à notre histoire: des salariés qui ont refusé la fatalité et ont décidé de prendre en main leur avenir en rachetant leur entreprise à la barre du tribunal. Très solution comme démarche.

L’équipe solutions de Nice-Matin (Vincent Rozeron, Aurore Malval, Guillaume Aubertin, Sophie Casals et Caroline Ansart. Il manque Jérémy Collado sur cette photo, j’espère qu’il ne m’en voudra pas.

Editorialement, ce n’est pas un journal des bonnes nouvelles au pays des bisounours. Ce ne serait pas crédible. C’est plutôt un journalisme constructif, un journalisme de terrain et de données qui identifie des problèmes, pose les questions et cherche les réponses. Dans cette période de crise, nous nous sommes dits que notre métier de journaliste ne pouvait plus se borner à donner chaque matin à nos lecteurs les dernières infos locales. Notre métier change, les attentes de nos lecteurs aussi. On s’est dit que nous devions faire plus que relater les problèmes en s’arrêtant au simple constat déprimant. On s’est dit aussi qu’il fallait mettre en lumière toutes les initiatives positives qui émergent chaque jour dans nos départements et qui vont dans le bon sens. Cette vision détonne un peu dans le paysage médiatique français car, culturellement, la presse française est très tournée vers les problèmes. Un peu comme si le fait de les traiter en grand et avec force était un gage d’indépendance…

Pour arriver à ce mode de traitement différent, il fallait casser les codes. Il fallait aller plus loin que la règle des 5W enseignée dans toutes les écoles de journalisme. Au fameux “Quoi ? Qui ? Quand? Où? Pourquoi?”, nous ajoutons une sixième question: “Et maintenant?”

Deux avantages à ce nouveau questionnement:

  • Parler des solutions n’empêche pas de parler des problèmes. Surtout pas.
  • Le lecteur se voit proposer une vraie valeur ajoutée, une info qui va au-delà des faits bruts désormais facilement accessible sur les réseaux sociaux ou ailleurs. Mieux, il est prêt à la payer.

Comment casser les ghettos? La cohabitation homme-loup est-elle vraiment impossible? A-t-on tout tenté contre le chômage? Comment lutter contre le gaspillage alimentaire? Voilà quelques unes des thématiques traitées sous forme de dossiers par nos journalistes en 2016. Une année chargée. Une année où nous n’avons pas tout réussi dans ses enquêtes. Mais nous nous sommes imposés de garder un cap: “test and learn”. On teste des formats, des angles, des modes de traitement… On regarde comment ça réagit avec les datas récoltées et on corrige pour le prochain dossier. Le but? Essayer d’améliorer, à chaque fois.

Et en un an, on a appris beaucoup de choses.

La mort du constat, place nette aux solutions

Au départ, nous avons structuré nos enquêtes en deux chapitres: comprendre et agir. Le premier pour cerner le problème et bien comprendre que c’était un problème. Le deuxième pour aborder les solutions en mettant en lumière de bonnes initiatives, chez nous ou ailleurs. Ça donnait des dossiers copieux (plus d’une vingtaine d’articles) et une grosse débauche d’énergie pour finalement peu de résultats.

L’équipe solutions en réunion nouveaux formats. Même si Philippe fait semblant de dormir…

Exemple avec notre dossier sur les transports: on a fait plusieurs “vécus” dans les trains et les bus de notre région. Les personnes rencontrées racontent combien ils galèrent, crachent sur la quasi-totalité des opérateurs et assassinent les politiques qui selon eux ne font rien. Les sujets sont travaillés, les témoignages sont forts, les histoires incroyables… mais ça ne prend pas. Comme pour le mois d’enquête précédent sur la cohabitation homme-loup, toute la partie consacrée au constat ne fonctionne pas. En revanche, ça décolle dès que l’on aborde les solutions. Près de 6000 vues par article contre moins de 2000 en moyenne. Mieux, les temps de lecture sont multipliés par 4, pouvant aller jusqu’à 8 min sur un papier de plus de 10.000 signes, même sur mobile.

Tout l’inverse de quand j’ai débarqué au web en 2010, où la mode était à la brève factuelle de 5 lignes…

Trouver des intervenants… différents

Le terrain, c’est la clé. Ça prend du temps de trouver le bon intervenant, celui qu’on entend pas ou peu mais qui se bouge réellement. C’est aussi ne pas hésiter à chercher à la personne qu’on attend pas du tout sur un sujet mais qui va proposer la solution la plus originale.

Deux exemples en tête dont j’avais parlé à mon ami Arnaud Wéry: pour un dossier avec pour thématique “comment casser les ghettos”, un de nos reporters a été voir des architectes et des designers. Ils lui ont fait des propositions sur des réaménagements possibles de nos cités, très loin de ce qu’on voit d’habitude.

Autre exemple sur comment en finir avec les bouchons: c’est une mathématicienne qui a fait des propositions très concrètes (généraliser le stationnement en épi, baisser la vitesse de 20km/h sur l’autoroute, etc.) juste en jouant avec les données qu’elle avait récolté.

Un fort taux de partage… et des commentaires intéressants

“Les commentaires sur Facebook? C’est de la merde”. Non, ça rend humble. Les journalistes n’ont quasiment jamais été confrontés aux réactions de leur lecteur. Sur Facebook, le lien est direct. Ça peut faire mal. Il y aura toujours quelqu’un pour nous dire qu’on s’est trompé, que c’est nul, mal écrit ou pas intéressant. Prendre ça de haut? Pas vraiment la solution. Il faut se poser les bonnes questions sur ce qu’on leur donne à lire. Bien sûr, il y a aussi tout le flot de commentaires haineux, racistes, etc. Et si la qualité du commentaire dépendait de la qualité de l’article? C’est ce que je pense après cette année “solution”. On ne peut pas attendre de commentaires positifs sur un fait-divers glauque, une polémique ou un article qui joue pas sur les bas instincts ou nos émotions.

Les reportages solutions ont un impact différent sur ces lecteurs. Ce sont les plus commentés et les plus partagés chez nous. Pourquoi? Parce qu’ils interrogent le lecteur. Je n’ai pas le souvenir d’avoir vu de commentaires négatifs. Du débat oui, car un internaute peut ne pas être d’accord avec une solution proposée. Dans ce cas, il l’exprime et souvent, il argumente. Je me souviens notamment d’un article de l’excellente Sophie Casals. Elle était allée voir un berger en Italie qui racontait qu’il n’avait plus connu d’attaque de loups depuis très longtemps. Comment? En changeant ses méthodes de travail et étant beaucoup plus proche des bêtes. Posté sur Facebook, l’article s’est transformé en débat entre les pro et anti-loups. Entre les uns qui saluaient ce berger exemplaire et les autres qui expliquaient que les environnements n’étaient pas comparables. C’était passionnant.

Non, les internautes ne sont pas qu’une horde de débiles qui crachent leur fiel sous chaque article.

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Damien Allemand

Journaliste sur #LesInternets, responsable digital @Nice_matin #monjournal