Résoudre le problème du sexisme dans le Lindy Hop

Danse sociale féministe
8 min readJan 20, 2016

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Cet article est une traduction de Solving Sexism In the Lindy Hop Community par Rebecca Brightly

Marre du sexisme dans le Lindy Hop ? Moi aussi ! Passons à l’action.

Ces derniers temps, on a beaucoup parlé du sexisme sur les blogs et les pages Facebook consacrés au Lindy Hop. Voilà qui est très encourageant. Y a du changement dans l’air, n’est-ce pas ? Et il faut que les femmes continuent de se battre au premier rang pour faire bouger les choses.

Dans mon dernier article, j’expliquais en passant que le sexisme est à l’origine de notre conception erronée de la connexion1. Aujourd’hui, je veux aller nettement plus loin que ça.

Je suppose que nous comprenons tou-te-s ce que le sexisme a de problématique. Ce post est donc consacré entièrement à discuter de solutions pour la communauté Lindy Hop. En avant ! Je serai heureuse de vous lire dans les commentaires.

J’ai rencontré trois suggestions principales sur comment traiter le sexisme dans la communauté Lindy Hop :

  1. Utiliser pendant les cours des termes neutres par rapport au genre.
  2. Enseigner/apprendre les deux rôles : leader et follow (guider et suivre)
  3. Enseigner/apprendre une connexion et une danse fondées sur l’égalité de proposition (les deux partenaires peuvent proposer et suivre des mouvements).

Le langage neutre par rapport au genre : loin d’être suffisant

L’utilisation d’un langage neutre par rapport au genre est une bonne pratique qu’il faut adopter dans l’enseignement. C’est une manière subtile de reconnaître que tout le monde peut guider ou suivre. Mais l’utilisation d’un langage neutre par rapport au genre ne fait pas grand chose pour résoudre, à elle seule, le problème du sexisme.

Prenons l’exemple des Philippines. Ils/elles n’ont pas de mots distincts pour « il » et « elle ». Leur pronom « siya » (prononcé « shya ») est non-genré. Il renvoie soit à « lui », soit à « elle », selon le contexte. Mon mari philippin, Paul, est arrivé aux USA à l’âge de 23 ans. Il me dit que sa culture est très sexiste. Paul pense que c’est parce que de nombreux messages sexistes sont présents dans d’autres domaines de la culture, et parce qu’il est facile de déduire le genre du contexte.

Paul dit que les gens ont tendance à supposer que « guider la danse » renvoie à l’homme et « suivre » renvoie à la femme — même quand on ne précise pas le genre, et même si on dit jamais « hommes » ou « femmes ». Je lui ai demandé : comment s’y prendrait-on pour limiter les effets du sexisme dans un cours de danse avec des partenaires philippins ?

Il a répondu qu’il faudrait un antisexisme beaucoup plus explicite. Il faudrait subvertir les nombreux autres messages sexistes présents dans d’autres domaines de la danse (et de la culture).

[NDT: En France nous utilisons souvent les termes « cavalier » et « cavalière » pour parler de « leader » et « follower » les rôles genrés sont ici évident. Une femme qui guide ne sera bien souvent pas désignée comme « cavalière » mais comme « prenant le rôle de cavalier » !]

Apprendre les deux rôles : un énorme pas en avant

Une façon évidente d’être explicitement antisexiste est de montrer et d’enseigner les deux rôles à tout le monde. (Ou d’apprendre les deux rôles, pour ceux qui ne sont pas en position d’enseignant-e-s.)

La plupart du temps dans le monde du Lindy Hop, les femmes sont tenues de suivre, et les hommes, de guider. Apprendre les deux rôles permet d’ouvrir plus de possibilités pour tout le monde. Hors des cours, plus de femmes choisiront peut-être de mener, et plus d’hommes choisiront peut-être de suivre.

Si tout le monde danse dans les deux rôles, cela permet de mieux comprendre son/sa partenaire et de mieux s’adapter à lui/elle, quel que soit le rôle choisi.

Quand même, je ne pense pas que ce soit suffisant. On s’attend à ce que les femmes suivent parce que c’est le rôle considéré comme féminin. On s’attend à ce que les hommes guident parce que c’est le rôle considéré comme masculin. Tant que les rôles sont genrés et que des messages sexistes dominent dans le reste de notre culture, nous continuerons à retomber le plus souvent dans ces rôles fondés sur le genre.

Il est possible (probable, peut-être) que le caractère genré des rôles s’effacera avec le temps. Si beaucoup de monde pratique régulièrement les deux, j’imagine que les différences entre masculin et féminin s’estomperont et tendront vers l’égalité.

Mais je pense que cela peut être le cas plus rapidement si nous adoptons un antisexisme encore plus explicite.

La connexion fondée sur l’égalité de proposition : la solution pilier

Au lieu d’espérer que les gens vont comprendre grâce au langage non-genré ou à l’apprentissage des deux rôles dans la danse, nous devons aussi leur enseigner à ne pas être sexistes dans leur manière de danser. Ce que je suggère, c’est d’apprendre à guider/suivre d’une manière neutre par rapport au genre, ce que j’appelle aussi la connexion fondée sur l’égalité de proposition.

Aujourd’hui dans le Lindy Hop, nous apprenons à communiquer les un-e-s avec les autres de manière très genrée :

  • Les caractéristiques masculines/dominantes sont associées au le rôle de guideur/guideuse.
  • Les caractéristiques féminines/soumises sont associées au rôle de suiveur/suiveuse.

Avant, pour expliquer la connexion, j’expliquais aux suiveurs/ses qu’ils devaient abandonner le contrôle, qu’ils/elles ne devaient pas « inverser les rôles » ou « prendre les commandes » ou faire quoi que ce soit indépendamment des directions de leur partenaire. J’enseignais aux partenaires qui devaient mener à être puissant-e-s, à prendre la main et à donner des directions claires.

Voilà qui est problématique. Même si les gens échangent leurs rôles, ils/elles sont quand même supposé-e-s se conformer aux attentes genrées propres à tel rôle.

J’ai longtemps été perturbée par cette conception, alors même que je contribuais à la diffuser. Pour celles et ceux d’entre nous qui voudraient être à égalité avec leur partenaire, cette façon de parler reste en travers de la gorge :

  • « Si tu guides clairement, elle n’a pas d’autre choix que de faire ce que tu veux. »
  • « Fais-lui faire ce que tu veux. »
  • « La cavalière est comme un cadis pour faire les courses. »
  • « Le cavalier est comme le conducteur d’une voiture. »
  • « Ne prends jamais les commandes. Les guideurs trouvent ça agaçant. »
  • « Tu peux ajouter ton propre jeu de jambes, mais ça ne doit pas interférer avec le leader. »
  • « Tu peux choisir de faire quelque chose de différent, mais le guideur a un droit de véto. »

D’habitude, dans nos relations platoniques et romantiques, nous ne tolérons pas ce genre d’attentes très genrées. Le monde de la danse n’a pas rattrapé son retard, apparemment.

C’est vrai que les gens peuvent être masculins, féminins, une combinaison des deux, n’importe où entre les deux ou quelque chose de tout à fait différent. Mais les rôles dans la danse ne sont pas par essence ceci ou cela, et nous n’avons pas besoin de leur attribuer des caractéristiques masculines ou féminines pour pouvoir faire de la danse avec des partenaires.

Guider ne doit pas nécessairement vouloir dire « avoir le contrôle ». Suivre ne doit pas nécessairement vouloir dire « abandonner le contrôle ». Ces attentes et tout ce qui s’en rapproche sont superflues et illogiques et limitent mécaniquement la créativité. Ce qui a pour effet de limiter injustement tou-te-s les nouveaux/elles danseur-e-s à qui on enseigne à associer des traits genrés dominant/soumis au fait de mener et de suivre.

Voilà huit ans que je me suis spécialisée dans le rôle de suiveuse. Et devinez quoi : je ne suis pas soumise !

Et je ne souhaite pas non plus être dominante. Alors non, je ne vais pas passer plusieurs années à devenir une meilleure guideuse. Je veux avoir des chances égales de m’exprimer et d’être entendue dans le rôle que je choisis. Beaucoup de gens comprennent déjà ce que veut dire l’égalité des rôles dans la danse. Il est temps d’apporter cette compréhension à tout le monde.

Dehors, les concepts genrés de « guider » et de « suivre » !

Les rôles genrés dans la danse sont des vieux débris qu’il faut éliminer comme le personnage de Game of Thrones que vous préférez détester.
Vu toutes les paroles en l’air sur l’égalité entre guideur/se et suiveur/se, on croirait qu’il y a déjà eu plus de progrès réalisés. J’en ai marre des beaux discours. Il est temps de jouer le jeu, maintenant ! Il est temps de vraiment mettre en pratique l’égalité.

Puisque la façon dont nous nous rapportons les uns aux autres a une importance fondamentale, j’ai choisi l’expression « connexion fondée sur l’égalité de proposition » [NDT: equal-opportunity connection en version originale]. C’est l’égalité dans la communication qui est ici le concept crucial, et la science le confirme. Les lois biologiques ne disent pas que les hommes doivent avoir le contrôle. Les différences biologiques entre hommes et femmes n’ont absolument rien à voir avec le fait de partager les prises de décision dans les danses sociales. C’est d’autant plus vrai que, dans la réalité, je peux danser avec une personne de n’importe quel genre !

J’ai observé énormément de manières différentes pour les suiveurs/ses de prendre l’initiative à des degrés différents, et pour les guideurs/ses, d’être influencé-e-s par les suiveur/ses. Chaque groupe de partenaires a une façon différente de prendre les décisions. C’est même parfaitement OK si le/la suiveur/se a le contrôle. Personne ne peut effacer cette réalité par la magie d’une définition, en disant que c’est mal ou même en apprenant à des hordes de petit-e-s nouveaux/nouvelles à s’auto-limiter.

Et puisque, à ma connaissance, personne n’allaite ou ne lève des poids tout en faisant du Lindy Hop, il n’y a vraiment pas de bonne manière de mettre le sexisme sur le compte de la biologie.

En reconnaissant et en mettant en pratique la réalité de la prise de décision partagée, nous pouvons être égaux non seulement en théorie, mais dans la vraie vie. Notre culture (occidentale) a beaucoup progressé dans l’acceptation du fait qu’il y a de nombreuses façons différentes d’avoir des relations. Pourquoi est-ce que dans la danse nous continuons à pousser les gens vers des rôles très étroits ?

La danse avec un partenaire est une conversation

Parfois chacun parle et écoute à tour de rôle. Parfois on s’interrompt. Parfois une personne parle plus longtemps. Parfois le bavardage s’arrête et il ne reste plus que le langage corporel. Une personne peut bien dominer la conversation pendant que l’autre se contente de hocher la tête — mais ce ne sont pas les meilleures conversations, vous ne trouvez pas ?

En apprenant à prendre TOU-TE-S LES DEUX l’initiative ET à être ouvert à son partenaire, vous vous ouvrez un maximum de possibilités. Dans une certaine danse, on partagera peut-être les prises de décision moitié-moitié. Dans une autre, on laissera son partenaire mener et créer.

Si les chances sont égales, on n’a pas besoin de se mouler dans des rôles étroits de dominant-e ou de soumis-e. On peut faire ce qui va mieux à un moment donné. Voilà à quoi ressemble l’égalité. Voilà la libération.

Et ça commence avec vous. N’attendez pas que quelqu’un d’autre résolve le problème du sexisme. Reprogrammez vos attentes et commencez à apprendre la danse antisexiste dès maintenant.

D’autres idées ? N’hésitez pas à lâcher un commentaire pour discuter de ces solutions ou à proposer les vôtres.

(Et si vous ne pensez pas que le sexisme soit un problème dans le Lindy Hop, merci de m’envoyer un mail plutôt que de faire dérailler la conversation ici.)

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Danse sociale féministe

Nous sommes un collectif de danseuses et danseurs qui s’oppose au sexisme s’exprimant dans la danse sociale. Nous nous battons pour une danse non genrée.https:/