Par Davy Hoyau
L’argent comme principal effet de formaliser le sentiment d’appartenir à un collectif planétaire. Où qu’on aille, avoir de l’argent justifie l’accès à tous les biens et services. La valeur de l’argent tient au fait que chacun a l’assurance que chacun va accepter cet argent. S’il n’était pas accepté, en raison par exemple de l’instabilité de sa valeur ou d’une préférence pour un autre procédé, son intérêt diminuerait de façon drastique, et on aurait l’impression de se faire voler en travaillant en échange d’un argent partiellement inutile.
Sa circulation se produit dans le sens inverse de la circulation des biens et services. Si on peut suivre comment l’argent circule, on ne peut pas vraiment s’intéresser à comment les biens et services circulent.
L’argent est sensé refléter la valeur d’un bien ou service à l’aulne de la valeur de l’argent lui-même, c’est à dire dans le fond en fonction combinée de la quantité et de la qualité des biens et services. La valeur est une émanation mentale des coûts effectifs et prévisionnels, et parmi ces derniers, les amortissements et l’anticipation de coûts futurs, en plus du bénéfice qui lui relève de l’acceptation sociale d’une charge de coût sensée servir des transactions qui n’ont aucun rapport avec le bien ou le service.
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Ceux qui tentent de remédier au chaos de ce monde parviennent le plus souvent à se dire que le dénominateur commun des injustices et de l’irrationalité d’une organisation sociale uniquement orientée vers la génération de “richesses”, qui ne vont finalement que dans les poches d’une dizaine de maitres du monde, est l’argent.
Partant de là, de nombreuses solutions alternatives tentent d’exister, comme les monnaies locales, le revenu de base inconditionnel, ou tout simplement l’édification d’une société de la gratuité, basée sur le partage équitable de l’ensemble des coûts. Mais ce point de départ est insuffisant pour parvenir au résultat souhaitable, qui lui-même, n’est qu’à peine clairement énoncé.
Ainsi les deux points de départ d’une réflexion sur une réforme systémique sont ses procédés et sa raison d’être. Autant dire que tout reste à faire.
La raison d’être d’un système social est la même que celle produite par la nature dans son fonctionnement optimal, c’est celui de l’obtention de l’harmonie. Transcrire cette harmonie en faits concrets est relativement difficile mais pas impossible. C’est d’ailleurs une notion relève simplement des mathématiques. En premier il faut définir l’harmonie comme l’état d’un système qui fonctionne parfaitement quand il fonctionne normalement, avec le moindre effort, de sorte qu’il lui reste de l’amplitude pour augmenter ou diminuer l’impact de son fonctionnement “normal”, afin de s’auto-réguler.
Cette idée est plaisante si on la compare au système social actuel, dont le fonctionnement “normal” consiste à fonctionner au maximum de ses capacités en permanence, sans plus aucune marge de manœuvre pour réguler ce qui est souhaitable et ce qui ne l’est pas. Le fonctionnement idéal du capitalisme, non seulement ne vient jamais, mais aussi, dans cette période de notre temps, s’éloigne constamment, alors que tout le monde travaille d’arrache-pied sans aucun égard pour l’écologie ou les autres questions qui deviennent subsidiaires comme les droits de l’homme. Et malgré des efforts qui vont très loin en terme de vitesse et de précision des flux monétaires, la promesse du capitalisme ne fait que de devenir de plus en plus irréalisable. C’est parce que nous faisons une erreur de méthode.
Cette promesse, il faut la nommer, elle consiste à obtenir une juste répartition des richesses de sorte que chacun accède de façon conventionnelle à ce que notre époque peut lui apporter de meilleur. Elle consiste en une croissance continuelle de la qualité des biens et en leur quantité, de sorte que les coûts puissent tendre vers une sorte de gratuité, ou tout du moins de grande facilité dans l’acquisition de biens ou services. Finalement la gratuité recherchée par ceux qui veulent bannir l’argent et concevoir un monde généreux, est presque la même que celle d’un monde où les biens et services sont abondants. La différence avec un monde généreux, où le don donne un droit inusité à d’autres dons, se situe dans le lien social qui unit les “contractants” qui, si le système s’occupe de leur comptabilité à leur place, il persiste entre eux un sentiment de gratitude, et ce sentiment possède une utilité réellement efficace à grande échelle. Il s’agit donc de dissocier ce qui unifie les gens dans un système, en mettant d’une part la reconnaissance pour les richesses créées, et d’autre part le système de gestion, mais pas le système de gestion lui-même. Il s’agit là finalement de faire l’inverse du capitalisme qui augmente sans cesse la valeur de toute chose, il s’agit, en ajoutant de la qualité et de la quantité, de faire baisser leur valeur, au point de les rendre courants. Il s’agit au final de réfuter l’adage disant que “la rareté fait la valeur”, et de le supplanter par l’idée selon laquelle ce qui fait la valeur, c’est le fait qu’un bien ou service soit accessible au plus grand nombre.
Mais cette abondance, et cette augmentation continue de la qualité n’est pas à l’horizon. Au contraire, il faut le dire clairement, le fait de maintenir une large plage de la population mondiale dans la misère et les guerres est la seule chose qui permette à une autre moitié de vivre avec le minimum. De même, la qualité des biens et services n’augmente pas autant qu’elle le pourrait, si bien que le différentiel entre les privilégiés et les pauvres conduit plutôt à une baisse globale de la qualité et une raréfaction des biens et services, y compris ceux qui à l’origine étaient abondant comme l’eau et la nourriture. Et bientôt l’oxygène, peut-être, à force de raser les forêts-poumon.
Le rêve qui est vendu par le capitalisme est un attrape-nigauds, car il faut être nigaud pour croire que la richesses et le point oméga du but de la vie sur terre. Et que pour atteindre ce rêve impossible, que les pays pauvres envient aux pays riches du nord, les gens sont prêts à sacrifier tout ce dont la valeur est relative, leurs terres fertiles et leurs forêts primaires,pour obtenir des biens matériels symboliques quoi que périssables et polluants, après avoir dévalorisé tout ce qui fait leur vraie richesse, celle qui est culturelle et celle qui est écologique, bref tout ce qui pourrait être utile à leur avenir, qu’ils sont prêts à les brader en échange d’une illusion périssable.
Non, il faut revenir à l’essentiel et comprendre ce qu’est l’argent, son rôle et sa nature. C’est un thème que j’ai développé dans mon livre, dont la lecture ne perd pas de son charme avec les années, même si l’idée (qui est le but de cet article) est difficile à transcrire en peu de mots, elle est pourtant d’une rude simplicité.
A la question “qu’est-ce que l’argent” ? (ce n’est qu’un bout par lequel on peut entrer dans ce questionnement) la réponse va nous conduire à admettre que ce n’est qu’un postulat.
En réalité l’argent n’est que l’acceptation de l’argent, du fait d’estimer mentalement un bien, et pour des raisons purement pratiques afin de référencer et comptabiliser l’existant, de formaliser la valeur de ces biens et services avec un score, situé sur une échelle unique allant de zéro à l’infini. Dans ces conditions comment est-il possible de rendre compte de tout ce qui peut faire la valeur d’un bien, d’une part aux yeux des contractants, mais aussi aux yeux de toute la communauté ? Il est clairement impossible pour les contractants d’une transaction d’être tenus responsables de la valeur de cette transaction pour l’ensemble des chaînes de conséquences qui sont impliquées par tel ou tel bien ou service. C’est pour cela qu’il est si facile de vendre des pâtes à tartiner fabriquées avec le sang des orang-outang et du pétrole obtenu par le sacrifice de terres fertiles. Ainsi la chaîne de causalités qui produit un bien devrait-elle aussi être prise en compte dans l’édification de la valeur du bien. C’est ce qu’essaient de faire timidement les initiatives qui tentent de boycotter des produits.
Si on prend la question par un autre bout, du point de vue des super-riches, les dix maitres du monde qui en possèdent cinquante pourcents, ni l’argent ni aucun bien ou service n’a la moindre valeur à leur yeux, si bien que leur destruction non plus. Ils peuvent se rendre n’importe où dans le monde et avoir absolument tout ce qu’ils veulent, malgré leurs crimes, sachant que même la loi, la morale, ou des mouvements sociaux pourront à un niveau ou à un autre être achetés, d’une manière ou d’une autre. C’est ce qui se passe avec la propagande massive de médias qui ne cesse de mentir et distordre la réalité afin de soudoyer mentalement les peuples, et de les conduire vers une ruine dont le plus souvent, ils sont enjoués de se rendre complices. On peut même dire que la sur-richesse est un facteur d’appauvrissement à l’échelle globale, sans même s’aventurer dans la question pourtant évidente de ce qui devrait relever de la propriété publique plutôt que du droit privé.
Pour revenir à l’essentiel, le principal intérêt de l’argent est d’avoir une connaissance des transactions qui ont lieu de leur localisation, leur fréquence, et la destination réservée aux biens et services qui sont produits. Si l’usage des biens et services étaient orientés vers une augmentation globale de la richesse, les biens tendraient vers l’abondance. Les biens dévalués qui continuent d’être en circulation devraient être comptabilisés comme ayant une valeur économique, facteur d’enrichissement à grande échelle. De même la qualité des biens et services devrait être promue et considérée comme un tel facteur d’enrichissement global, et d’économie d’échelle. Il ne devrait pas y avoir de limitation, dû à un manque d’argent à produire des biens, services et des installations et machine-outils qui soient les plus fiables et les plus performants possible, puisque c’est un facteur premier de la richesse globale, et la cause d’une économie drastique d’énergie humaine et de coûts. A l’inverse les produits de trop basse qualité, permettant l’accès à des biens périssables, représentent un coût d’échelle qui est phénoménal. C’est ainsi que la misère entretient la misère.
J’essaie de transmettre une idée très simple que tout le monde devrait avoir en tête dès lors qu’on parle d’argent, et au travers de cela du système social dans son ensemble, incluant toutes les avaries et le chaos qui en émerge. C’est que les biens et services sont échangés contre des biens et services, et que ces échanges devraient être favorisés s’ils contribuent à l’enrichissement global et freinés dès lors qu’ils la contrarie. C’est surtout que ces échanges ont besoin, pour être équitables, de se passer d’être évalués de façon monétaire, pour plutôt être évalués sur plusieurs échelles distinctes, de sorte qu’on n’aie pas à devoir traduire en somme d’argent une valeur affective ou un litige moral,mais qu’au lieu de cela on observe une chaîne de conséquence concrète et surtout évaluable.
Il y a même une idée encore plus simple dans le fond, c’est que les biens et services n’ont que la valeur que leur confère des autres biens et services existants. En réalité il n’y aurait aucun besoin d’argent si on pouvait estimer les biens et services selon n’importe quel système de barème ou de score qui leur soit propres et qui soient compatibles. Pire encore, le fait d’utiliser l’argent, qui est lui-même un bien ET un service, qui a une valeur intrinsèque, qui freine ou facilite des transactions en fonction des intérêts des détenteurs de richesses, est l’idée la plus contre-productrice qui soit. Pire encore (bis), l’usage de l’argent, à cause de son fonctionnement et des berlues qu’ils provoque, qui s’expriment par un mépris de la richesse globale au profit d’une richesse privée et stupidement égoïste, constitue un coût et une perte sèche dans la valeur des biens et services existants. En fait c’est comme si pour échanger une pomme contre une orange, on devait faire appel à un banquier afin qu’il fabrique une monnaie, payante, qui elle-même engendre des bénéfices, pour permettre ce simple échange, de sorte que chacun des contractants soit obligé de rajouter une demi-pomme et une demi-orange à leur transaction pour que l’autre reçoive son bien, le banquier ramassant les miettes.
Et c’est comme si, en plus, ce banquier richissime décidait lui-même des prix, grâce à a somme de demi-pommes et de demi-oranges qu’il aura confisquées et qui auront pour effet de dévaluer les biens existants, à son seul profit.
J’essaie d’exprimer à quel point il est absurde de faire appel à un système complexe pour une transaction simple, et à la fois l’idée que ce système complexe est basé sur une simplification erronée des problématiques des échanges. En effet, je n’ai même pas eu besoin de prendre en considération pour mon exemple le fait que, à la fois, le travail humain, les ressources naturelles, et le service du banquier étaient confusément comptabilisés sur une même échelle, et qu’à la fois les biens, services et ressources naturelles sont tous traités seulement comme des biens, et même les humains, comme des marchandises (1).
Si les services sont traités comme des biens, alors leur qualité passe au second plan face à la quantité des services possibles. Ainsi la concurrence doit se jouer sur un argumentaire, qui lui-même représente un coût additionnel. Si la monnaie est considérée comme un bien, sa détention fétichisée constitue une perte pour l’ensemble de l’économie. Et même les biens, ne sont pas considérés comme des biens dans la mesure où leur qualité est intrinsèque, mais comme de l’argent en puissance, de sorte que les fabricants préfèrent se concentrer sur ce qu’ils peuvent rapporter plutôt que sur leur qualité. Finalement toute industrie est un système destiné à vendre n’imorte quoi pourvu que ça ramène de l’argent, mais ce qu’ils produisent, sa qualité et leur responsabilité face aux conséquences, sont les dernières de leurs inquiétudes. Tandis que les prix, eux, sont toujours calculés pour être maximaux, la qualité est toujours calculée pour être minimale.
En fait (pour approfondir cette dernière idée) si les prix étaient multipliés par dix, dix fois moins de personnes auraient accès aux biens, mais ce que rapporte les ventes ne diminuerait que de quelques pourcents. Inversement si les prix étaient réellement “au plus bas”, les quantités devraient augmenter exponentiellement pour que le chiffre d’affaire n’augmente que de quelques pourcents. Ainsi les prix sont calculés pour être le meilleur rapport entre la quantités et les bénéfices, et à la moindre anomalie dans le système de production, si la famine dominait et les coûts s’envolaient, les pertes pour les industriels ne seraient que minimes. On peut même voir que la surconsommation n’est motivée que par quelques petits points de plus dans les bénéfices.
Je postule depuis longtemps déjà sur l’établissement de trois circuits monétaires distincts réservés aux biens, aux services et aux ressources, naturelles et structurelles, de sorte à forcer l’apparition de systèmes d’évaluation qui leur soit propres, incompatibles entre eux, et de sorte que l’humain ne soit plus considéré comme une marchandise mais comme un producteur de marchandise, dont les biens qu’il produit ne peuvent être utilisés contre lui, en rendant sa production indésirable, le plongeant ainsi dans la pauvreté.
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La solution que j’ai décrite dans mon livre (2) tien en quelques postulats un peu différents de celui de l’argent. Premièrement, on l’a vu, la distinction entre ce qui relève du travail humain et les biens qu’ils produisent, ainsi que, troisièmement, des ressources naturelles et installations dont ils profitent. Mais ce n’est pas suffisant. La question d’une gestion d’échelle capable de produire une richesse globale dont chacun profiterait par ricochet, doit avoir pour conséquence une croissance qualitative des biens et services. Pour procéder à cela (ce que j’ai abordé dans mon livre), il faut une base de donnée qui relate précisément le chemin parcouru par tous les biens et services dans la chaîne de production. Il faut avoir une vue d’ensemble des chaînes de causalités, et donc, comme je le promeut, il faut une blockchain de chacun des atomes physiques existants. Cette blockchain aurait pour effet que l’argent ne circulerait pas en sens inverse du transfert des biens et services, mais avec eux. Ainsi, calculés par la machine, chaque bien aurait une valeur affectée automatiquement en temps-réel en fonction de l’ensemble des données sur l’existant. Le but serait évidemment la dépréciation des biens pour qu’ils tombent dans la gratuité, afin de forger une marge de manœuvre laissant place à une augmentation de la qualité des nouveaux biens créés.
Seule une gestion globale peut venir à bout de la question de la recherche de la justesse de l’évaluation correcte des biens et services. Ainsi, les objets eux-mêmes seraient l’argent qui circule, et par effet de conséquence logique, leur valeur, dépendant de leur qualité, serait sans cesse augmentée en se souciant de prime abord aux biens aux-mêmes, à leur utilité, et à leur apport à l’ensemble de l’économie à grande échelle.
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J’invite ceux qui produisent des richesses dont ils profitent jamais, ceux qui héritent des travaux les plus difficiles et mal payés, ceux dont on a confisqué les emplois, ceux qui n’ont pas aimé ou voulu poursuivre leurs études, les accidentés de la vie, les oubliés des statistiques, ceux qui cherchent un refuge, et en terme général ceux pour qui le mot justice a un sens qui ressemble à un désir, ce dont l’âme n’a que des espoirs auxquels se raccrocher, à se définir comme le cinquième cercle des résidents de ce monde, les plus nombreux, les 99%.
Si le système social est une hérésie sur le plan logique et fonctionnel, c’est parce que cet état de fait dans lequel l’humanité est plongé est désiré et entretenu par les cercles supérieurs. Les prolétaires de tous les pays sont condamnés à suivre une voie qui les agacent ; les classes moyennes et “petits millionnaires” ont été récompensés pour avoir servi aveuglément un système dont les conséquences leur échappent. Les serviteurs des oligarchies, que sont les médias et les industriels de taille moyenne suivent délibérément des politiques dont ils savent qu’elles ne servent que leur intérêt à court terme au détriment du leur propre à long terme. En enfin les élites de ce monde, qui forment un état délimité avec ses propres valeurs et son propre langage, sont les possédants, et décident de l’existant en fonction de leurs intérêts réels ou imaginaires.
Tout ceci n’existe que tant que les peuples ne sont pas (encore) organisés rationnellement au sein d’institutions populaires orientées explicitement vers l’obtention d’une économie d’échelle et d’une redistribution équitable des richesses. Le capitalisme, est juste un produit de supermarché bas de gamme, mais pour qu’il ne soit pas indispensable, et qu’on se soient dépendants de lui, il faut faut devenir autodéterminés, autosuffisants, et autogérés.
(1) La sombre voie du néolibéralisme vers le fascisme, par Chris Hedges