Portrait: Qui est Daniel Ibanez, opposant n°1 au Lyon-Turin ?

David Pauget
3 min readFeb 8, 2017

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Daniel Ibanez se bat depuis plusieurs années contre le projet Lyon-Turin, lancé il y a plus de 20 ans, et dont le feu vert définitif a été donné par le Sénat le 26 janvier dernier. Simple citoyen devenu lanceur d’alerte, ses arguments sont aujourd’hui partagés par une nébuleuse d’opposants de tout bord politique.

« Ce n’est pas un hurluberlu, c’est un gars qui sait compter, qui sait chiffrer, qui sait réfléchir”. C’est ainsi qu’Irène Frachon, à l’origine des révélations sur le Mediator, décrit son ami Daniel Ibanez qui l’a invitée à son Salon des lanceurs d’alerte en novembre dernier à Paris. Pourtant, malgré son exposition médiatique, celui qui est devenu l’un des opposants les plus farouches au Lyon-Turin reste modeste: Chaque citoyen doit intervenir dans le débat, ce que je fais est accessible à tous. Je ne cherche pas le micro par plaisir”

“Gabegie de l’argent public”

La future liaison à grand vitesse (LGV) est censée faire 200 km, dont 57 km de tunnel creusé sous les Alpes. Elle permettrait de relier Paris et Milan en 4h15. Annoncé dans les années 90, ce projet avait suscité engouement, à l’image des écologistes qui étaient à l’époque favorables. Daniel Ibanez, économiste, s’est mis à éplucher le dossier dès 2012. “Je pensais que ce projet avait été abandonné. Et un jour, j’ai vu fleurir des panneaux jaunes vers chez moi. C’était une enquête publique pour le Lyon-Turin.”

Il a alors écrit un essai, “Trafics en tous genres”, pour vilipender ce projet dont le coût est estimé à 26 milliards d’euros par la Cour des Comptes. L’une des raisons de sa colère: il existe déjà une ligne ferroviaire qui permettrait de faire Paris-Milan en 5h15, en supprimant les arrêts et en empruntant la ligne à grande vitesse entre Turin et Milan. “26 milliards pour 1h de transport en moins”, résume-t-il pour dénoncer une “gabegie de l’argent public”.

Dysfonctionnements démocratiques

Ce dossier lui tient à cœur car il y voit une illustration de toutes les dérives politiques. Le vote du 22 décembre dernier à l’Assemblée nationale -sans débat parlementaire- pour le lancement des travaux reste pour lui une “journée funeste pour la démocratie”. Il déplore des méthodes d’une “caste politique” alimentant la défiance des citoyens. Pourtant, il rejette le discours du “tous pourris”: “Je considère qu’il y a une immense majorité d’élus honnêtes…mais qui ne travaille pas les dossiers.”

Daniel Ibanez a d’ailleurs tenté une expérience en politique, qui s’est révélée décevante. Durant les régionales en 2015, il était candidat sur la liste Rassemblement (EELV, Ensemble!, Nouvelle Donne, Parti de Gauche). Il avait finalement retiré sa candidature à la suite d’un accord possible avec la liste de Jean-Jack Queyranne (PS). “J’ai refusé d’être avec des gens qui voulaient la déchéance de nationalité, la constitutionnalisation de l’état d’urgence”. Pas question également pour ce farouche opposant de sceller un accord avec le PS, favorable au projet. “Je suis déçu, je ne me présenterai plus sur une liste”, confie-t-il.

Des arguments repris par les écolos…et le FN

Membre de la coordination des opposants au projet Lyon-Turin, un collectif apolitique, Daniel Ibanez fédère aujourd’hui autour de lui une nébuleuse d’opposants.

Gerbert Rambaud, Président départemental du Rhône de Debout La France (parti souverainiste entendant dépasser le clivage gauche/droite) le décrit comme “un homme possédant de vraies convictions.” Nicolas Dupont-Aignan a d’ailleurs fait tribune commune avec Daniel Ibanez en décembre dernier. Du côté du Parti de Gauche, Nicole Benayoun, co-secrétaire du parti dans le Rhône, cite son dernier livre (“Lyon — Turin, Les réseaux déraillent”) dans son réquisitoire contre le projet. A l’extrême droite, Martin Kuolt, attaché du groupe FN Auvergne-Rhône-Alpes, assume une proximité avec ses arguments: “ Il s’agit pour la plupart d’entre eux d’arguments soutenus depuis des décennies par le FN”

Preuve du caractère pluriel de l’opposition, le FN et EELV avaient voté ensemble pour le désengagement de la ville de Grenoble au financement du projet. Une alliance de circonstance qui, comme le regrette Daniel Ibanez, est pointée du doigt par les promoteurs du Lyon-Turin pour décrédibiliser leurs adversaires.

Même si les alliances politiques demeure difficiles, l’opposant continuer à prôner une approche factuelle, faisant fi de l’idéologie. “C’est un combat de bon sens politique et social.” Si des dissensions peuvent naitre au sein d’une opposition résolument plurielle, celle-ci ne cesse de s’intensifier. Une question reste finalement en suspens pour celui qui peine encore à médiatiser sa lutte du fait d’une absence de ZAD comme à Notre-Dame-des-Landes. A l’image de son amie Irène Frachon, Daniel Ibanez remportera-t-il son combat ?

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