L’endométriose, le silence de la douleur

Déböna Bélé
7 min readMar 14, 2023

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L’endométriose est une maladie qui ne fait parler d’elle que depuis quelques années. Elle impacte violemment la vie des femmes ; de par l’errance médicale pour poser un diagnostic, et par le manque d’accompagnement médical, dû à cette méconnaissance de la maladie. En France, 1 femme sur 10 est touchée.

L’endométriose est une maladie gynécologique qui peut causer des douleurs chez les personnes atteintes. Crédit photo : Sora Shimazaki/Pexels

Autour du mot “endométriose” pourrait se trouver celui de “désert”. Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’endométriose est une “maladie qui se caractérise par le développement de tissu semblable à la muqueuse utérine en dehors de l’utérus, provoquant ainsi des douleurs et/ou une infertilité”.

Pourtant comme l’explique Camille Grange, journaliste ayant réalisé une enquête en BD Les Lésions dangereuses: enquête sur l’endométriose (Flush, 2022) : “Évoquer une maladie gynécologique qui se manifeste pendant les règles et qui crée des douleurs, ce n’est pas faux, mais c’est totalement incomplet. On ne peut pas donner une seule description”.

S’ajoute à cela le manque de formation dans les facultés de médecine. L’endométriose n’est pas étudiée ou très peu, ce qui explique le peu de spécialistes dans le domaine. Et les investissements manquent pour la recherche. En 2022, le gouvernement a certes mis en place un comité de pilotage d’une « stratégie nationale » contre la maladie, avec des financements pour faire avancer la recherche, mais les choses n’avancent pas vite, selon Adeline Valent, vice-présidente de l’association Endofrance qui compte près de 3000 adhérents. Et ce, du fait de la complexité de la maladie ou parce que d’autres pathologies sont “prioritaires” comme la Covid.

Du fait de ces biais de financement, les chercheurs préfèrent se consacrer à d’autres maladies. Au final, l’endométriose « ça embête tout le monde et ça ne passionne personne », ironise Camille Grange.

Les traitements ont toutefois évolué depuis les années 2000. Il y a 20 ans, la seule prise en charge était chirurgicale, et « il fallait au moins 15 interventions, sous cœlioscopie. C’était une méthode agressive », se souvient le Dr Laurence Filipuzzi, gynécologue obstétricienne à Dijon et spécialiste de la maladie depuis 2006.

De plus, bien que les médecins utilisaient l’IRM, l’imagerie par résonance magnétique, elle n’était pas de bonne qualité. Aujourd’hui, les images sont plus nettes et les médecins repèrent mieux les zones touchées par les tissus d’endomètre.

Aujourd’hui, bien que les traitements soient “plus doux”, il n’existe toujours pas de remède contre la maladie. Le seul moyen est d’arrêter les cycles menstruels. Cela peut passer par la pilule, la ménopause anticipée (par traitement médical), ou l’opération.

Seul l’arrêt des cycles menstruels permet de stopper l’endométriose, grâce à des moyens contraceptifs ou par la chirurgie.

Le plus souvent, les patientes doivent consulter un grand nombre de spécialistes avant de savoir à quoi s’en tenir. D’où un délai moyen de sept ans avant d’obtenir le bon diagnostic, précise Adeline Valent. Salomé a attendu 14 ans. Dès l’adolescence, elle avait pourtant “toutes sortes de symptômes qui auraient dû alerter” , où douleurs, hémorragies, malaises vagaux et autres migraines la clouaient chez elle. Aujourd’hui, après quatre opérations, elle est toujours malade, avec moins de douleurs mais une contrainte en plus : l’utilisation d’une sonde urinaire au quotidien, due aux complications liées à l’endométriose.

Le parcours des patientes est parfois d’autant plus douloureux que les médecins ne sont pas toujours délicats pour les rassurer, ou ont tendance à normaliser leurs douleurs.

Une douleur normalisée

La douleur est une sensation que l’on identifie au corps de la femme, que ce soit par les règles, par l’accouchement ou autre. “Vous souffrez, c’est normal il faut s’y faire. Vous avez vos règles, vous êtes une femme”, a dit un médecin à Salomé lors d’une consultation. Pour Marie-Rose Galès, auteure de plusieurs livres sur l’endométriose et ayant subi les affres de la maladie, c’est ce qu’on appelle le syndrome de Yentl .

“Une femme qui se plaint de douleur est moins vite prise en charge qu’un homme. Dans le cas de l’endométriose, on a décrété que la douleur était normale alors que pour n’importe quel autre organe que l’utérus, on pense dysfonctionnement” — Marie-Rose Galès

Ce n’est que lorsque le cas est grave que la personne est prise en charge. Une personne atteinte d’endométriose sans contracter de symptômes sévères peut attendre plus longtemps avant d’avoir une réponse claire.

Salomé a dû taper du poing sur la table pour se faire entendre des médecins : “On m’a dit que ce n’était pas de vraies douleurs, ce n’était pas possible, que je ne pouvais pas faire de la névralgie pudendale”. Ce n’est qu’en prenant l’initiative de passer plusieurs examens qu’elle a prouvé à ses médecins qu’il y avait quelque chose de plus grave derrière ses douleurs et ils se sont excusés. “En attendant, il s’est passé six mois avant d’avoir une réponse. Ça fait mal de se dire qu’il faut se battre autant pour prouver les choses qui sont vraies”.

La médecine alternative pour pallier les “manques” de la médecine conventionnelle

L’acupuncture pour tenter de soulager les douleurs de la maladie, un procédé qui ne fonctionne pas toujours. Crédit photo : Jorge Paredes/Pixabay

In fine, les personnes touchées par la maladie finissent par chercher elles-mêmes des solutions pour soulager leurs douleurs, au point qu’on pourrait les croire plus expertes que leurs médecins. Camille Grange nous avoue son rêve de réunir certaines patientes de sa connaissance “autour d’une table avec des médecins, pour qu’ils puissent échanger, et je suis sûre qu’ils auraient des choses à s’apprendre !”.

À l’heure actuelle, il n’existe aucun traitement avéré pour soigner l’endométriose. Mais les malades cherchent malgré tout des solutions. C’est le manque de spécialistes qui a poussé Marie-Rose Galès à établir sa propre méthode et à écrire des ouvrages en s’inspirant d’algologues, sophrologues, kinés ou autres ostéo ; les spécialistes les plus consultés pour l’endométriose.

D’autres encore, faute de réponse de la part de la médecine classique, se tournent vers des méthodes plus douces telles que la naturopathie, mais sans garantie de résultats concrets.

“C’est clairement aujourd’hui un business : des compléments alimentaires, des stages, de la naturopathie à gogo et il peut y avoir beaucoup de dérives” décrit Camille Grange.

Les dépassements d’honoraires de certains spécialistes peuvent constituer un frein pour certaines patientes. Pour être certaine d’être bien remboursée, Salomé a décidé de ne faire confiance qu’au service public, même si elle doit pour cela attendre longtemps un rendez-vous, voire se déplacer loin de chez elle pour un examen ou une consultation.

L’endométriose, une maladie qui touche tous les aspects de la vie

Vivre avec cette maladie a un impact sur la vie sociale. Tout le monde ne la comprend pas, le silence de l’endométriose n’aide guère en cela. Pour les parents de Salomé, c’était surtout l’impuissance face à la maladie. Ils ne peuvent que voir souffrir la personne sans comprendre, en lui apportant néanmoins le soutien nécessaire. Parfois, il faut encore expliquer la situation.

Là à Noël, mon beau-frère n’avait toujours pas compris que ma vessie ne fonctionnerait plus”, concède Salomé.

Une situation qui se répète dans les relations amoureuses, où il faut réexpliquer sans cesse la maladie à chaque nouvelle rencontre. Salomé se confie : “Lorsque je rencontre un homme et que je lui explique ma situation, c’est très compliqué. Ils s’intéressent, mais la question sur la possibilité d’avoir un enfant revient au galop. Ils oublient les douleurs, les symptômes principaux”.

Bien que la maladie puisse être invalidante, être atteinte d’endométriose ne signifie pas être condamnée à vie. Si elle doit aller au bar avec ses amis, Salomé prendra un coussin pour s’asseoir et être plus confortable. “Ce n’est pas que je me surpasse ou quoi que ce soit, c’est que moi j’ai toujours aimé la vie, je ne veux pas me bloquer. J’en ai marre de rester chez moi”.

Les témoignages de ces femmes ont permis d’ouvrir les yeux des médias, des scientifiques et des politiques sur ce mal intérieur qui touche en moyenne une personne menstruée sur dix en France.

Déböna Bélé

DES ASSOCIATIONS POUR AIDER ET ORIENTER

Les patientes atteintes d’endométriose peuvent se tourner vers des associations comme Endofrance ou EndoMind pour chercher information et entraide. “Nous les orientons vers ceux qui connaissent la maladie, sages-femmes, médecins traitants, ou gynécos”, explique Adeline Valent, vice-présidente d’EndoFrance. Portées par des célébrités comme la comédienne Laetitia Milot ou la chanteuse Imany, ces structures créent des groupes de parole pour informer et guider les patientes, mais aussi leurs proches. EndoFrance organise ainsi des rencontres amicales où les femmes viennent avec “leurs parents, leur conjoint, leur sœur ou leur cousine”. Parfois “ce sont les proches qui viennent seuls parce que les personnes souffrantes sont dans le déni. Elles ne veulent pas en entendre parler”, raconte Mme Valent.

Les réseaux sociaux permettent de diffuser plus largement l’information. Salomé, bénévole à EndoMind, oriente les personnes via leur page Facebook : “On répond aux abonnés qui nous écrivent, qui ont des questions qui les tourmentent. Il y a aussi des groupes de parole sur Facebook, un mixte et un non-mixte. On a besoin d’aider les autres, ceux qui ne sont pas forcément dans l’association. On a besoin de parler de l’endométriose, de faire comprendre ce que ça impacte réellement, on a besoin d’agir”.

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