Comment deux fonds nous ont dépouillés et ont détruit notre boite

Jules Delmas
19 min readOct 26, 2022

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Il y a 2 ans, Matthieu et moi étions brutalement virés de notre boite, Solendro, et dépossédés de nos actions par deux fonds d’investissement putschistes.

Le 31 mars 2022, la cour d’appel de Paris a mis fin à ce cauchemar.

A la suite de l’article du Journal du Net sur ce putsch, nous avons reçu de nombreux messages et questions d’entrepreneurs désireux de comprendre les mécanismes d’un tel coup de force et les façons de s’en protéger. Nous essayons d’y répondre en revenant plus en détail sur les deux années surréalistes que nous venons de vivre et les enseignements que nous en tirons.

1. L’origine

=> En 2012, à notre sortie d’école, nous créons Solendro.com, un site internet spécialisé dans la vente de sous-vêtements masculins. Notre objectif ? Devenir à terme le plus gros distributeur d’underwear masculin en Europe. Le Sarenza du boxer.

=> On fait progressivement entrer à notre capital des fonds d’investissement pour soutenir notre croissance : Breega en 2014, Internet Attitude en 2016 puis Phillimore en 2017, auxquels se joignent des business angels.

Si Matthieu et moi cédons la majorité capitalistique de la société, nous conservons son contrôle opérationnel. Les règles de gouvernance et de gestion sont définies dans un pacte d’associés et dans les statuts de la société : il y est prévu que les deux Fondateurs disposent du droit de désigner la majorité des membres du conseil d’administration de la société, et que l’accord préalable du conseil d’administration est nécessaire pour les décisions sociales les plus importantes. Plus spécifiquement, il est stipulé à la fois dans les statuts de la société et dans le pacte d’associés que ni la révocation des dirigeants ni leur nomination ne peuvent être votées en assemblée générale sans l’accord préalable du conseil d’administration.

Grâce à la majorité que nous détenons au conseil d’administration, Matthieu et moi sommes de fait irrévocables, sauf mésentente entre nous ou décision de justice.

=> A l’issue du dernier tour de table, Matthieu et moi détenons ensemble 42% du capital.

Le fonds Breega est le 1er actionnaire de Solendro avec 25% des parts. Internet Attitude en détient 22%. Deux business angels proches de Breega détiennent respectivement 3% et 2% des parts. Le premier business angel est un souscripteur de Breega et est membre de son comité d’investissement. Il est par ailleurs président du groupe de communication My Media. Le second business angel est l’un de ses employés et gère l’une des agences du groupe My Media.

Ensemble, Breega, Internet Attitude et ces deux business angels détiennent 51,6% du capital social.

=> Après 8 années de croissance et alors que nous sommes à l’équilibre sur le marché français et prévoyons de l’être au global sur l’exercice 2020, nous engageons un processus de cession de la société. Comme prévu dans le pacte d’associés et avec l’accord de tous les actionnaires, nous mandatons une banque d’affaires.

=> Alors que les discussions avec des acquéreurs potentiels avancent, des tensions au sujet de la valorisation de Solendro voient le jour avec certains actionnaires. Le représentant d’un fonds nous explique un soir qu’il « n’hésitera pas à se reluer* » sur Matthieu et moi-même « si jamais la valorisation de Solendro n’atteint pas la barre des 9M€**». Aucun mécanisme de relution n’existe pourtant dans notre pacte d’associés. Aucune clause de liquidation préférentielle non plus. Nous ne donnons pas suite à cette menace.

* La relution est un mécanisme visant à « reluer » un actionnaire, c’est-à-dire à lui attribuer des titres lui permettant d’accroitre sa participation au capital de la société. A l’inverse, se faire diluer, c’est voir sa participation relative diminuer.

** 9M€ correspond à la valorisation « post-money » de la société, c’est-à-dire incluant le capital levé, lors de la dernière levée de fonds.

=> Les discussions avec deux sociétés intéressées se poursuivent. En parallèle, Solendro voit son chiffre d’affaires augmenter de 20% au 1er semestre 2020, bénéficiant notamment d’un contexte sanitaire favorable aux ventes en ligne.

=> C’est alors que nous sommes victimes d’une fraude orchestrée par Breega et Internet Attitude, deux fonds désireux de rentabiliser un investissement qui risquait de ne pas rapporter les rendements escomptés.

A défaut de bénéficier d’une clause de relution ou d’une clause de liquidation préférentielle, ces derniers peuvent chercher à détourner la clause de « bad leaver » du pacte d’associés : il s’agit d’une clause de rachat forcé qui permet aux signataires du pacte d’associés de racheter les actions d’un Fondateur à une valeur plus basse que leur valeur réelle, en cas de faute de ce dernier. Encore faut-il, pour activer cette clause classique, révoquer au préalable le Fondateur de ses fonctions de dirigeant et démontrer qu’il a commis une faute.

Dans le cas de notre pacte d’associés, commettre une faute grave n’active en réalité qu’un « medium leaver » : les autres associés ne pourront acheter au Fondateur fautif que 25% de ses actions à leur valeur nominale (soit 1€ l’action…), les 75% restants ne pouvant lui être rachetées qu’à leur valeur réelle. Pour activer le « bad leaver » et rafler la totalité des actions d’un Fondateur à leur valeur nominale, il est nécessaire d’invoquer une faute lourde, c’est-à-dire une faute « commise dans la seule volonté de nuire » à la société. Autrement dit, il faut démontrer la volonté délibérée d’un Fondateur de nuire à sa société, qui constitue en général l’intégralité de son patrimoine et qu’il a passé des années à construire.

Autre précision qui a son importance : pour activer la clause de « bad leaver », il est nécessaire d’obtenir l’approbation préalable du conseil d’administration. Et, avant même cela, d’avoir révoqué le/les Fondateurs de Solendro de leurs fonctions de dirigeants, une première étape qui nécessite elle aussi d’être validée par les membres du conseil d’administration. Un double obstacle pour Breega et Internet Attitude, qui ne disposent pas de la majorité au conseil d’administration.

Ces deux fonds mettent alors en œuvre un stratagème frauduleux pour nous débarquer de nos postes de dirigeants et accaparer l’ensemble de nos actions.

2. La fraude

=> Le premier acte de cette fraude a lieu le 20 juillet 2020. Les deux fonds convoquent une assemblée générale dans nos locaux avec un ordre du jour anodin. Le jour J arrive. Les représentants des fonds se présentent dans notre salle de réunion avec leur avocat, qui s’auto-proclame « secrétaire de l’assemblée ». Nous lui demandons de sortir, ce qu’il refuse de faire. L’assemblée débute dans un climat tendu. L’avocat multiplie les intimidations : « Calmez-vous. Ne tremblez pas comme cela. », « Vous pourrez attaquer trente fois l’Assemblée générale pour tous les motifs. » etc. Au bout de quelques minutes, prétextant un incident de séance, en violation totale des dispositions des statuts et du pacte d’associés, les deux fonds décident d’ajouter à l’ordre du jour de l’assemblée une nouvelle résolution, à savoir… la révocation de Matthieu en tant que président de Solendro ! Ces 4 actionnaires majoritaires, qui détiennent ensemble 51,69% du capital social, votent pour sa révocation puis nomment à sa place un nouveau président. Choqués, nous leur rappelons qu’ils sont en train d’enfreindre toutes les règles inscrites dans le pacte d’associés et les statuts en matière de gouvernance. Leur avocat nous répond tranquillement : « C’est un incident de séance. Vous attaquerez, vous ferez ce que vous voudrez ». Les fonds mettent alors fin à l’assemblée générale. Nous leur demandons de quitter les locaux, ce qu’ils refusent de faire. L’un des investisseurs se lève alors et va ouvrir la porte d’entrée de nos locaux pour y faire entrer une personne se présentant comme le nouveau président de Solendro ! Accompagné des investisseurs, ce dernier commence à faire tranquillement le tour des bureaux et à expliquer à nos salariés, présents sur place, que Matthieu venait d’être viré parce que les objectifs du business plan n’avaient pas été atteints etc.

Assis sur nos chaises, Matthieu et moi restons éberlués et paralysés. Matthieu est copieusement insulté et intimidé : « T’es fini », « T’es mort sur la place de Paris » lui explique amicalement l’un des investisseurs, « Est-ce que tu te rends compte que tu t’es disputé avec les deux plus gros fonds de la place ? Je veux dire c’est une folie quoi. Tu t’es mis à dos tout l’écosystème tech parisien. Mais tu te rends même pas compte. Breega et Elaia* c’est pas rien. » renchérit un autre, tandis qu’on m’explique qu’on compte quand même sur moi, en tant que Directeur Général, pour « collaborer » avec le nouveau président.

* Le représentant du fonds Internet Attitude, M. Benoit Georis, se prévalait de représenter également le fonds d’investissement Elaia, qu’il avait récemment intégré. Pour rappel, Elaia n’est pas actionnaire de Solendro et n’a rien à voir dans cette fraude !

Au bout de quelques minutes, nous appelons la police. Quatre agents débarquent peu après et finissent par faire sortir les fonds putschistes de nos bureaux… La fin d’une première séquence ahurissante à laquelle assiste notre équipe, médusée.

=> Quelques heures plus tard, alors que nous essayons de rassurer nos salariés et de comprendre ce qu’il se passe, nos avocats découvrent que la révocation de Matthieu a déjà été publiée dans un journal d’annonces légales (ce qui implique d’avoir pris contact avec ce journal bien avant l’assemblée…). Le soi-disant « nouveau président » s’est par ailleurs précipité au greffe du tribunal de commerce, le même jour, pour faire inscrire le changement de président au Kbis.

Il prend ensuite contact avec nos salariés via Linkedin et avec notre banque pour obtenir l’accès aux comptes de Solendro. Un putsch en bonne et due forme est en marche.

=> Dans les jours suivants, Breega et Internet Attitude poursuivent leur coup de force :

- Ils convoquent une nouvelle assemblée générale le 14 aout : au prix de nouvelles violations du pacte d’associés et des statuts de la société, je suis révoqué de ma fonction de directeur général et certains des membres du conseil d’administration que nous avions nommés sont également révoqués, ce qui permet aux fonds de devenir majoritaires au conseil d’administration ;

- Une heure plus tard, ce même 14 aout, après avoir « purgé » le board, un conseil d’administration convoqué par le « nouveau président » se tient pour qualifier la cessation de fonctions de Matthieu. Selon le procès-verbal de ce conseil d’administration, Matthieu se serait rendu coupable d’une série de manquements attestant d’une « réelle intention de nuire à la Société ». A défaut de pouvoir lui imputer de réelles fautes de gestion, les investisseurs font preuve d’inventivité et multiplient les griefs imaginaires. On lui reproche par exemple une « attitude particulièrement désinvolte à l’égard de certains associés de la société » (sic). Ces investisseurs, qui contrôlent dorénavant le board, ont le champ libre pour mettre en œuvre la clause de « bad leaver » comme bon leur semble.

- Un second conseil d’administration est convoqué quelques jours plus tard pour qualifier ma révocation de mes fonctions de directeur général. Sans surprise, ce second conseil entérine, de manière tout aussi illicite, la même qualification que celle retenue à l’encontre de Matthieu.

=> En l’espace de quelques semaines, nous perdons le contrôle d’une entreprise que nous avons créée et développée pendant 8 ans, tandis que nos actions nous sont rachetées à leur valeur nominale, soit 1€ l’action.

A défaut de respecter leurs engagements, le pacte d’associés et les statuts de la société, Breega et Internet Attitude mettent la main sur 42% du capital de Solendro pour la modique somme de 33K€. Une belle opération de « relution » quand on sait que les trois banques d’affaires consultées pour la cession de la société avaient valorisé Solendro entre 6 et 10M€.

=> Si la violence de leurs méthodes choque jusqu’à nos avocats, pourtant très expérimentés, la stratégie de Breega et Internet Attitude est assez classique et peut se résumer ainsi : on vire les fondateurs sans leur donner un centime, on les met devant le fait accompli et ils iront s’épuiser à se battre devant les tribunaux.

Totalement décomplexés, certains de ces investisseurs nous disent d’ailleurs :

« Au bout d’un moment, il faut abandonner, le combat est perdu »,

« Vous attaquerez, vous passerez votre temps, vous êtes devenus des experts du juridique donc vous passerez votre temps à faire ça »,

« Tu iras te débrouiller devant les tribunaux ».

=> En septembre, nous devons quitter la société et nos salariés et aller nous battre devant les tribunaux. Le combat durera près de 2 ans.

3. La cour d’appel

=> Le 31 mars 2022, la cour d’appel de Paris rend son arrêt. Sur le comportement des fonds putschistes, il est limpide : Breega et Internet Attitude ont violé les dispositions du pacte d’associés et des statuts de la société à de multiples reprises « en toute connaissance de cause » et avec la participation active de leur avocat. Il est reconnu que Matthieu et moi avons été victimes d’une fraude.

=> La cour d’appel insiste à de multiples reprises sur l’intention des deux fonds de commettre une fraude et sur le caractère délibéré de leurs agissements :

« les investisseurs ont décidé de révoquer les deux fondateurs de la société Solendro, ainsi que les administrateurs qu’ils avaient nommés, et ont, pour ce faire, utilisé des moyens déloyaux destinés à leur permettre d’échapper à l’application des règles des statuts de la société et du pacte d’associés que certains d’entre eux avaient signé. Ces manœuvres caractérisent l’existence d’une fraude commise au détriment de MM. Géhin et Delmas »

« des manœuvres frauduleuses destinées à permettre aux associés de mettre en œuvre leur volonté antérieurement évoquée de révocation du président en contournant les règles des statuts et du pacte, qu’ils savaient pertinemment ne pas pouvoir respecter »

« Il en résulte qu’à l’occasion de la révocation de M. Delmas, les intimés ont là encore décidé, en toute connaissance de cause, de méconnaître les règles statutaires et du pacte. »

« La révocation de M. Géhin […], et celle de M. Delmas […] ont été adoptées par l’assemblée générale des associés dans le cadre de manœuvres frauduleuses visant à faire échec à l’application des règles régissant la vie de la société. »

Fraude oblige, toutes les délibérations sociales ayant conduit à nos révocations et au rachat forcé de nos actions sont annulées, purement et simplement. Le 31 mars 2022, Matthieu et moi redevenons dirigeants et actionnaires de Solendro. Retour au statu quo ante.

=> Cet arrêt sera complété par un second arrêt, en date du 20 mai 2022, dans lequel la cour d’appel rappellera que « les manœuvres frauduleuses et les moyens déloyaux utilisés par les 4 intimés constituent des fautes caractérisées et sont directement à l’origine d’un préjudice pour les appelants qui ont été écartés frauduleusement pendant deux ans de la direction de la société qu’ils avaient fondée et dans laquelle ils s’étaient complètement investis pendant plus de 8 ans », condamnant au passage Breega, Internet Attitude et les deux business angels à des dommages et intérêts pour le préjudice moral que nous avons subi.

=> Pour Matthieu et moi, c’est un soulagement énorme. Le 31 mars, notre cauchemar prend fin.

Enfin c’est ce que l’on croit…

4. Les semaines folles

En préambule de cette partie, nous devons rappeler que Breega, Internet Attitude, les deux business angels et les dirigeants à leur service sont à ce jour présumés innocents des faits que je décris ci-dessous.

=> Nous décidons de laisser passer quelques jours avant de revenir dans les bureaux. Après nos révocations, tous les salariés que nous avions recrutés ont démissionné de la société. Une nouvelle équipe a été recrutée, nous ne les connaissons pas. Un administrateur provisoire a par ailleurs été nommé par la cour d’appel pour nous assister dans le rétablissement de nos fonctions. Nous aimerions qu’il soit présent le jour de notre retour.

=> Le 1er avril, nous informons le cabinet d’expert-comptable ainsi que les banques de Solendro de la décision de la cour d’appel et leur demandons de geler tous les accès existants en attendant notre retour.

=> Le 5 avril 2022, nous reprenons la direction de notre société, non sans difficulté : au lieu de se conformer à la décision de la cour d’appel, les deux dirigeants frauduleusement nommés par Breega et Internet Attitude à la suite de nos révocations, MM. Lestavel et Brisac (le premier est un ami de longue date du souscripteur de Breega, le second est membre d’Internet Attitude) font obstruction. Alors que leurs nominations ont été annulées par la cour d’appel, ils continuent à se prévaloir de leurs qualités de dirigeants, demandent aux salariés de ne pas venir dans les locaux… les menaçant de poursuites et les induisant en erreur sur le sens de la décision rendue, au moyen de « notes » juridiques de l’avocat de Breega et Internet Attitude, Me Pierre-Louis Rouyer ! L’arrivée de l’administrateur provisoire quelques jours plus tard permettra de mettre un terme à ces agissements délirants et d’apaiser — un peu — la situation en interne.

=> Le 12 avril, alors que nous n’avons pas encore récupéré les accès aux comptes bancaires de Solendro, l’expert-comptable nous appelle et nous informe que trois chèques d’un montant total de 240.000 euros ont été encaissés le 05 avril 2022 ! Je lui demande de répéter plusieurs fois avant de raccrocher, effaré. Nous contactons la Société Générale pour recevoir une copie de ces chèques. Ils ont été signés par l’ancien président de la société, M. Lestavel, et se répartissent ainsi :

  • 150.000€ ont été encaissés par l’avocat de Breega et Internet Attitude, Me Rouyer, dont 35.000€ en son nom propre, sans qu’aucune facture ne puisse justifier ces montants ;
  • Les 90.000€ restants ont été encaissés par « ESV Digital », une agence de marketing digital avec qui Solendro n’a jamais travaillé jusque-là et qui s’avère être dirigée par… deux amis et anciens associés de M. Brisac.

=> Nous mettrons plus tard la main sur de nombreux éléments et courriels indiquant que ces chèques litigieux sont antidatés et ne correspondent à aucune prestation réelle.

Par exemple, le mail ci-dessous, daté du 02 avril 2022, càd trois jours après que la cour d’appel ne rende son arrêt. MM. Lestavel et Brisac y évoquent le montant à verser à l’agence ESV :

Le chèque encaissé quelques jours plus tard par l’agence ESV sera, en revanche, (anti-) daté du 28 mars, une date antérieure au jugement de la cour d’appel :

=> Après l’encaissement de ces trois chèques, le solde de trésorerie de Solendro chute à 102.034 euros, compromettant sérieusement les chances de poursuite de l’activité.

=> Mais le vaudeville ne s’arrête pas là. Dans la foulée, le tribunal de commerce de Paris nous informe qu’une demande d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire concernant la société Solendro a été déposée le 8 avril 2022 par l’avocat de Breega et Internet Attitude, l’omniprésent Me Rouyer ! Autrement dit : ces derniers déposent le bilan de Solendro trois jours après avoir soustrait 240.000 euros des comptes sociaux, huit jours après l’arrêt de la cour d’appel de Paris.

Après deux ans à nager dans le surréalisme le plus total, on pensait que plus rien de nous surprendrait. Et bien non…

=> Nous demandons alors au président du tribunal de commerce de nous accorder quelques semaines de délai, avec l’administratrice provisoire, pour remettre à plat la situation comptable de la société et y voir plus clair. Le temps aussi pour nous d’enclencher une vaste opération de déstockage et de renflouer en urgence les caisses de Solendro.

=> C’est chose faite à la mi-mai. Le 17 mai 2022, l’administratrice provisoire constate l’état de non-cessation des paiements de la société. Le tribunal de commerce de Paris lui emboite le pas et rejette quelques jours plus tard la déclaration de cessation des paiements.

Immense soulagement de notre côté. Après avoir craint le pire, l’activité peut continuer, même si les moyens du bord restent très limités et les relations avec la nouvelle équipe parfois compliquées.

=> Le lendemain, nous déposons une plainte pénale pour escroquerie en bande organisée, abus de biens sociaux, recel, faux et usage de faux, vol de chèques, entre autres.

Il appartiendra aux intéressés de s’expliquer sur ce qui s’apparente à un pillage et, le cas échéant, de restituer les sommes détournées et d’expliquer à leurs souscripteurs en quoi ces agissements étaient dans leur intérêt et conformes à l’éthique.

Nous voulons croire qu’à la fin de la journée, tout le monde rend des comptes.

5. Et Solendro ?

=> Nous quittons la société mi-2020. En 2021, malgré un contexte sanitaire très favorable au e-commerce, le chiffre d’affaires de Solendro chute de 41%… alors qu’il était en croissance constante depuis la création de la société.

Hors frais juridique, l’EBIDTA de la société plonge également, passant de 40.870 euros en 2020 à -632.716 euros en 2021.

=> Devant ces résultats, une procédure d’alerte est lancée par le commissaire aux comptes en février 2022, avant même le dépouillement de la trésorerie en avril et la déclaration de cessation des paiements qui suivra.

Si le rachat forcé de nos actions a bien été annulé par la cour d’appel de Paris en mars 2022, nous n’avons pas récupéré notre patrimoine pour autant, la valeur de nos actions ayant été réduite à néant en l’espace de 18 mois.

=> A notre retour en avril 2022, nous découvrons qu’au cours de l’exercice 2021, la société Solendro a payé pour plusieurs centaines de milliers d’euros des prestations à des entreprises dirigées par… des souscripteurs du fonds Breega. Notre premier réflexe sera de couper toutes ces dépenses puis de mettre tout en œuvre pour assainir les comptes. Solendro s’est également vue facturer pendant cette période des prestations en tant que free-lance de la part de M. Lestavel, pourtant déjà rémunéré en tant que… président de Solendro.

=> Une autre surprise sera de constater que les deux anciens dirigeants, nommés à la suite de nos révocations illicites, s’étaient chacun vus octroyer en juillet 2021 une rémunération annuelle brute de 130.000 euros, soit le double du salaire que Matthieu et moi touchions lorsque nous étions les dirigeants de Solendro. Et ceci alors que le chiffre d’affaires de l’entreprise s’effondrait et que les pertes grandissaient.

=> A date, et même si la menace d’un redressement judiciaire a été écartée, la situation financière de Solendro reste très précaire. Nous essayons de redresser la boite, étape par étape, avec les moyens du bord.

6. Les enseignements que l’on peut tirer des comportements subis

Les agissements des dirigeants de Breega et Internet Attitude ne sont évidemment pas représentatifs des rapports entre entrepreneurs et VC. Mais ils permettent de tirer quelques enseignements qui, je l’espère, seront utiles à certains fondateurs.

=> La loi de Murphy : se préparer au pire quand on lève de l’argent

Quand on lève de l’argent, l’optimisme prédomine.

Il est parfois dur de comprendre l’intérêt de certaines clauses sur lesquelles les banques d’affaires ou les avocats attirent notre attention.

Et pourtant, aussi improbables et insensés que certains cas de figures peuvent paraître, il faut se préparer au pire. Comme dit l’adage : mieux vaut prévenir que guérir.

Nos mésaventures montrent que tout est possible. Même aujourd’hui, on reste incapables d’expliquer comment des fonds peuvent commettre une fraude pour, certes, récupérer les actions des Fondateurs, mais derrière détruire toute la valeur de l’entreprise. Il était évident pour tous les acteurs de l’éco-système consultés il y a 2 ans que ce genre de pratiques allait inéluctablement couler l’entreprise.

Au moment de rédiger les accords, il ne faut donc pas se concentrer uniquement sur les scénarios rationnels ou probables. On peut être confronté à des investisseurs non seulement malhonnêtes, mais également irrationnels, dont l’orgueil ou l’illogisme peuvent aller à l’encontre de leurs propres intérêts. Il ne faut pas chercher à comprendre, il faut les éviter et, à défaut, s’en prémunir.

=> Liar-proof : se protéger du mensonge et de la mauvaise foi

Soyez conscients qu’en cas de litige, la partie adverse est susceptible de mentir. Le mensonge, écrit ou oral lors des plaidoiries, n’est malheureusement pas sanctionné.

Aussi, quand vous rédigez vos accords, partez du principe qu’ils doivent résister à la pire des mauvaises fois.

De même, pour éviter qu’il ne soit nié, gardez des traces écrites de tout comportement déplacé d’un investisseur à votre égard.

=> Minority Report : avoir un bon pacte d’associés, c’est bien. Rester majoritaire, c’est mieux.

Bien sûr, il est fondamental de bien négocier son pacte d’associés. Et il est tout aussi important que les dispositions clés du pacte soient reprises dans les statuts, car seule la violation des statuts ouvre la voie à une nullité des décisions prises suite à cette violation.

En revanche, sachez que céder la majorité vous met à risque, quels que soient vos accords. Si des actionnaires détiennent les pourcentages du capital suffisants pour voter des résolutions en assemblée générale, ils peuvent voter à peu près tout et n’importe quoi et le faire enregistrer auprès du greffe.

La mission du greffe n’est pas de vérifier la conformité des résolutions adoptées en AG avec les dispositions des statuts ou de votre pacte d’associés. Ce sera du ressort du tribunal de commerce et cela ne pourra pas se faire dans le cadre d’une procédure rapide, « en référé » : tout litige portant sur l’interprétation des statuts/pacte passe nécessairement par une procédure « au fond » qui dure en moyenne 18 mois. Vous pourriez penser que si les accords sont clairs, ce n’est pas une question d’interprétation. Vous auriez tort : la partie adverse prétendra, selon toute vraisemblance, qu’il y a plusieurs façons de lire les accords et aura recours à toutes les diversions possibles pour créer de la confusion et prétendre que la situation est plus compliquée qu’elle n’y paraît… ne vous laissant pas d’autre choix que d’aller vous battre « au fond ».

Bref, être minoritaire, c’est être exposé, aussi béton votre pacte soit-il… dès lors que vos associés ne se sentent pas tenus par leurs engagements. D’où l’importance de bien choisir les investisseurs que vous faites entrer au capital de votre société, et de les sélectionner sur des critères d’éthique.

Choisir un bon fonds ne fera pas de vous une licorne. Choisir le mauvais peut couler votre boite.

=> Bad Leaver : « Je voudrais que chacun ne fût pas plus égaux l’un que l’autre ».

La clause de bad leaver devrait sanctionner tous les signataires du pacte d’associés en cas de violation significative de ce dernier, et pas uniquement les associés fondateurs.

Habituellement, les clauses de « bad leaver » visent à sanctionner les associés fondateurs qui exercent des fonctions opérationnelles au sein de la société, en cas de démission, de faute (grave ou lourde) et de violation significative du pacte d’associés.

Que, selon la temporalité, un associé fondateur se voit privé de tout ou partie de ses actions en cas de démission est logique, tant les VC qui entrent au capital investissent autant sur un projet que sur ses fondateurs.

Qu’un dirigeant soit sanctionné pour faute, grave ou lourde, rien d’anormal non plus. Qu’un dirigeant associé se voit potentiellement privé de l’intégralité de ses actions (son seul patrimoine, dans la plupart des cas…) en cas de faute me parait disproportionné, en tout cas c’est une sanction bien plus sévère que celle qu’encourt un mandataire social non associé qui aurait commis une faute.

Qu’un associé se voit privé de tout ou partie de ses actions pour avoir violé une disposition significative du pacte est normal : les accords sont faits pour être respectés. En revanche, que les seuls associés de la société à être sanctionnés en cas de violation significative du pacte soient les Fondateurs ne répond à aucune logique. Pourquoi les autres actionnaires et signataires du pacte ne seraient-ils pas également sanctionnés en cas de violation significative du pacte ? Pourquoi, dans ce cas précis, le « bad leaver » ne s’appliquerait-il pas également à eux ? Ce serait pourtant une disposition juste… et extrêmement dissuasive.

Après avoir passé des dizaines d’heures à négocier d’arrache-pied notre pacte d’associés et payé très cher un prestigieux cabinet d’avocats, ça a été douloureux de voir que des actionnaires majoritaires pouvaient se permettre de piétiner notre pacte sans crainte de réelles sanctions financières…

Note : un procès en cassation est en cours à la suite de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 31 mars 2022.

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