Shirakura Shin’ichirō, showrunner de légende des séries Kamen Rider et Super Sentai : « les super-héros japonais, une affaire aussi tournée vers l’étranger. »
Propos recueillis par Jinbō Yūki (rédacteur chez FINDERS), Gigan Yamazaki.
Mise en texte : Gigan Yamazaki
Photos : Kojima Fumiko
Lien vers l’article japonais d’origine : https://finders.me/kqFQxAgpLH7jGo-TRQ
Le 7 juillet 2023, une équipe en charge du déploiement stratégique des licences de héros a vu le jour au sein de la Tōei.
Sa mission, atteindre les objectifs à moyen et long terme du plan TŌEI NEW WAVE 2033, présenté en février de la même année, à savoir maximiser les profits de la production audiovisuelle du studio : d’un côté en allongeant les cycles de vie des licences, et de l’autre, en relevant le défi de leur déploiement à l’international. Pour ce faire, le studio promet de développer de manière stratégique et globale ses licences de films et séries de héros.
C’est à M. Shirakura Shin’ichirō qu’ont été confiées les rênes de cette nouvelle équipe. Bien connu des fans comme producteur aguerri sur Kamen Rider et le Super Sentai, cette nomination n’était pas passée inaperçue. Bien qu’il ait désormais quitté cette position, il continue à mettre son talent à profit en tant que membre du comité directeur en charge de la stratégie des licences de héros.
Nous avons pu nous entretenir avec lui afin qu’il nous en dise plus sur ce nouveau département dont les attentes sont fortes.
Shirakura Shin’ichirō
- Membre senior du comité directeur de la Tōei
- En charge de la stratégie des licences de héros
- Chef producteur du département de création des séries
Né en 1965 à Tokyo, il intègre la Tōei en 1990. D’abord assistant-producteur pour Chōjin Sentai Jetman en 1991, il travaille ensuite sur de nombreuses séries avant de mener, dans les années 2000, la licence Kamen Rider sur la voie du succès. Il a récemment œuvré comme producteur exécutif sur la série Kamen Rider BLACK SUN ainsi que sur le film Shin Kamen Rider. (ndt: tous deux disponibles en France sur Amazon Prime)
Un département pour des missions hors des sentiers battus
— Pourriez-vous d’abord nous expliquer ce qui a conduit à la création de cette équipe ?
Pour commencer, rappelons que la Tōei est avant tout un studio de cinéma et que par conséquent, son organisation a été pensée pour la création de films. Et d’un point de vue business, le cinéma est une affaire facile. Quand un film remporte du succès, il existe, sur ce qu’on appelle dans jargon le marché des droits dérivés, plusieurs façons de l’exploiter après sa projection en salles : vidéo, VOD, voire même les spin-off. Et pour chaque type d’exploitation, il y a un département dédié. Du moins, c’est comme ça que nous procédons dans notre studio.
Malheureusement, pour plusieurs raisons, ce modèle n’est pas toujours adapté à l’exploitation de nos licences de héros. Et je ne parle pas de cloisonnement entre départements, de leur trop-plein d’autonomie ou d’autres problèmes managériaux dont on entend souvent parler, pas du tout. (rires)
Pour comprendre, regardons du côté de Kamen Rider et du Super Sentai. Il y a d’abord un succès (télévisuel) puis une exploitation commerciale (audiovisuelle), par le biais de films par exemple : tout cela fonctionne parfaitement dans l’organigramme actuel. Mais rien n’oblige une licence à avoir comme point de départ un film ou une série : ça peut être un manga, un roman ou un jeu vidéo. On a aussi des cas extrêmes comme Hello Kitty qui a commencé avec un porte-monnaie (Hello Kitty fut en premier estampillé sur un porte-monnaie en plastique, le « Petit Purse ».).
Dans l’organisation actuelle des choses, difficile d’imaginer la création d’un personnage via la fabrication d’un porte-monnaie, non ? Enfin… ce n’est pas impossible, non plus (rires), mais pour en faire quoi et surtout comment ? Pareil pour un personnage de jeu vidéo, vu qu’il n’y a pas de section dédiée à la Tōei. Et même dans le cas où un tel projet était entamé en partenariat avec un studio de jeu vidéo, qui serait le point de contact chez Tōei ? Avec tout ça, je veux souligner qu’il est compliqué pour nous, du moins d’un point de vue organisationnel, de créer de nouvelles licences.
— Pourtant, si l’on prend l’exemple des jeux vidéo, beaucoup de titres Kamen Rider et Super Sentai sont sortis. Comment faisiez-vous ?
Le service de cession des droits de merchandising TV s’en occupait. Cependant, imaginez qu’on veuille créer un personnage exclusif, qui ne serait pas apparu ailleurs, pour un jeu : impossible de céder une quelconque licence, vu que le personnage n’est rattaché à aucune. C’est un dilemme sans réponse qui coupe court à toute conversation.
Le champ d’action des différentes équipes pose aussi problème. Prenons l’exemple d’une œuvre qui ne serait pas une série télé : selon que ce soit un film cinéma ou une œuvre en streaming, les départements correspondants en prendront la direction. Si l’œuvre est prévue dès le début pour le cinéma et le streaming, ils coopéreront. Cependant, que se passe-t-il si on décide, alors que plan initial avait prévu que ce soit le film, de sortir l’œuvre streaming en premier ? Ou encore si on décide de l’abandonner tout simplement ? Ou si on décide d’une diffusion en simulcast à l’internationale ? Dans ce dernier cas, trois départements se retrouvent impliqués (cinéma, streaming, international). Et si on considère tout le processus de production d’une œuvre, on se retrouve facilement avec des projets chapeautés par cinq voire six départements. On doit alors désigner lequel deviendra référent extérieur, lequel prendra la gestion… c’est source de confusion, d’autant plus si on dévie du plan initial. Une réalité dont tout le monde est conscient et qui explique qu’en général, personne ne veuille sortir du cadre défini en début de projet.
Je ne pointe personne du doigt, ici. Et je n’appelle pas non plus à une refonte de notre organigramme. La majorité des choses fonctionne, inutile de tout changer. Mais on peut cependant accepter nos lacunes actuelles et imaginer comment y remédier. C’est la raison d’être de ce département : devenir un point de référence détaché de l’organisation actuelle, afin de faire preuve de plus de souplesse lorsqu’un projet change de cap.
Notre entreprise a dévoilé, fait assez rare pour le souligner, sa vision pour les dix années à venir. Celle-ci inclut un renforcement de la gestion des licences de héros et il a été annoncé que cette équipe en avait la charge. C’est vrai, bien sûr, mais plus que ce moyen terme, nous devons nous occuper des problèmes que nous avons là, sous nos yeux. Et ils sont nombreux : des projets qui bloquent alors que tout devrait aller comme sur des roulettes, des questions dont personne ne prend la charge, etc. Impossible d’aller de l’avant sans les avoir résolus.
Et pour point de départ, notre président et notre directeur général ont décidé de créer cette unité un peu bizarre et de lui refourguer tous les projets suspects. (rires) En résumé, notre travail consiste à réfléchir à la décennie à venir tout en réglant les uns après les autres les problèmes déjà identifiés.
— Vous êtes-vous porté volontaire pour être à la tête du département à sa création ?
Mettons une chose au clair immédiatement : je n’occupe plus ce poste. (rires) Un showrunner issu du département de production réfléchit d’abord en termes de création audiovisuelle… en bref, difficile pour moi d’imaginer une autre approche qui devrait être, je crois pour les licences de héros, plus motivée par les retombées commerciales. Quelqu’un comme moi, qui porte le titre de producteur, convaincu qu’il est un créateur au sens noble du terme tombe facilement dans l’écueil selon lequel pour réussir, il suffit tout simplement de créer une bonne série. Ce n’est pas la bonne approche.
Bien sûr, la qualité de l’œuvre se doit d’être au rendez-vous, ça ne fait aucun doute, mais il faut aussi que ce soit un bon produit. Et mon souhait le plus cher, c’est que ce département, dédié au déploiement commercial des héros, se consacre à cet aspect à 100 %. Rappelez-vous ce que je disais tout à l’heure : une licence n’a pas à se développer obligatoirement à partir d’une série ou d’un film. Ça peut être à partir d’un porte-monnaie ou n’importe quoi d’autre. J’ai beau eu dire que je n’étais pas la personne adaptée pour diriger cette équipe, on m’a forcé à le faire vu que j’avais suggéré sa création. (rires) Mais ne vous inquiétez pas, elle a désormais à sa tête quelqu’un de très compétent.
— Je vois. Au fait, combien de personnes la composent ?
Nous sommes quatre. Il y a le directeur, issu du département streaming, une personne du merchandising, une de l’événementiel, et moi, originaire de la production. Avec des profils et des points de vue si différents, nous devrions être en capacité de couvrir à peu près tous les sujets. Nous jouissons aussi d’une certaine autonomie, d’une certaine liberté de mouvement. Ce qui n’est pas mal, étant donné qu’on s’occupe, comme je l’ai dit avant, de questions laissées de côté parfois depuis plusieurs décennies. Pendant que je réponds à votre interview, mes collègues sont probablement en réunion en train de discuter de l’une d’entre elles.
En outre, nous ne sommes pas la seule équipe « suspecte » au sein de la Tōei. Il existe aussi un certain département de l’innovation, qui a étendu son champ d’action après avoir été en charge des questions de métavers, et qui propose désormais plein de projets farfelus. Si ceux-ci ont du mal à s’intégrer dans l’organisation actuelle, on peut tout à fait imaginer se coordonner pour renforcer notre équipe. À vrai dire, nous échangeons actuellement avec eux sur divers projets.
Je vous ai annoncé que nous étions seulement quatre, mais ça nous donne l’avantage d’être plutôt flexibles. D’une certaine façon, on possède un jeu de jambes jamais vu au sein des autres départements. C’est d’ailleurs la base dans une entreprise : chacun a son rôle et ne peut pas vraiment en sortir. Mais nous, aucune barrière ne nous entrave. Notre département a le potentiel de réaliser des choses incroyables, hors des sentiers battus… c’est même pour ça qu’il a été créé.
Kingohger/Fortnite : un projet concrétisé en à peine deux mois
— Le jeu du moment, Fortnite, contient un mode Créatif, qui laisse le loisir aux joueurs de créer leurs propres îles, d’y établir leurs règles et d’y jouer avec qui ils veulent. Depuis septembre 2023, vous proposez via ce mode, cinq cartes à l’image des royaumes de la série Ōsama Sentai Kingohger. La rumeur dit que votre nouveau département y est pour quelque chose…
Les modèles 3D (ici, des arrière-plans diffusés sur un mur de LED) ont été conçus par une entité de la Tōei, le Zukun Lab. Ses membres rêvaient de les proposer dans Fortnite mais ne savaient pas comment s’y prendre. Nous avons donc décidé de les aider en leur déblayant le terrain : nous nous sommes occupés de l’aspect financier et de recueillir les autorisations nécessaires à la réalisation d’un tel projet.
— Le département des licences de héros a été créé en juillet. Or, le projet Fortnite a vu le jour à peine deux mois plus tard. Est-ce qu’ils vous avaient consulté en amont ?
Non, ils sont venus à nous en juillet, au moment même de notre prise de mission. On leur a demandé quelle date de sortie ils visaient et ils nous ont répondu le mois d’août, juste après la sortie du film de l’été, fin juillet. On a dû calmer leurs ardeurs. (rires)
Il fallait d’abord obtenir l’approbation de l’éditeur Epic Games après examen du projet, et vu que le jeu est disponible dans le monde entier, proposer une sortie internationale simultanée. Le problème, c’est que Kingohger, à la base, n’est diffusé qu’au Japon. Il fallait donc savoir quelle stratégie adopter pour chaque pays. Par exemple, aux États-Unis et en Occident, la question Power Rangers se posait, vu que la franchise y existe depuis plus de trente ans. (ndt : Power Rangers est l’adaptation des séries Super Sentai de la Tōei dont fait partie Kingohger) Il va sans dire que pour certains territoires, l’arrivée de Kingohger aurait pu faire froncer des sourcils.
— C’est vrai que la série de 2023, Power Rangers Cosmic Fury, adapte Ryūsoulger et Kyūranger, diffusées respectivement en 2019 et 2017 au Japon. Ainsi, il faudrait peut-être attendre plusieurs années pour qu’une adaptation de Kingohger voie le jour. Il y a aussi le cas de la Corée du Sud, où les séries sont doublées et diffusées quelques années après le Japon et où, par conséquent, Kingohger n’est toujours pas arrivé.
Tout à fait. Et vu que le projet Fortnite devait être proposé simultanément dans le monde entier, il fallait en discuter avec les responsables du Super Sentai et de Power Rangers pour chaque pays. Bref, une sortie en août était inimaginable.
— Et ça n’a pas posé de problème par effets de vague ?
Oh que si ! (rires) Je ne compte plus le nombre de réunions avec plusieurs dizaines de personnes que nous avons été obligés de faire.
Cependant, personne ne s’est dit qu’il valait mieux abandonner par crainte de la nouveauté. Tout le monde s’est demené pour que le projet voie le jour. L’autre avantage, c’est que ça a créé un précédent qui nous facilitera la tâche à l’avenir. Si on retente quelque chose de similaire tout le monde se dira : « ah oui, en gros, comme ce qu’on a fait pour Fortnite ? »
Et ces héros déployèrent leurs ailes à l’international
— Un de vos objectifs avec ce département est de relever le défi du déploiement à l’international. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Selon moi, il existe deux approches pour proposer une œuvre à l’international. Soit vous la créez en y pensant en amont, soit vous vous concentrez sur le marché japonais et ne considérez les spectateurs étrangers que comme un bonus. C’est cette seconde stratégie qu’on adopte pour Kamen Rider et le Super Sentai. Et on continuera sur cette lancée.
Cependant, je sais que ce n’est pas toujours adapté. Ces remises à zéro annuelle avec une série Kamen Rider “Un Tel” ou une série “Quelque Chose” Sentai “Machin” Ranger ne sont pas faciles à suivre, surtout pour des spectateurs qui n’y sont pas habitués : quand ils commencent à enfin s’habituer à un héros, celui-ci disparaît pour laisser place à un autre.
C’est tout le contraire de Superman ou Captain America, qui ont vu le jour avant ou pendant la Seconde Guerre mondiale. Bien sûr, ils ont parfois connu des baisses de popularité qui ont même conduit à l’arrêt de leurs séries, mais c’était pour mieux revenir à la charge à chaque fois. Le boom des films de super héros a été rendu possible car des gens avaient pris soin de ces personnages à travers l‘histoire. Un tel phénomène n’aurait pas eu lieu avec des héros conçus récemment.
Tous ces constats nous poussent à réfléchir à la création de héros qui prendraient en considération non seulement le public japonais, mais aussi le reste du monde. Ce sera peut-être un Kamen Rider, peut-être une équipe de Super Sentai, ou peut-être quelque chose de complètement différent. Tout ce que je crois, c’est qu’il faudra emprunter une voie autre que celles des séries actuelles.
— Cette longévité des super-héros américains que vous évoquez n’a-t-elle pas été rendue possible car ce sont avant tout des personnages de comics ? Si on regarde One Piece ou Dragon Ball, on voit qu’ils sont toujours populaires, même aujourd’hui.
Tout à fait. Mais pour recentrer la discussion sur l’audiovisuel, l’animation et la prise de vue réelle n’ont rien à voir. Dans l’animation, les doubleurs, les réalisateurs, parfois même le studio de production changent mais malgré ça, on reste dans le même univers. On aura beau avoir toute la réactivité du monde dans notre milieu, on n’arrivera jamais à lutter sur le terrain de la longévité.
D’un côté, nous avons l’avantage de pouvoir arrêter une série après un an quand elle a connu un échec (rires), mais de l’autre, il est impossible de la prolonger dans le temps aussi bonne soit-elle, vu qu’on a recours à des acteurs et des actrices. Mais dans le cas des henshin hero (ndt : super héros qui se transforment à l’instar de Kamen Rider ou des Super Sentai), l’utilisation de costumes après transformation permet de conserver une certaine homogénéité, à l’instar de l’animation.
— Ça me rappelle le film de 2021 Kamen Rider Beyond Generations, dans lequel Hongō Takeshi/Kamen Rider 1 est interprété par Fujioka Maito, fils de l’acteur d’origine Fujioka Hiroshi. Ou encore ce que vous avez fait avec Takeru Satō, l’acteur principal de Kamen Rider Den-O, une fois qu’il était devenu trop populaire : pour combler son absence dans les spin-offs, ce n’était plus Nogami Ryōtarō, le héros de la série, qui se transformait, mais son compagnon de route tout en costume, Momotaros.
Dans la série, Momotaros était la somme du travail du suit actor (ndt : cascadeur, souvent spécialiste en arts martiaux, qui revête les costumes dans le tokusatsu) Takaiwa Seiji, du doubleur Seki Toshihiko et de la scénariste Kobayashi Yasuko. Malheureusement, ils n’étaient pas tous impliqués dans ces projets annexes. Ainsi, tout Momotaros qu’il soit, on peut parfois ressentir une certaine dissonance entre celui de la série et celui des spin-offs… Ce que je veux dire, c’est que nous avons besoin de personnages, de héros qui fonctionnent sans le numéro d’équilibriste que nous a offert ce trio créatif.
Prenons l’exemple de Spider-Man. Il a été rebooté à plusieurs reprises, n’est-ce pas ? On observe très rarement ce phénomène avec les héros japonais. Peut-être Gegege no Kitarō ? D’ailleurs, le film Kitarō Tanjō Gegege no Nazo rencontre un franc succès dans les salles en ce moment.
— Et donc, concernant l’expansion à l’internationale… vous êtes toujours en phase de réflexion ?
À l’arrivée des premiers films d’animation en 3D, en particulier ceux de Pixar, tout le monde disait que le glas avait sonné pour l’animation japonaise en 2D, que le monde entier allait passer à la 3D… Conscient des opportunités que représentait ce nouveau marché, beaucoup de pays se sont d’ailleurs lancés dans la bataille. On a alors assisté à la naissance de nombreux studios d’animation 3D à travers le monde, tous subventionnés par l’argent public.
Résultat des courses, le marché a été inondé de films et de séries 3D, à tel point que c’est l’animation 2D japonaise, symptôme du syndrome des Galapagos de notre pays et preuve de son originalité, qui est sortie du lot. (ndt : le syndrome des Galapagos est le nom donné au phénomène économique, particulièrement visible au Japon, d’une évolution mercatique allant à l’encontre du reste de la planète) Et même quand on regarde les productions animées 3D japonaises, elles se démarquent par leurs traits rappelant les mangas, à l’instar du film produit par Tōei Animation, The First Slam Dunk. Personne ne s’est demandé si c’était le style à adopter pour que ça réussisse à l’étranger. Bien au contraire, c’est parce que les créateurs sont allés jusqu’au bout de leurs idées, avec une esthétique propre au Japon, que le film a rencontré un succès mondial.
Ce que cela prouve selon moi, c’est qu’il faut du temps pour faire accepter la culture d’un pays à un autre. En Chine, The First a remporté un succès phénoménal grâce à ce qu’on appelle la « génération Slam Dunk » qui regardait la série animée à l’époque, tandis qu’aux États-Unis, Godzilla Minus One explose le box-office 70 ans après la sortie de Godzilla, King of the Monsters! (ndt : remontage du Godzilla de 1954, agrémenté de nouvelles scènes tournées aux États-Unis). Le passé forge le présent. En essence, notre mission est de réfléchir au premier coup à porter pour marquer l’histoire, ce qui demande du temps et pas mal de finesse.
Mais je ne m’inquiète pas trop, puisque c’est un objectif sur 10 ans. Regardez Marvel : ils se sont déclarés en faillite dans les années 1990. Ils ont alors cédé les droits d’exploitation cinéma de plein de personnages. Qui aurait pu imaginer que 20 ans plus tard, les studios Marvel atteindraient un tel niveau de prospérité ? Certains diront que 20 ans, c’est long pour se redresser, mais on peut le voir dans l’autre sens : ils ont réussi à le faire en à peine 20 ans. Les studios Marvel nous ont redonné du courage : ils nous ont fait comprendre qu’on pouvait changer le monde en une ou deux décennies.
Si nous voulons réussir à l’étranger, nous devons faire preuve d’humilité, mais inutile pour autant de dénigrer notre insularité. Je pense que les sentiments, la sensibilité propres à notre pays sont nos meilleures armes dans cette entreprise. Nous ne sommes ni américains ni chinois, il nous est donc impossible de réfléchir comme eux. Mais c’est ce qui fait notre charme, et c’est aussi notre plus grande force.
Interview traduite par Vincent Marcantognini
Relue et adaptée par Marvin Ringard