Ségur de la santé : pourquoi il faut supprimer la taxe sur les salaires payée par le service public hospitalier ?

Dominique Acker
16 min readJun 30, 2020

--

Je ne suis pas une spécialiste des finances publiques, ni une fiscaliste, mais devant la détresse des hospitaliers, je me suis intéressée à tout ce qui pourrait leur faciliter la vie et surtout dégager rapidement des marges de manœuvre financières. Alors, j’ai rencontré la taxe sur les salaires … un vieil impôt, discret, peu connu, qui rapporte tout de même 14 milliards par an à l’Etat pour l’ensemble des secteurs concernés, dont près de 4 milliards pour le secteur hospitalier et d’hébergement pour personnes âgées et 2,5 milliards pour le secteur médico-social.

D’où vient cette taxe ?

La taxe sur les salaires a été créée à titre provisoire en 1948, puis confirmée en 1952[1], sous l’appellation de versement forfaitaire et elle s’appliquait alors à toutes les entreprises. La création, à partir de 1954, de la TVA, qui avait pour objet de taxer l’ensemble de la valeur ajoutée, a conduit à s’interroger sur l’existence de ce versement forfaitaire qui, affectant la masse salariale, concernait une des composantes de la valeur ajoutée. Son “rendement“ représentait en 1967 le même niveau que l’impôt sur les sociétés. En 1968, lorsque la TVA a été généralisée à l’ensemble des entreprises, le versement forfaitaire a été remplacé par la taxe sur les salaires (art. 231 du CGI). Cette dernière a été supprimée pour les entreprises dont au moins 90 % du chiffre d’affaires était assujetti à la TVA, mais aussi pour les collectivités publiques, les employeurs de salariés à domicile, les agriculteurs … Elle a en revanche été maintenue pour les autres activités, essentiellement domestiques ou intégrées au secteur public : secteur sanitaire et social au sens large, d’une part, entreprises du secteur financier (qui relevaient à cette époque majoritairement du secteur public), d’autre part. C’est ce régime, issu de 1968, qui s’applique encore aujourd’hui.

En quoi consiste-t-elle ?

Elle est payée par l’employeur et calculée sur l’ensemble des rémunérations versées aux personnels avec un barème progressif. Pour ce qui est de l’assiette, elle est comparable à celle des cotisations sociales (avantages en nature compris) : ne sont pas concernés les indemnités journalières, d’activité partielle, de cession d’activité, et les contrats d’apprentissage …. Elle inclut, notamment pour le secteur financier, les rémunérations variables. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 y a également assujetti les sommes versées au titre de l’intéressement et de la participation. La base est réduite si l’employeur est assujetti à la TVA sur moins de 90% de son chiffres d’affaires, il est alors calculé un rapport d’assujettissement qui minore cette taxe. Les organismes sans but lucratif, les associations, syndicats professionnels, mutuelles de moins de 30 salariés, les Centres de lutte contre le cancer (CLCC) bénéficient d’un abattement de 20 707 € par an (art. 1679A du CGI). Les départements d’outre-mer se voient appliquer un barème unique différent de la métropole :

- Guadeloupe, Martinique, Réunion : 2,95 %

- Guyane, Mayotte : 2,55 %

L’article 15 de la loi n° 2013–1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 avait créé une taxe exceptionnelle de solidarité sur les hautes rémunérations attribuées en 2013 et en 2014 par les entreprises individuelles, les personnes morales et les sociétés, groupements ou organismes non dotés de la personnalité morale qui exploitent une entreprise en France. Avait ainsi été créée une tranche de 20 % pour les salaires annuels supérieurs à 150 000 € : compte tenu du niveau des salaires dans le secteur hospitalier, cela concernait plus particulièrement le secteur financier ; cette tranche a été supprimée en 2018.

Le barème, dont la progressivité est très rapide, est fonction du salaire brut annuel, mais le montant des majorations de la taxe sur les salaires est déterminé mensuellement ; il s’établit ainsi :

Ramenées à des montants mensuels, ces tranches mettent en évidence le fait que même de tout petits salaires sont impactés par la taxe alors que, au-delà de 1.319 € brut mensuel, le montant de la taxe n’est plus progressif, ce qui tend à avantager les secteurs où les salaires sont élevés.

Qui la paie ?

Cette taxe concerne de multiples acteurs : 165 000 redevables en 2016 selon la Cour des comptes[2], dont 50 000 sont des organismes financés majoritairement par des fonds publics. Ils relèvent aussi bien du secteur public et non lucratif (hôpitaux, établissements médico-sociaux, organismes sans but lucratif, centres d’aide par le travail et ateliers protégés) que du secteur lucratif et commercial, principalement le secteur financier (établissements bancaires, financiers, d’assurances) ainsi que les cliniques privées, les professions libérales, les clubs de sports, les organismes coopératifs, mutualistes et professionnels agricoles, les propriétaires fonciers, les sociétés exerçant une activité civile (sociétés d’investissement, sociétés immobilières à l’exception de celles ayant pour objet la construction d’immeubles ou le négoce de biens), les centres techniques industriels … Il est ainsi très difficile d’avoir une vision globale de sa répartition entre secteurs, les données consolidées manquent. En 2012, la répartition était la suivante :

Le secteur hospitalier, suivi du secteur financier, apparait ainsi comme le plus gros contributeur de la taxe sur les salaires. Cette multitude d’acteurs rend complexe toute modification de la taxe, du fait qu’elle peut générer des “effets de bord“ et activer des réactions de défense.

Des modifications récentes ont changé la donne dans le secteur hospitalier

Avec l’instauration du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) pour les entreprises, les cliniques privées ont bénéficié d’un crédit d’impôt qui n’a pas été appliqué aux autres établissements hospitaliers du service public, créant des distorsions de concurrence que les établissements du secteur privé non lucratif n’ont pas manqué de relever. C’est pourquoi le secteur non lucratif a, à son tour, bénéficié à compter du 1er janvier 2017 d’une mesure de baisse du coût du travail analogue au CICE sous forme d’un crédit d’impôt sur la taxe sur les salaires (CITS). Ce dispositif, plafonné aux salaires n’excédant pas 2,5 fois le SMIC, représentait 4% de l’assiette des rémunérations. Il s’ajoutait à l’abattement forfaitaire de 20 707 €. Il est resté en vigueur jusqu’au 1er janvier 2019, date à laquelle le CICE a été transformé en allègement pérenne de charges sociales. Pendant toute cette période, les établissements publics n’ont bénéficié d’aucune mesure particulière, ni sur les cotisations sociales, ni sur la TVA payée sur les investissements.

La Cour des comptes a formulé une série d’observations et de recommandations

En juillet 2018[3], après avoir examiné la gestion de la taxe sur les salaires, la Cour des Comptes a souligné l’incohérence du barème et « des règles de calcul qui vont à l’encontre des objectifs de la politique de l’emploi ». Elle a préconisé une simplification dans le recouvrement et mis en évidence la « circularité » de cette taxe « payée, pour une grande partie, par des organismes financés majoritairement par des fonds publics, soit 50 000 redevables acquittant 6,3 Md€ de taxe sur les salaires ».

Discussion

Le système fiscal d’un pays est révélateur de ses valeurs, mais c’est aussi un empilement de mesures dont la cohérence doit être régulièrement interrogée. A l’heure où les moyens manquent cruellement aux hôpitaux pour faire face aux besoins de recrutement, de formation et d’amélioration de leurs conditions de fonctionnement, il y a une vraie opportunité à faire des propositions pour supprimer, ou à tout le moins aménager en profondeur cette taxe. Auparavant, nous nous demanderons pourquoi cette taxe pose autant problème dans son application au secteur hospitalier et médico-social.

1. Parce qu’elle est en décalage total avec les niveaux de rémunération moyens à l’hôpital et favorise l’emploi précaire

Le barème de cette taxe est bâti d’une part sur une progression très forte des taux et sur la fixation de tranches extrêmement basses : 4,25 % en dessous de 7924 € brut annuel, 8,50 % entre 7924 et 15822 € bruts annuels, et 13,60 % au-delà. Cela signifie que les rémunérations mensuelles brutes (primes et heures supplémentaires comprises) des personnels hospitaliers, dès lors qu’elles atteignent 1319 € brut sont éligibles au taux maximum de 13,6 %. Pour mémoire le SMIC brut est de 1539,42 € : autant dire que presque tous les personnels hospitaliers plein temps sont concernés. Seuls les personnels intérimaires recrutés pour quelques mois sont éligibles au taux de 4,25 %, et quelques temps partiel au taux de 8,5 %. Cette taxe favorise ainsi l’emploi précaire et le recrutement de CDD.

Ce barème n’a pas été actualisé pendant très longtemps, un rattrapage a été réalisé en 2019 à hauteur de 4 % environ et le texte prévoit une actualisation annuelle dans la même proportion que la première tranche du barème de l’impôt sur le revenu. Bien que les rémunérations du secteur public aient été bloquées pendant plusieurs années, cette actualisation est loin d’être en phase avec la moyenne des rémunérations dans le secteur sanitaire et médico-social, moyenne que l’on trouvera retracée dans le tableau ci-dessous. Ainsi, si la revalorisation des salaires des personnels hospitaliers aboutit prochainement de façon significative, les établissements redonneront ipso facto 13,6 % (taux marginal) à l’Etat sur les augmentations accordées.

2. Parce qu’elle crée un déséquilibre entre service public et secteur privé lucratif

Pour les établissements hospitaliers publics, la taxe sur les salaires s’applique à l’ensemble des rémunérations des personnels médicaux et non médicaux, y compris les personnels participant à des missions de service public comme les services d’urgences (SAMU/SMUR) et la continuité des soins. L’épisode de la COVID-19 a mis en évidence le rôle de ces établissements, même s’ils n’étaient pas les seuls à participer à la prise en charge. Dans les établissements privés participant au service public hospitalier (PSPH), les personnels médicaux sont aussi pour la plupart salariés, mais ce n’est pas le cas pour les cliniques privées, qui ne sont assujetties à la taxe sur les salaires que sur les personnels non médicaux salariés. Ces cliniques peuvent aussi faire valoir un taux d’assujettissement à la taxe différent, du fait d’une part plus importante de TVA dans leurs activités. Les établissements à but non lucratif bénéficient également d’un abattement de 20.707 €, ce qui reste cependant négligeable pour les plus gros établissements.

Alors que les EHPAD privés font souvent le choix de se soumettre à la TVA pour une partie de leurs prestations, leur permettant d’échapper à due concurrence à la taxe sur les salaires, cette alternative n’est guère possible pour les EHPAD publics du fait que la TVA devrait être intégrée dans les tarifs approuvés par le Département et qu’il n’y a pas de marge de manœuvre financière. Il existe aussi des différences selon que l’EHPAD est un établissement autonome ou qu’il est rattaché à un Centre d’action communal, lui-même exonéré de la taxe sur les salaires.

3. Parce que l’affectation de la taxe aux organismes de Sécurité sociale, en particulier à la branche maladie, pose question.

Le produit de la taxe sur les salaires est versé aux organismes de Sécurité sociale ; il sert, avec d’autres éléments, de variable d’ajustement d’une année sur l’autre, au vu de l’équilibre financier des branches[4]. Cette utilisation est particulièrement nette pour l’année 2020 du fait de la décision de l’Etat de ne plus compenser l’impact de ses mesures législatives (exonérations de cotisations et baisse des prélèvements sociaux), au motif que les soldes de la CNAM étaient moins dégradés que ceux de l’Etat, rompant ainsi un pacte républicain datant de 1994 entre Etat et organismes de Sécurité sociale.

Pour 2019, seuls 9,79 % de la taxe sur les salaires ont été affectés à la branche maladie alors que les établissements représentent au minimum 25 % du montant total de cette taxe. Pour 2020, ce montant a été porté à 18,98 %, mais l’essentiel (51,73 %) a été reversé à la branche vieillesse. L’examen de la loi sur le financement de la Sécurité sociale pour 2020 permet de mesurer l’impact de la loi portant mesures d’urgence économiques et sociales (MUES) : une perte de cotisations de 1,25 milliard, de CSG de 1,5 milliard (CSG à 6,6 % pour les retraités modestes), mais aussi une perte de recettes de 5,1 milliards pour le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) avec la rétrocession à l’Etat de prélèvements sociaux sur le capital. Rien d’étonnant à ce qu’il ait fallu compenser majoritairement le déficit du FSV !

Que pèse par ailleurs, dans les ressources de la protection sociale, cette taxe sur les salaires acquittée par les hôpitaux et EHPAD ? une part extrêmement faible : 0,38 % des ressources totales et 1,9 % du montant des impôts et taxes affectés qui atteignait, en 2018, 210,5 milliards (cf. tableau ci-dessous). Pour autant, il faudra veiller à ce que ce qui sera accordé d’une main ne soit pas repris d’une autre.

Tableau 3 : ressources de la protection sociale de 2014 à 2018

Les 4 milliards que représente cette taxe pour le secteur hospitalier et d’hébergement s’avèrent encore plus dérisoires au vu de la dégradation sans précédent des comptes de la Sécurité sociale et de l’Unedic et du fait de la décision de l’Etat de transférer 136 milliards de dettes, présentes et à venir, à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES).

Le Haut Conseil du financement de la Protection sociale (HCFIPS) s’est interrogé, dans un avis de mai 2020, sur le fait de savoir si « la dette qui résultera des déficits historiques qui seront enregistrés en 2020, et probablement sur un certain nombre d’exercices suivants, doit être considérée intégralement, partiellement, ou pas du tout comme une dette “sociale“ et, à ce titre, être remboursée progressivement, comme c’est actuellement le cas de la dette sociale reprise et amortie par la CADES ? »[5]. Michaël Zemmour a bien montré[6] comment « la dette de l’Etat et la dette sociale ne sont pas du tout gérées de la même manière », l’une l’étant à très long terme, l’Etat ne payant que les intérêts car il réemprunte le capital, l’autre ayant vocation à être remboursée, intérêt et principal, dans un temps court, avec des taux d’emprunt supérieurs à ceux que l’Etat peut mobiliser. Le rapport entre les deux options impacte le coût de cette « dette Covid » de 1 à 10 selon Michaël Zemmour.

4. Parce qu’elle est censée se substituer à la TVA et que la notion de valeur ajoutée interroge lorsqu’on touche au domaine du « care »

La taxe sur les salaires est censée compenser la facturation de la valeur ajoutée et, comme on l’a vu, cela concerne aussi bien les hôpitaux, les EHPAD, les associations de soutien à domicile, que les banques et assurances. Mais comment comparer la valeur ajoutée des salariés des holdings financiers, et celle de l’aide à domicile, de l’aide-soignante, du réanimateur, du chirurgien ? Comment donner une valeur marchande à la vie et à la santé en dehors des mécanismes d’assurance et de compensation décidés par les tribunaux ? Ce même traitement appliqué à des secteurs si différents apparait comme particulièrement obsolète à l’heure où sont plébiscités les métiers du lien. L’enjeu productif de cette taxe, instaurée au lendemain de la 2ème guerre mondiale, n’a plus la même actualité. Aujourd’hui, il s’agit plutôt de s’interroger sur ce qu’est la réelle valeur ajoutée dans notre société, de réfléchir à d’autres indicateurs qui témoignent au plus près du progrès humain.

Par ailleurs, la question de l’assujettissement à la TVA des personnes morales de droit public fait débat au niveau européen entre ceux qui voudraient un assujettissement total et ceux qui ne veulent aucune TVA. La question n’est pas prête à être tranchée, ce qui laisse une grande autonomie à notre pays pour choisir sa voie. Le Gouvernement a ainsi les mains libres pour décider du devenir de cette taxe qui pèse sur les établissements des secteurs sanitaire et médico-social. Elle n’est pas appliquée dans le secteur de l’éducation et des universités, ni dans les collectivités locales : le service public de santé ne mérite-t-il pas le même traitement du fait de son utilité sociale ?

5. Parce qu’elle pénalise les métiers du lien

Plus que tout autre, le secteur de la santé et celui du médico-social privilégient le lien humain. Contrairement à ce qui a pu se mettre en place dans d’autres secteurs économiques pour échapper à cette taxe, les emplois des secteurs sanitaire et médico-social ne sont pas délocalisables, ni substituables par des robots. Imposer ces secteurs sur la base des salaires versés aux personnels qui y exercent est lourd de sens. Cela va à l’encontre de l’emploi comme le soulignait la Cour des comptes dans son référé de juillet 2018 ; cela pèse aussi lourdement sur la bonne appréciation des besoins en personnel dans les établissements et dans le secteur médico-social.

Or les établissements ont besoin d’un choc d’attractivité : nombre de postes sont vacants pour certaines catégories paramédicales (IDE, kiné, …) avec les problèmes de fonctionnement que cela entraine ; malgré un temps de formation de plus en plus long, l’ensemble des rémunérations, et pas seulement celles des infirmiers, restent à la traine par rapport au salaire moyen en France, et par rapport aux autres pays de l’OCDE. Il faut donc, en même temps, revaloriser significativement les rémunérations et les carrières, et recruter pour renforcer les effectifs et améliorer les conditions de travail.

Le Président a appelé à la simplification, le Premier ministre à des choix forts, son ministre de la santé à être transgressif : la suppression de la taxe sur les salaires constitue un levier immédiat pour répondre à ce déficit d’attractivité de l’hôpital.

· Parce qu’il y a urgence à dégager des moyens financiers

- la réforme promise du financement des établissements, qu’il s’agisse des hôpitaux ou des EHPAD va prendre du temps et c’est dès maintenant qu’un apport financier est nécessaire

- l’augmentation de l’ONDAM ne permet pas de bien cibler les actions à financer et ne peut supporter seule le financement des moyens nécessaires et des revalorisations salariales.

- la loi Autonomie-grand âge qui devait apporter des moyens supplémentaires aux EHPAD est encore loin d’être votée et financée ; il avait été émis l’hypothèse d’une réorientation éventuelle de la cotisation de remboursement de la dette sociale (CRDS) vers un financement de la perte d’autonomie après résorption de la dette en 2024 ; comme indiqué précédemment, le report sur la CADES du déficit 2020 (et des exercices suivants) de la sécurité sociale éloigne durablement cette hypothèse, puisque la dette devrait être prolongée jusqu’en 2033.

· Parce que les moyens dégagés par une suppression de la taxe sur les salaires pourront être immédiatement redéployés au sein des établissements :

- pour financer des recrutements, notamment en EHPAD ;

- pour financer la revalorisation des rémunérations et des carrières : au-delà des établissements publics dont les grilles salariales s’imposent à tous, il faudra, dans le secteur privé, conditionner cette mesure à la signature d’un accord salarial permettant de revaloriser significativement les rémunérations des personnels ;

- pour financer des promotions professionnelles alors qu’il faudra former massivement pour faire face aux besoins ;

- pour améliorer les conditions de travail et les investissements et capacités d’adaptation des établissements.

· Parce que c’est l’occasion de renforcer le dialogue et la décision collective au sein des établissements avec une priorisation de l’utilisation des ressources ainsi dégagées

Dès lors qu’il s’agira de redéployer des ouvertures de crédits, les établissements auront la main pour les réorienter au plus près de leurs besoins, dans le cadre du fonctionnement de leurs instances, Conseil d’administration, commission médicale, comité technique d’établissement, CHSCT, répondant ainsi aux critiques de « verticalité bureaucratique » et de « décisions arbitraires ». La suppression de la taxe sur les salaires permettrait de réenchanter d’autres relations au sein des établissements, privilégiant proximité et dialogue au service des patients et des professionnels.

· Parce que les sommes ainsi redéployées alimenteront à leur tour les comptes de la Sécurité sociale

Ainsi réorientés vers la rémunération pérenne (pas sous forme de primes) des personnels, et vers des recrutements supplémentaires, les crédits dégagés par la suppression de la taxe sur les salaires génèreront des cotisations sociales nouvelles et contribueront à un cercle vertueux et durable pour la protection sociale. Comme indiqué précédemment, le poids de la taxe actuellement réaffectée en recettes de l’Assurance maladie est minime.

Les mesures à prendre peuvent se décliner sous plusieurs formes :

· Soit c’est une mesure spécifique aux établissements assurant le service public (hôpitaux et EHPAD)

Elle pourrait dès lors concerner tous les établissements publics et les établissements participant au service public hospitalier qui partagent la même grille tarifaire. Il est indispensable que les EHPAD bénéficient de la même mesure pour renforcer leurs moyens en personnel. Les établissements privés à but lucratif ne manqueront pas de mettre en avant aussi des problèmes d’attractivité, mais la question du fléchage de la mesure en direction des revalorisations des personnels est plus difficile à maitriser pour ces établissements.

· Soit c’est une mesure propre à l’ensemble du secteur hospitalier et d’hébergement

Le risque, c’est que le secteur médico-social se sente défavorisé alors qu’il rencontre lui aussi des problèmes de niveau de rémunération et d’attractivité. De notre point de vue, le secteur médico-social, notamment celui du maintien à domicile, devrait être traité de la même manière que les établissements. Il en est de même pour le service public de santé (centres de santé par exemple).

Dès lors se pose la question des autres secteurs soumis à cette taxe : le secteur financier principalement, mais aussi toutes les professions et organismes cités précédemment et assujettis à la taxe sur les salaires pour leurs salariés. Il est certain que le secteur financier, qui supporte mal cette taxe, pourrait chercher à bénéficier de la mesure en direction du secteur sanitaire et médico-social. Il existe cependant des arguments à faire valoir pour différencier les secteurs — une distinction peut être faite entre le lucratif et le non lucratif, selon la nature des activités couvertes, etc… — arguments qui méritent un approfondissement en regardant ce qui a motivé le non-assujettissement des collectivités locales et des universités.

· La suspension immédiate du paiement de la taxe peut se justifier au regard des circonstances

En tant que mesure d’urgence, et dans l’attente d’une mesure d’impact plus approfondie, la suppression pourrait prendre la forme d’une suspension temporaire du paiement de la taxe, circonscrite aux établissements hospitaliers et d’hébergement. Les décisions prises, dans le cadre de l’urgence sanitaire, pour suspendre le versement des cotisations par les entreprises constituent des précédents qui sont tout à fait transposables dans le cas de la taxe sur les salaires.

La situation très tendue des établissements et la particularité de la période que nous vivons devraient être l’occasion de réinterroger cette taxe pour redonner immédiatement de l’oxygène aux établissements ; la Cour des Comptes avait déploré que l’occasion des réformes de 2019 (suppression CICE et CITS) n’ait pas été saisie pour réformer « un impôt souvent décrié pour ses incohérences », il en est plus que temps aujourd’hui et le Ségur de la santé est une opportunité à ne pas laisser passer.

22 juin 2020

Dominique ACKER, IGAS honoraire, Présidente du Haut Conseil des Professions paramédicales

[1] Décret du 9 décembre 1948 et loi du 14 janvier 1952

[2] Référé de la Cour des Comptes du 25 juillet 2018

[3] Référé du 25 juillet 2018

[4] La branche maladie a ainsi vu le montant de ses produits fiscaux diminuer de 34,6 % en 2018, représentant une perte de recettes de 10,8 Md€ (source : comptes de la Protection sociale)

[5] « 2020 : une rupture sans précédent pour la sécurité sociale » — note du HCFIPS mai 2020

[6] « Les assurances sociales n’ont pas à supporter la dette due au COVID » Le Monde du 26 mai 2020

--

--