La mauvaise influence écologique d’Instagram

Ou l’histoire de la paille et de la poutre sur les réseaux sociaux.

Emmanuel Gervy
7 min readOct 8, 2018
Maya Bay, la fameuse baie thaïlandaise fermée pour cause de tourisme de masse (crédit: TimOve, Flickr)

En matière d’écologie, les réseaux sociaux pratiquent beaucoup la technique du “je me concentre sur la paille du voisin pour ne pas voir la poutre chez moi”. Pire, ils nous encouragent inconsciemment à augmenter nos émissions de CO2 !

Il y a beaucoup d’exemples possibles des contradictions écologiques diffusées sur les réseaux sociaux mais je vais me concentrer ici sur deux thèmes récurrents, surtout sur Instagram : la pollution des mers par le plastique, et les voyages.

Et pour être encore plus précis, je choisis la célèbre “paille en plastique qui tue les tortues”, et l’île indonésienne de “Bali où tu dois absolument aller faire du Shaking dans un Ashram”. :-)

Bon, je caricature un peu, c’est vrai. Mais tout de même, les sous-entendus sur Instagram sont un peu ceux-ci : “Si tu n’as pas ta paille en Inox c’est que tu veux tuer la Terre” et “Si à 50 ans tu n’es pas allé à Bali c’est que tu as raté ta vie”. Ce n’est pas clairement dit comme ça, mais la pression ressentie est celle-là.

Et attention, je parle ici surtout d’Instagram mais il faut bien admettre que ce qu’on voit passer sur Facebook n’est pas mal non plus dans le genre.

C’est partout pareil : on se concentre sur des petits détails écologiques (fermer le robinet quand on se brosse les dents, supprimer les pailles en plastique) pour se donner bonne conscience et éviter de remettre en question certains aspects de notre mode de vie autrement plus polluants.

Car bien sûr, la pollution de l’avion que l’on prend pour aller à Bali ou ailleurs, ça on n’en parle pas.

Eh bien si, justement, parlons-en.

Petits gestes écologiques mais grands voyages

Alors bien sûr, tous les petits gestes du quotidien diffusés sur Instagram et permettant de diminuer notre impact sur la planète sont bon à prendre et à pratiquer. L‘impact positif est très faible, mais c’est mieux que rien.

Les instagrammeuses et instagrammeurs vont nous montrer la photo de la tortue avec la paille dans le nez pour nous inciter à ne plus utiliser ces horribles tubes de plastique. Ok, je comprends. Belle intention.

Mais juste après, ils nous montrent à longueur de journée les splendides photos de leur dernier voyage à Bali “où la nature est tellement belle et la vie tellement meilleure”. Et PAF, ils nous donnent envie de partir en vacances à Bali ! Mais vraiment TRÈS TRÈS envie.

Vous voyez un peu l’incohérence ?

Bali, c’est vachement loin : 12000 km de chez moi. Avez-vous une idée de la quantité de CO2 émise par l’avion qui va me transporter là-bas (et me ramener) ?

Personnellement, je n’en n’avais qu’une très vague idée. J’ai donc fait quelques recherches. Et comme on dit dans les mauvais journaux, la réponse va vous surprendre…

Nos émissions de CO2

Je me suis rendu sur le site carbonfootprint.com pour déterminer la production de CO2 d’un voyage en avion à Bali pour une famille de 4 personnes comme la mienne. Ben oui, je ne vais pas y aller égoïstement seul.

Pour avoir un point de comparaison, j’ai calculé la production de CO2 liée à la consommation énergétique de ma famille sur une année complète. J’ai tenu compte du mazout de chauffage, de l’électricité, du carburant de nos deux voitures et même des 3 stères de bois brûlés dans notre cheminée.

J’en ai aussi profité pour calculer l’impact du trajet en voiture de nos vacances en Ardèche cette année.

Résultat:

  • notre ménage pendant 1 an : 8,33 tonnes de CO2 (pile la moyenne des ménages belges).
  • nos vacances en voiture en France : 0,25 tonnes de CO2 (compris dans le total du ménage ci-dessus).
  • nos potentielles vacances à Bali : 13,6 tonnes de CO2 !

Impressionnant, non ? Un seul voyage d’une semaine ou deux à Bali ferait plus que doubler nos émissions de CO2 d’une année complète.

Quand je pense que le Parlement européen veut réduire de 40% les émissions de CO2 des voitures d’ici 2030. Et nous on fait quoi ? On s’en fiche, on double nos émissions personnelles. “YOLO”, comme on dit.

Le problème du prix

Non mais, sincèrement, vous êtes surpris par cette quantité de CO2 générée par un seul voyage, non ?

Car finalement, pourquoi la conscience de l’impact écologique de l’avion est si peu répandu ? Parce que les billets sont très bon marché.

Et pourquoi sont-ils bon marché ? Parce que le carburant des avions n’est pas taxé. Contrairement au carburant de nos voitures où presque deux tiers du coût est composé de taxes.

Une taxe équivalente sur les avions doublerait le prix des billets et on y réfléchirait à deux fois.

Mais cela semble trop compliqué pour nos politiciens qui, comme la ministre Bruxelloise de l’environnement Céline Fremault, préfèrent se concentrer sur la “paille en plastique” et prôner son interdiction. C’est plus facile.

L’illusion de la paille

Ce qui me permet de revenir sur cette célèbre paille en plastique (merci Mme Fremault), médiatiquement porteuse mais dont l’argumentaire laisse à désirer.

Vous avez probablement tous vu cette vidéo de la tortue avec une paille dans le nez, elle a été massivement partagée sur tous les réseaux sociaux. Je suis d’accord, c’est triste, c’est moche, c’est injuste. Mais réfléchissons un peu.

90% de tout le plastique des océans provient de 10 cours d’eau qui se trouvent en Asie et en Afrique. Pourquoi ? Parce qu’ils traversent des pays (pauvres, ou moins pauvres comme la Chine) qui ont un mauvais contrôle des déchets. Nos pays européens (surtout en Belgique) traitent bien mieux les déchets.

A votre avis, que va-t-il arriver à la paille que vous jetez dans la poubelle du MacDo ou du Quick ? Vous pensez qu’un employé va aller vider cette poubelle dans la rivière du coin ? Non, elle va généralement rejoindre nos poubelles dans un incinérateur qui en profitera pour produire de l’électricité et filtrer autant que possible les fumées. Ce n’est pas parfait, mais ce n’est pas si mal.

Alors, oui, c’est vrai, il y a toujours bien quelques imbéciles pour jeter leurs déchets du Quick par la fenêtre de leur voiture. Je me demande toujours ce qu’ils se disent à ce moment-là, mais bon, cela reste heureusement très marginal.

Alors, vu les chiffres cités plus haut, si nous voulons vraiment empêcher la pollution des océans par les plastiques, je me dis qu’on devrait commencer par le levier qui a le plus gros impact : aider les pays pauvres à traiter correctement leurs déchets. Un euro dépensé là-bas dans ce domaine aura certainement un impact plus fort qu’un euro dépensé ici.

Le petit souci est que ce levier-là, aider (ou motiver) certains pays à mieux traiter leurs déchets, est un levier d’Etat à Etat. Tout comme celui de la taxation du carburant des avions. Ce sont de beaux et forts leviers écologiques mais ni vous ni moi n’avons de pouvoir de décision direct sur eux.

L’impact de nos voyages

Revenons à notre niveau individuel et résumons. Comme dans la parabole de la paille et la poutre, nous avons :

  • la paille (en plastique), que tout le monde regarde;
  • et, vous l’aurez compris, notre poutre individuelle que nous refusons de voir : nos voyages.

Supprimer nos pailles en plastique aura un effet très marginal sur notre environnement. Arrêtons de nous laisser distraire par ça ou d’autres mesurettes écologiques. Appliquons-les, oui, mais ça ne va pas sauver le monde.

Par contre, nos choix de voyage ont un impact extrêmement fort. C’est là-dessus que nous devons nous concentrer.

Rappelez-vous de mon exemple avec Bali : un seul voyage peut faire plus que doubler nos émissions de CO2 liées à notre consommation énergétique d’une année. Et donc si vous avez l’habitude de partir souvent, ou loin, en avion, vous pouvez facilement diviser vos émissions de CO2 par deux en modifiant vos choix ! C’est pas cool ça ? C’est une bonne nouvelle tout de même.

Je ne dis pas qu’il faut arrêter de voyager, mais je pense que nous devons nous modérer sur ce point : voyager moins souvent, moins loin. Et si on fait encore deux ou trois grands voyages sur notre vie, faisons-le avec conscience et pour de bonnes raisons. Pas pour frimer sur les réseaux sociaux ou faire mieux que son voisin par exemple, qui sont deux motivations universelles bien connues du marketing. ;-)

Ah, j’entends déjà certains me dire que le tourisme est économiquement bon. Mais j’observe aussi que de plus en plus de villes sont envahies de touristes au point que les habitants commencent à en souffrir et s’en plaindre. Pareil pour certains lieux comme la Maya Bay, plage rendue célèbre par le film La Plage et récemment fermée aux touristes pour cause de dégradation de l’environnement. Nous sommes clairement dans l’excès, il n’y a pas à discuter. Un peu de modération touristique fera donc plus de bien que de mal. Et puis le tourisme peut être de proximité. C’est bien aussi.

A retenir

J’ai lu un jour que “l’énergie la plus verte est celle qui n’est pas consommée”. Cette petite phrase influence mes choix au quotidien.

J’aimerais maintenant vous transmettre une autre phrase. Tout comme nous savons déjà tous que “consommer c’est polluer”, retenons maintenant aussi que “voyager (loin) c’est polluer (beaucoup)”.

Par ce texte je ne veux culpabiliser personne, je veux juste conscientiser et aider à prendre du recul sur les messages diffusés par les réseaux sociaux.

Internet est une porte ouverte sur le monde. Il n’est pas indispensable de franchir systématiquement cette porte et de se déplacer physiquement sur place. Nous pouvons rester sur le pas de la porte et profiter simplement de la vue. C’est plus écologique.

Et pour terminer sur une petite note humoristique, voici une illustration empruntée au journal canadien leSoleil :

Source : https://www.lesoleil.com/opinions/caricatures/la-caricature-de-cote-du-10-octobre-2018-8db971e8f6e2e5fd3c71a4eb621db7d7

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Emmanuel Gervy

Aimerait mettre la technique au service de l’homme et de l’inspiration. Techno-critique, belge et full-stack web integrator. Co-fondateur de Bulbme.com.