[GP] — GALEA VS designer

Elodie Petitbon
11 min readApr 19, 2018

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Objectif : confronter GALEA face à un professionnel. Nicolas Kiéné — digital product design manager chez Aptus Health et Directeur Artistique / Artiste Digital chez Esperluette.

Confronter son projet face à des professionnels permet d’avoir une vision extérieure et de revoir les fondamentaux. Challenger le concept est le meilleur moyen de tendre vers un projet de qualité.

Choix du parrain : tourné dans l’univers du bien-être, de la santé, un parrain exerçant dans cet univers semblait le plus cohérent. Présentant ces qualités professionnelles, Nicolas Kiéné s’est porté volontaire pour me suivre dans ce projet. Son expertise sur les objets communicants et sa vision dans le domaine de la santé est un atout pour garantir une cohérence dans l’évolution de mon projet, GALEA.

Interview de Nicolas Kiéné, 16 04 2018.

Elodie Petitbon : Est-ce que tu peux te présenter ? Parler un peu de ton parcours, de ta vision du design…

Nicolas Kiéné : Alors mon parcours, j’ai commencé le design à l’École du design de Nantes, après j’ai fait un Master en objets communicants et systèmes informatiques embarqués à Télécom Bretagne. Et l’idée était de concevoir des meilleurs objets et systèmes communicant. C’est-à-dire que les bases de données puissent bien communiquer, que des systèmes type Facebook, et Facebook-application puissent être connectés et se connecter les uns aux autres. Donc voilà pour mes études, ensuite je suis parti au Canada, à Montréal, où j’ai fait du mapping pendant 6 mois. Ensuite je suis allé à New York où j’ai pu retomber dans le monde du design tel qu’on le connait, moins artistique que la vidéo, et j’ai pu bosser avec des personnes d’IDEO sur des objets communicants. Après je suis allé en Australie pour faire du mapping pendant une année. Puis je suis revenu en France où j’ai créé ma société de consulting, où j’ai pu travailler pour des sociétés comme Airbus, Nathan, Publicis, etc. Et pour présenter un projet d’objet communicant intéressant ce serait Airbus, avec qui je travaillais sur les tableaux de bord des avions de 2030. On se posait la question de savoir comment est-ce qu’un pilote de ligne allait pouvoir piloter un avion en 2030, de manière différente d’aujourd’hui. Donc aujourd’hui il n’y a quasiment aucun écran dans un avion, en tout cas il y a seulement des écrans à cristaux liquides et qui sont objets par objets. C’est-à-dire que l’altitude est sur un écran, la vitesse, etc. Et on s’est posé la question : et si on avait un seul écran ? Et là nous avons eu des ingénieurs qui se sont posés avec nous et qui nous ont dit que si l’écran ne fonctionnait plus, on perdait l’avion. C’est pour ça qu’ils ont divisé en plusieurs écrans. Et c’est à ce moment qu’on s’est posé la question d’objets connectés puisqu’il fallait que tous les écrans soient des machines différentes. Et l’idée était de réfléchir à la manière dont ces différents écrans allaient communiquer entre eux, passer des informations les uns aux autres, etc. Ce qui est hyper intéressant et important à comprendre dans les objets communicants, c’est que dans la conception d’un objet communicant il ne faut pas considérer chaque objet les uns à côté des autres mais le système ensemble. C’est là qu’on rejoint le design de service. C’est-à-dire que Facebook, par exemple, lorsqu’ils vont développer un site, une appli, un Messenger, WhatsApp, etc., ils ont tendance à unifier l’expérience sur la totalité. Par exemple lorsque les « stories » ont été lancées sur Messenger, ils vont les lancer sur Facebook, Facebook mobile, etc. Même si publier une story sur Facebook desktop est totalement incompréhensible. C’est ce qui est important et ce qu’il faut que tu considères bien.
Et j’ai créé plusieurs objets communicants autres, comme un paquet de cigarette connecté.

EP : Connecté dans le sens de limiter la consommation ?

NK : Justement, je vais te raconter la conception d’A à Z pour bien comprendre les étapes. La première chose que j’ai faite, je suis allé voir qui était les fumeurs. Et je me suis intéressé à : qui sont-ils ? De quoi ont-ils besoin ? De quoi ils ont envie ? De quoi ils ont inconsciemment envie ? Et de quoi ils ont envie de manière refoulé ? Le « scop » est hyper important. Et je pense que c’est sur ça qu’on peut travailler sur ton projet : qu’est-ce que tu dois faire, qu’est-ce que tu ne dois surtout pas faire. Car il y a deux types d’objets communicants : les objets communicants « boite à outils », un smartphone est objet communicant boite à outils qui va faire plein de choses et qui va s’adapter à toi et des objets communicants à une seule utilité. Par exemple les oreillettes connectées d’Apple, on a l’impression qu’elles ne servent qu’à écouter mais en fait on peut tapoter dessus de manière différente (monter le son, le baisser, accepter un appel, etc.). Donc là par exemple on devient sur du multimodale : écouter, enregistrer, le tactile ; c’est vraiment l’avenir des objets communicants, la multi-modalité. Ça c’était les premiers objets communicants et les deuxièmes types sont : un objet — un usage. Par exemple, le système que tu vas mettre sur tes clefs et qui va se connecter à ton téléphone, pour sonner et pouvoir les retrouver. Il y a vraiment deux grands mondes : « one things — one action » et multimodale. Et ça, il y a Rafi Haladjian qui expliquait cette tendance il y a bientôt dix ans, qu’il le sentait au début. Aujourd’hui elle est claire. Par exemple un objet connecté de la société Dream qui s’appelle Sleep, est un casque qui permet de mieux dormir. Il analyse la fonction du cerveau en temps réel et qui va diffuser du son dans les oreilles pendant la nuit pour permettre de mieux dormir. Ça c’est un objet avec une demande — une action. Ou autrement les lampes Hue de Philips, que l’on peut contrôler avec son téléphone pour allumer la lumière. Bien qu’il n’y ait qu’une seule action, on peut l’utiliser dans différents contextes (soirée, lecture, journée, etc.).

EP : Je pense donc que mon projet s’articule plus comme objet « one things — one action ».

NK : De ce que j’en ai compris, je pense. Mais ce n’est pas nécessairement moins bien, ou mieux. Mais d’un point de vue pénétration de marché c’est toujours plus compliqué. Il faut que l’action que tu crées soit vraiment forte et qu’elle apporte vraiment quelque chose à l’utilisateur sinon tu auras du mal à avoir le « body market ». C’est-à-dire de passer du prototype à quelque chose de commercialisé.
Pour revenir à ce paquet de cigarette…

[…]

EP : Super intéressant. Bien qu’on puisse la percevoir après cette discussion, quelle vision as-tu du design ? Qu’est-ce qui, pour toi, fait un bon design ?

NK : Ma vision du design ? Elle est très orientée utilisateur. C’est-à-dire qu’un utilisateur doit ressentir un certain besoin en utilisant ce que tu as conçu. Si tu n’arrives pas à éprouver ce besoin, alors c’est un gadget. Alors, par exemple, pour un médecin le stéthoscope est un besoin. C’est hyper gratifiant de voir que ce que tu crées est utilisé, mais encore plus quand c’est utilisé à bon escient. C’est-à-dire dans l’usage, tu l’as pensé, mais avant tout quand il fait du bien et non lorsque c’est simplement du « mass market » qui va se vendre 10 millions d’euros et qu’on dira plusieurs années qu’il y avait des matériaux nocifs. Comme c’est le designer qui dessine le produit, mais ce n’est pas lui qui le conçoit avec les matériaux. C’est là où pour moi, le design est éthique, responsable, il doit être surtout centré utilisateur. Sinon ce n’est pas du design. Et d’une vision plus personnelle, le design doit également être méthodique. C’est-à-dire que je ne crois pas à l’effet Eureka. Il y a une méthodologie, on l’applique. Certes il peut y avoir certaines disgressions vis-à-vis de ta méthodologie, mais en aucun cas les idées sortent comme ça. Donc si tu veux avoir un « go to market » correct, il faut écouter tes utilisateurs dans un premier temps, avoir une certaine création d’idée qui est personnelle et à la fin tester ce que l’on produit. Le tester, car on peut avoir eu certains biais cognitifs, son appropriation de l’idée, mais on peut avoir oublié certaines valeurs importantes de l’utilisateur.

EP : Top. Je voulais ensuite te demander si l’aromathérapie t’évoquait quelque chose ?

NK : J’aime beaucoup les huiles essentielles. J’ai un petit diffuseur chez moi et j’aime bien. Même si je n’ai pas d’odorat.

EP : Oui mais d’un côté les huiles essentielles n’agissent pas seulement au niveau de l’odorat, mais elles ont de vraies vertus sur l’individu.

NK : Voilà. Après, je ne crois pas trop en la médecine des huiles essentielles. La médecine, pour moi, est curative ou palliative. Mais je suis plutôt à dire que les huiles essentielles sont présentes pour améliorer ma vie, beaucoup plus que pour être curative ou palliative.

EP : Oui c’est vrai. Mais elles peuvent également soigner des personnes. Pas seules, mais introduites dans un mode de vie, elles peuvent participer à la guérison. Par expérience dans ma famille, une personne proche est toujours en vie aujourd’hui à l’aide de médecins certes, mais également avec l’accompagnement au quotidien de l’aromathérapie.

NK : En fait je n’y crois pas, car j’ai eu beaucoup trop de gens autour de moi qui sont morts à cause de ce genre de croyances et qui ne se sont pas traités correctement. Par exemple, Steve Jobs qui s’est traité de son cancer du pancréas pendant un an en ne mangeant que des fruits et légumes. Donc rien à voir avec l’aromathérapie, mais ce sont des médecines autres. C’est pour ça que je pense que les huiles essentielles sont là pour améliorer la vie, mais cela n’arrêtera pas la maladie.

EP : Donc oui l’aromathérapie est une médecine douce utilisant les huiles essentielles pour se soigner et/ou améliorer son quotidien. Moi, suite à ma recherche j’ai pu remarquer que l’automédication était de plus en plus présente. Et donc toi, que penses-tu de l’automédication ?

NK : Alors, l’automédication, le problème n’est pas l’automédication en soit, car généralement il est écrit ce que l’on doit prendre lorsqu’on a un diagnostic vis-à-vis de telle maladie. Un truc très simple. Imaginons, là d’un coup j’ai mal dans le bas du dos, au niveau des épaules et j’ai des boutons sur les jambes. Je peux me soigner seul car rien de grave a priori. Le problème c’est que ces trois symptômes réunis, c’est une méningite. C’est « un peu » plus grave, on ne peut le traiter seul et à partir du moment où je suis dans cette salle, tous les gens l’ont aussi. Donc le problème qu’il y a autour de ça c’est que l’automédication ok, mais les symptômes ils sont où ? Faire le lien entre les symptômes et les diagnostiques c’est parfois un peu compliqué.

EP : C’est vrai. Ici je voulais surtout mettre en garde à la surmédicamentation. Car aujourd’hui le premier réflexe de beaucoup de monde avec un mal de dos est de prendre un Doliprane, des anti-inflammatoires, etc. Lorsque l’on rentre dans une pharmacie, ce qui est mis en avant sont ces médicaments prêts à l’emploi sans ordonnance. Or il existe des solutions alternatives et naturelles afin de combattre ces maux sans habituer notre corps aux molécules des médicaments.

NK : Voilà, donc à mon avis le frein que tu peux avoir est le fait que la personne ait une chose de grave, mais ne va pas s’en rendre compte tout de suite. Et ça, c’est à mon avis quelque chose d’hyper important et qui peut être un frein à ton projet. Mais cela te permet d’y travailler et d’y penser.

EP : Alors mon projet, qui se nomme GALEA, a pour but de contrer ce premier geste du « je vais prendre un Doliprane » et d’acquérir naturellement dans son quotidien des solutions naturelles pour les maux du quotidien comme le stress, la concentration, etc. GALEA serait une gamme d’objets connectés offrant une expérience nouvelle au quotidien. Avec les capteurs intégrés et un jeu de lumière, l’idée serait de transporter chaque utilisateur dans une ambiance odorante et naturelle. Par exemple j’aurais un objet avec un capteur de bruit qui serait relié à la relaxation, un autre pour le stress avec un capteur de fréquence cardiaque, etc.

NK : C’est-à-dire qu’admettons j’ai un capteur sur moi ? Ou chaque petit objet a un capteur ?

EP : Chaque objet a un capteur et donc l’objectif est de pouvoir l’emporter partout.

NK : Mais comment tu veux qu’on capte ma fréquence cardiaque ?

EP : À ce stade de mon projet, je n’ai pas la forme exacte des objets encore en tête, mais ce serait de petits objets, nomade, au design très épuré. Cela permettrait de l’adopter facilement et sans encombrement. Le capteur serait présent sur l’objet et il faudrait le manipuler ou le poser afin que le capteur fasse la détection souhaitée et active le diffuseur.

NK : Mais tu le portes où sur le corps ?

EP : Dans mon idée ce n’était pas à s’accrocher sur soi, ça serait un peu comme un petit grigri, un compagnon. Ce serait des objets nomades à emporter au boulot, chez soi qu’on puisse manipuler, jouer avec. Et cette solution je souhaitais l’aborder et la proposer sous l’univers de la mer. Pourquoi la mer ? C’est l’endroit où l’on se recentre sur nous-même, où les légères vagues créent une douce sonorité, plutôt apaisante, avec une légère brise qui effleure notre peau et qui nous remet en sensation avec notre corps ainsi que notre esprit. Et l’air iodé des côtes apporte ce gain d’énergie et de pureté dont on peut souvent manquer. S’y balader, s’y rendre ; c’est se soigner, prendre soin de soi, entrer en contact avec soi, s’écouter, se connaitre.
Suite à ça, qu’en penses-tu du projet ?

NK : Alors moi, là où j’y crois, c’est le concept. Là où je n’y crois pas, pour être direct, c’est la réalisation. Pour moi, si tu ne t’intègres pas directement dans la vie des gens, enfin, c’est-à-dire que ton capteur doit s’intégrer dans la vie quotidienne, qu’il arrive d’une montre ou du téléphone.

EP : C’était une de mes premières pistes aussi oui. Mais je bloquais au niveau de la réalisation…

NK : Mais c’est un faux problème la réalisation. Moi je pense en tout cas qu’il faut que tu réfléchisses aux montres connectées, aux objets connectés avec une petite borne que tu vas garder chez toi et qui te permet de diffuser des arômes ou alors même te conseiller d’utiliser certaines huiles. Tu pourrais avoir un petit objet, où tu poses ton doigt dessus et tu reçois un peu d’huiles essentielles pour te l’étaler là ou là, tu vois ça pourrait être intéressant ça aussi. À mon sens, l’énergie qu’il va falloir à un utilisateur pour garder toute la journée le capteur avec lui pour utiliser l’objet, le pouvoir cognitif est beaucoup trop grand. Et c’est là où il faut que tu réfléchisses à ce pouvoir cognitif, il doit être faible, s’il est faible qu’est-ce que je fais ? Et les choses faibles sont le téléphone, la montre, peut-être que tu peux défendre les choses en posant ton doigt, le doigt il va permettre de détecter le rythme cardiaque, la sudation, ou autre. Et au final il va dire « c’est ça qu’il vous faut ». Après, là où je trouve que c’est cool c’est que c’est un projet d’objet communicant, là où je trouve moins cool c’est que c’est un projet d’objet communicant. C’est-à-dire, est-ce que le fait que ce soit un objet soit justifié au sein de ton projet ? Les capteurs ont-ils une utilité ? Ne peux-tu pas récupérer les données différemment ?

EP : Moi je voulais vraiment que les objets puissent être transportables, les sortir de mon sac maintenant, les emporter au boulot, les avoir dans le train, chez ma famille, etc. sans être encombré.

NK : Pour t’ouvrir les portes : les dessins que tu me montres, penses-tu qu’une fille aimerait avoir un objet comme ça dans son sac ? Il faudrait l’intégrer dans des objets du quotidien comme un miroir, un bracelet, etc.

EP : Super, merci beaucoup pour tout ceci ! Ça m’ouvre pas mal de porte et va me faire réfléchir à pleins d’autres choses…

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