Des fermes moins nombreuses mais toujours plus grandes

Dans les dix prochaines années, un tiers des agriculteurs français partiront à la retraite, selon le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Faute de repreneur, un départ s’accompagne souvent de l’abandon de l’exploitation agricole. Depuis cinquante ans, le nombre de fermes ne cesse de diminuer. Malgré ces pertes, la surface cultivée en France reste la même, signe de l’agrandissement des exploitations restantes.

Elsa Teiton
5 min readJan 19, 2023
Les exploitations agricoles s’agrandissent. Cette serre près d’Agen fait plus de huit hectares. © Elsa Teiton

76%. Trois quarts des exploitations agricoles françaises ont disparu entre 1970 et 2020 d’après le Service de la Statistique et de la Prospective et les services statistiques régionaux du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (Agreste). Le quart restant regroupe des fermes toujours plus étendues.

« Aucun parent ne souhaite que son enfant reprenne sa ferme »

Plus d’un million d’agriculteurs ont cessé leur activité entre 1970 et 2020. Le dernier recensement agricole, publié par l’Agreste en juillet 2022, dévoile que le territoire français ne compte plus que 390 000 exploitations agricoles, contre 1 587 600 en 1970. Entre les années 1990 et 2000, la baisse est la plus importante avec près de 500 000 exploitations en moins.

Point commun aux fermes qui s’ajoutent aux pertes : impossible de trouver un repreneur. Les transmissions à l’intérieur d’une famille sont de plus en plus rares. « Aucun parent ne souhaite que son enfant reprenne sa ferme. C’est difficile la vie de paysan. Vous travaillez parfois 80 heures par semaine pour moins de 1000 euros par mois », se désole Thomas Gibert, membre du comité national de la Confédération paysanne. 18% des ménages agricoles vivent sous le seuil de pauvreté relève l’INSEE dans un rapport publié en octobre 2021.

« Vous travaillez parfois 80 heures par semaine pour moins de 1000 euros par mois »

Luc Smessaert, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) en charge du pacte de loi d’orientation sur l’avenir agricole, s’alarme : « pour certaines filières comme l’élevage bovin, le salaire a à peine augmenté de 1% en quarante ans ! ». Pour le syndicaliste, les critiques du monde agricole, l’ « agribashing », découragent certains d’exercer la profession. « Notre agriculture est pourtant saine et transparente. Il faut retrouver un pacte avec la société ». Le travail administratif est aussi un frein à l’installation : « Un agriculteur peut passer 25% de son temps aux tâches administratives, alors que si on fait ce métier, c’est pour être au milieu de la nature ». Le changement climatique et son impact sur les cultures demande aux agriculteurs de se réorganiser. Luc Smessaert reste optimiste. Pour lui gel et sécheresse sont plutôt des « défis à relever ». Thomas Gibert pointe un autre frein à l’installation : le prix de vente des exploitations. « Pour s’installer sur une grande ferme c’est plus d’un million d’euros ! », s’exclame-t-il. Le 7 décembre 2022, le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, a lancé la concertation sur la « loi d’orientation et d’avenir agricoles » pour pallier ces disparitions.

« Le seul moyen de survivre est d’avoir une grande ferme »

De 29 % à 26 %. La surface agricole utilisée (SAU), la part du territoire national utilisé pour les activités agricoles, reste sensiblement la même depuis 50 ans.

Comment expliquer ce phénomène alors que les fermes sont moins nombreuses ? Les exploitations restantes occupent plus de place. En 1970, la ferme moyenne fait environ 18 hectares contre 68 en 2020. En parallèle de la disparition des exploitations, c’est surtout à partir des années 1990 que leur superficie augmente. Entre 1990 et 2000, leur taille moyenne croît de 14 hectares. Entre 2000 et 2010, la hausse est presque similaire avec 13 hectares de plus.

Thomas Gibert souligne que cet agrandissement des propriétés agricoles coïncide avec la « révolution verte ». Il s’agit de l’intensification de la production agricole à partir des années 1960 grâce aux avancées technologiques dans le secteur. « L’agrandissement est intrinsèquement lié à la mécanisation ». Avec l’arrivée de tracteurs et de machines puissantes, les agriculteurs sont en mesure de cultiver des parcelles plus étendues. Dans un contexte de compétitivité internationale du marché agricole français, produire plus permet de réduire les coûts de production. « Le seul moyen de survivre est d’avoir une grande ferme avec beaucoup de surface pour produire à moindre coût et vendre le moins cher possible ». Luc Smessaert tempère : « Nos exploitations sont des naines par rapport à celles des pays de l’Est ».

Souveraineté alimentaire

Quelles conséquences sur la production agricole française ? Les grandes parcelles favorisent certains types de produits comme les céréales. « Les céréales, le plus souvent, c’est ce qui paye un peu », constate Thomas Gibert. Depuis dix ans, la part des grandes cultures céréalières dans le nombre total d’exploitations s’accroît. De 23 % en 2010, elle est passée à 28 % en 2020.

En même temps, la part d’activités exercées sur de plus petites surfaces comme l’arboriculture, ou encore l’élevage, diminue. Par exemple, environ 20 000 élevages ovins et caprins (moutons et chèvres) ont cessé leur activité entre 2010 et 2020. L’élevage est parfois jugé comme trop exigeant : « Les animaux c’est sept jours sur sept, 365 jours par an », rappelle Luc Smessaert.

L’agriculture s’appuie pourtant sur la diversité des productions et fonctionne comme un cycle. Les élevages, grâce au fumier animal, fertilisent les cultures. Pour Thomas Gilbert, privilégier l’un à l’autre « menace la souveraineté alimentaire ».

Méthodologie :

Les données sont issues du dernier recensement agricole réalisé par le Service de la Statistique et de la Prospective et les services statistiques régionaux du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (Agreste).

Il a été lancé en France en octobre 2020 et s’est achevé en mai 2021. Les résultats définitifs ont été dévoilés en juillet 2022.

Mené tous les dix ans, toutes les exploitations agricoles sont invitées à répondre au recensement. Les données ont été collectées via un questionnaire en ligne, ou au cours de la visite d’un enquêteur.

La SAU calculée est le rapport entre le nombre d’exploitations et la taille moyenne d’une exploitation.

La part des grandes cultures céréalières et des élevages ovins et caprins correspond au rapport de leur nombre avec l’ensemble des exploitations.

--

--