Partie I — C’est une bonne situation ça intrapreneur ?

Emilien Matte
9 min readDec 20, 2019

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Source : Photo by Hunter Bryant on Unsplash

Attention ce billet peut heurter la sensibilité des esprits étroits et traditionnels.Toute ressemblance avec un nom de produit, d’organisation (comme Moonshot Insurance) ou de personne existant (comme Alexandre Rispal) serait purement fortuite.

Cela fait maintenant plus de six mois que j’ai quitté l’Assurtech que j’ai co-fondé avec Alexandre R.

Il ressemble à peu près à ça.

Il est temps aujourd’hui en étant le plus exhaustif possible de dresser le bilan de mon aventure d’intrapreneur au sein d’un grand groupe. Je ne prétends pas détenir la vérité absolue, je souhaite simplement partager mon ressenti et mon expérience si petite soit-elle en tant qu’intrapreneur.

Quand je regarde en arrière, je me rends compte que j’ai eu la chance de vivre une expérience incroyable. Une expérience avec ses hauts mais aussi ses bas. Ceci n’est pas un pugilat ou un règlement de compte, mais simplement un (énième, je sais) retour d’expérience sur cette aventure qui m’a beaucoup apportée professionnellement et humainement.

(Ok je sens que ça va être long son truc je préfère m’arrêter là)

Arrêtons nous un instant sur la définition de l’intrapreneur.

Le terme est apparu en 1985, introduit par Gifford Pinchot dans son livre “Pourquoi vous n’avez pas besoin de quitter votre entreprise pour devenir entrepreneur ?” et a été repris depuis dans la littérature économique et de nombreux articles de blog, presse.
Aujourd’hui tous les grands groupes s’y mettent en lançant de nombreux programmes d’intrapreneuriat. La plupart reste encore un grand coup de communication et sur les centaines de projets lancés chaque année, beaucoup vont mourir ou être réintégrés dans des Business Units internes (et mourir ?). Certaines entreprises (comme Alibaba), tirent pourtant pleinement parti de l’interne et lancent de véritable licorne comme…Ant Financial ou disruptent totalement un marché comme l’histoire de Nespresso.

Céline Degreef (CEO et co-fondatrice de MyCrowdCompany) a publié un article pour le magazine Forbes dans lequel elle parle de l’intrapreneur en ces termes :

Décidés à faire changer les choses, les intrapreneurs initient des projets à forte valeur ajoutée, qui font sens pour le business. Ils inventent les business models du futur, optimisent les processus existants ou contribuent à booster la productivité, l’efficacité et l’agilité.

Et si on s’amusait à remplacer “intrapreneurs” par “entrepreneurs” ça donnerait quoi ? (Si si ça va être drôle vous allez voir)

Décidés à faire changer les choses, les entrepreneurs initient des projets à forte valeur ajoutée, qui font sens pour le business. Ils inventent les business models du futur, optimisent les processus existants ou contribuent à booster la productivité, l’efficacité et l’agilité.

(Je vous avais dit qu’on allait se marrer)

Un des meilleurs exemples d’intrapreneuriat: le Macintosh.

Est-ce que finalement “être entrepreneur ou “être intrapreneur”, ce n’est pas tout simplement un état d’esprit ? En 1985, Steve Jobs confiait à Newsweek qu’il avait été obligé de former une petite équipe d’intrapreneurs au sein d’Apple pour accélérer le développement du Macintosh. Une équipe de 50 personnes rassemblées autour d’un seul projet avec un objectif commun.

Maintenant que nous sommes tous sur la même page, passons aux choses sérieuses.

(Bon en fait c’est passable je vais continuer un peu)

Le renouveau de l’assurance

J’ai la conviction que l’assurance doit opérer une transformation radicale de son modèle. Si les assureurs traditionnels veulent rester dans la course et ne pas se faire devancer par les GAFA ou encore les Assurtechs, ils doivent être leader de l’innovation dans un secteur qui peine à évoluer. L’assurance doit se repenser et proposer un nouveau mode de consommation et de nouvelles offres à ses consommateurs.

(Oh et puis non en fait j’en ai marre, j’arrête de lire son torchon)

La Foodtech, la Regtech, la Fintech… tous ont opéré sans complexe une révolution de leur secteur et obligé certains acteurs traditionnels du secteur à innover et se remettre en question. Les néobanques poussent chaque jour les acteurs traditionnels à innover, repenser leurs applications, leur service client.

Les acteurs traditionnels de l’assurance ne voient pas cette vague d’Assurtechs arrivée sur le marché comme de réels concurrents.

Les taxis et les acteurs de l’hôtellerie ont fait la même erreur avant l’arrivée d’Uber ou d’Airbnb, et c’est tant mieux pour cette vague d’Assurtech qui va cependant devoir lutter pour sa survie en trouvant le bon modèle. Ce ne sont pas les levées successives que l’on peut voir toutes les semaines dans la presse qui vont les sauver…

Les débuts…

C’est en partant de ce postulat, que le projet “Moonshot-Internet” né en Novembre 2015.

L’idée est venue autour d’un café avec Alexandre R (mon mentor et à l’époque mon responsable de stage au sein du département R&D et Innovation d’un bancassureur français) : nous avions la volonté de créer une entreprise afin de transformer et changer durablement le secteur de la banque, finance et assurance (rien que ça… ça va les chevilles ?)

Personnellement je me sentais aussi bien trop à l’étroit dans une entreprise qui se perd dans ses process, ses costumes cravates et son incapacité à sortir de sa zone de confort pour innover. Une entreprise minée par la politique et la lutte de pouvoir afin de garder le contrôle sur tous les projets visibles auprès de la hiérarchie. Sortir du cadre est risqué (voire condamné) et fortement déconseillé.

Certains acteurs traditionnels sont gangrenés par une génération de dirigeants qui ne voient pas l’intérêt de changer un modèle qui perdure depuis des années. Mais ils ne voient pas la vague d’innovation des Assurtechs ou des GAFA qui risquent un jour, je l’espère, de les emporter sur leur passage.

Octobre 2015

A l’origine nous voulions copier les copieurs (un célèbre startup studio allemand) en répliquant les meilleurs services financiers existants sur le marché pour créer la banque de demain.
L’objectif était de remettre le CLIENT (bien trop souvent oublié) au coeur de nos offres en lui proposant les meilleurs services du marché.

Pendant plusieurs mois, en dehors des horaires de bureau, nous avons commencé à travailler sur un pitch avec pour objectif : lever des fonds (ça y est encore deux illuminés qui veulent créer une startup !)

Nous avons approché d’autres assureurs de la place afin de lever des fonds mais avons finalement décidé de présenter (et lancer) notre projet à deux sponsors internes (appuis indispensables pour mener à bien un projet d’intrapreneuriat) : le Directeur Innovation du Groupe auquel nous appartenons ainsi que le Directeur Général de ce qui va devenir notre actionnaire majoritaire (et donc aussi notre employeur. Vous suivez ?)

Avec le recul, je regrette un peu de ne pas avoir tenté l’aventure en externe. Nous aurions peut-être déjà coulé la boîte mais on aurait pu éviter certaines erreurs, certaines contraintes.

Pourquoi le choix de l’interne ? Car nous avions la possibilité de lever bien plus de fonds et avions aussi la volonté d’essayer de changer les mentalités du groupe en proposant de nouvelles choses, une nouvelle façon de voir l’assurance. Alexandre connaît aussi bien le groupe et ses rouages, il bénéficie de soutiens forts pour faire avancer le projet. C’est d’ailleurs ce qui nous a beaucoup aidé au départ pour que le projet sorte tant bien que mal de la tumulte politique qui l’a entouré à ses débuts.

Nous n’avions aucune expérience dans la création d’une entreprise, et notre employeur nous “offrait” la possibilité d’une formation accélérée en intrapreneuriat (entrepreneuriat ?) avec la certitude d’avoir un salaire à la fin du mois. Ce qui, du haut de mes 24 ans était extrêmement confortable (on ne va pas se mentir.)
Nous avions aussi la promesse d’être associé au capital si nous arrivions à sortir de terre la société.

(Je continue ou j’arrête ? Il faut que j’aille jusqu’en 2019 quand même…)

Mars à Mai 2016

L’histoire et nos sponsors internes en auront décidé autrement, nous copierons une seule entreprise: Zhong An. Le projet “Moonshot-Internet” (mais si j’en ai parlé plus haut. Copier tous les services financiers, bancaires) est mort avant même d’avoir existé.

Zhong An : environ 1 500 employés, première levée de fonds : 931.3 millions de dollars. Lancement de plus de 200 produits d’assurance en l’espace de 3 ans.

En plus de ce changement de trajectoire, nous sommes obligés de faire équipe avec un autre collaborateur (que nous appellerons Rodolphe) sensé travailler sur l’étude de Zhong An (au point mort depuis plusieurs mois). Alexandre et Rodolphe vont donc prendre tous les deux la tête du projet et plus tard de la société.

Collaborer avec quelqu’un que tu n’as pas choisi n’est pas une chose facile. Nous travaillions depuis plusieurs mois sur notre projet et la Direction vient nous imposer quelqu’un qui n’est pas fait pour le monde de l’intrapreneuriat ou de l’entrepreneuriat (la première impression est souvent la bonne et nous allons nous en rendre compte tout au long du projet) et qui a simplement vu une opportunité d’accélérer sa carrière.

Les premières embauches sont capitales dans une startup. Vous ne pouvez pas vous permettre de recruter quelqu’un qui n’adhère pas à la culture ou à la vision que vous incarnez. À recruter dans la précipitation on n’en tire jamais rien de bon et on finit par regretter ses choix.(À lire sur le sujet)

Nous avons donc travailler sur l’étude du modèle de Zhong An et la faisabilité de répliquer ce modèle en Europe.
C’est une période étrange qui s’installait alors : nous avions l’appui du Top Management pour mener à bien le projet mais le Middle Management et nos plus proches collègues ne savaient rien de ce que nous faisions. Nous devions donc continuer à travailler sur les projets en cours tout en travaillant sur cette nouvelle mission.

Nous nous retrouvions entre deux réunions dans une salle loin de nos départements respectifs. Je ne pouvais rien dire à mes collègues, c’était assez étrange !

Pendant cette période nous apprenons tant bien que mal à travailler et avancer ensemble sur le sujet.

Le 25 mai 2016, Alexandre et Rodolphe présentent notre analyse sur Zhong An et la faisabilité de répliquer ce modèle en Europe devant le Comex.

À la suite de cette présentation, nous avons un accord officiel de la Direction pour nous rassembler physiquement et recruter les talents qui nous manquent : IT et data.

Juin à Décembre 2016

Le 14 juin 2016, l’équipe est “au complet”. Et nous recevons des lettres de mission de la part du service RH, nous autorisant à travailler à 100% et officiellement sur le projet Moonshot.

Au début, on nous prenait pour des fous, l’entreprise était en pleine réorganisation et on risquait de ne pas pouvoir se “positionner”. Beaucoup ont essayé de nous poignarder ou de torpiller le projet.

On nous a donné 3 mois à vivre. En 2019, nous sommes toujours debout et comptons une vingtaine de personne dans la société.

L’été est consacré aux vacances pour certains et à la recherche du partenaire informatique pour les autres. Nous rencontrons deux sociétés (hollandaise et chinoise) qui viendront passer une semaine chez nous pour développer un produit (en l’occurrence assurance retard de train) de bout en bout.

Pendant plus de 10 mois, Alexandre et moi-même allons jouer le rôle de CTO prenant en charge le choix de notre outil informatique et les briques complémentaires dont nous avons besoin. Un rôle difficile pour deux profils marketing mais que nous remplissons tant bien que mal. Il s’en suivra ensuite la négociation du contrat avec le partenaire informatique que nous avions retenu.

En octobre, nous repassons devant le Comex ainsi que devant plusieurs fonds d’investissement partenaires pour valider une nouvelle fois le modèle et avoir un avis externe. L’entreprise est d’accord pour investir 6 millions d’euros (en deux fois) à condition de passer par une fiche d’investissement mais qui “sera une formalité” selon un membre du COMEX : nous passerons finalement plus de 4 mois à remplir cette fiche. Cette “simple formalité” a été pesante pour beaucoup d’entre nous.

Durant cette période, nous avons perdu un membre de l’équipe : le développeur. A posteriori, nous lui avions demandé un rôle qui n’était pas le sien et qu’il ne souhaitait pas assumer : prendre des décisions sur des choix de techno, d’architecture ou de sécurité.

Nous avons vécu une grande période d’incertitude et de doute en cette fin d’année 2016. Nous étions épuisés psychologiquement et physiquement.

Mais l’aventure était loin d’être terminée…

Fin de la partie I. Si vous souhaitez lire la seconde partie c’est par ici.

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Emilien Matte

People Enabler & Internal Com @Wakam l ex Marketing Google France l Co-founder Moonshot-Insurance