Déboires d’une compulsive littéraire
Ou de la tristesse de ne pas pouvoir partager ses passions.
Cet article sera écrit sous le signe de la première personne et sort, une fois n’est pas coutume, du strict article de blog pour entrer dans celui de la page confessionnelle. Ceux que la nature profonde de mes émois psychologiques laisseraient de marbre sont donc invités à reprendre le cours joyeux et normal de leur existence. Pour tous les autres, bienvenue dans l’univers clos de mes frustrations personnelles.
Ceux qui me connaissent savent à quel point j’ai un problème de livres. De l’ordre de cinq bibliothèques remplies et de sommes conséquentes dépensées chez mes libraires favoris. Il y eut des périodes, avant que mon époux ne me ramène justement à l’ordre et à la réalité, où je pouvais aller acheter des bouquins presque toutes les fins de semaine avec pour conséquence, une accumulation de piles désordonnées sur mon bureau, sur la table du salon, sur ma table de chevet, au dessus des mes autres livres, bref, absolument partout. Une situation qui aurait vite été intenable si je ne lisais pas ces ouvrages à mesure et n’allais pas les porter ensuite, eux ou d’autres, à la boite bibliothèque de notre quartier.
Car oui, malgré l’impulsivité évidente de mes actes, une tendance qui a miné mon existence sur de nombreux plans, je ne laisse fort heureusement pas ces ouvrages pourrir. J’ai même pour eux une tendresse et un amour dévorant qui s’exprime par une moyenne de trois livres lus par mois, en sus des divers romans graphiques que j’engloutis le reste du temps. Une vie sans mondes littéraires à parcourir serait à peu près aussi concevable à mes yeux qu’une raclette sans fromage et à peu près aussi tenable qu’un vendredi soir sans gin tonic.
Une accumulation de piles désordonnées sur mon bureau, sur la table du salon, sur ma table de chevet, au dessus des mes autres livres, bref, absolument partout
L’idée de cet article m’est d’ailleurs venue suite au cri du cœur poussé par une youtubeuse à propos du peu de place laissé à la littérature dans l’océan commercial qui constitue la majeure partie des différentes plateformes d’écoute. Une réalité douloureuse qui tire pour partie son origine du faible potentiel économique des émissions dédiés entièrement à ce sujet. Une situation elle-même la résultante d’un intérêt médiocre du grand public pour la lecture en général et les classiques en particulier. D’où la faible présence en ligne de chaînes consacrées aux livres ou à autre chose que la littérature pour jeunes adultes.
Ce qui m’amène au cœur du sujet d’aujourd’hui : mon immense sentiment de solitude livresque. Soyons clair, le but de ce texte n’est pas de blâmer les goûts des uns et des autres en matière de livres ni de sous-entendre qu’il faudrait que tout le monde finisse une dizaine d’ouvrages par an. Mon propos est plus personnel et autrement plus intime, il touche à ma réalité propre et n’a pas pour vocation de changer les habitudes de qui que ce soit ni de m’ériger en exemple. Ceci étant établi, quelle est la nature de ma complainte?
Rien de plus triste que de se retrouver seul avec soi même après avoir été touché par une expérience littéraire, vidéoludique ou cinématographique.
Il nous est tous arrivé d’apprécier une chose, un film, un morceau de musique, un sport, au point de vouloir immédiatement les faire connaître et de partager notre avis avec ceux auxquels on tient et dont on valorise l’opinion. Rien de plus touchant que de voir s’allumer dans les yeux de son interlocuteur les mêmes étoiles qui illuminent les nôtres et d’échanger avec lui enthousiasme et passion pour un sujet commun. À contrario, rien de plus triste que de se retrouver seul avec soi même après avoir été touché par une expérience littéraire, vidéoludique ou cinématographique; de n’avoir personne en chair et en os avec qui lancer des discussions enfiévrées et échanger théories, arguments et analyses.
Ce qui n’implique pas que toutes les situations s’y prêtent, certaines œuvres se savourent avant tout en solitaire ne serait-ce que le temps de les apprivoiser, ou que l’on ne devrait fréquenter que des gens aux goûts similaires aux nôtres, mais parler de ce qu’on aime est aussi un moyen de créer des liens ou de les renforcer. C’est également la seule façon saine de développer son esprit critique et d’apprendre à réfléchir à une œuvre au-delà des seuls sentiments qu’elle génère.
Je ne souhaite pas que mes fréquentations lisent à tout prix les mêmes livres que les miens ou s’accordent toujours sur mes points de vue, je suis avant tout en manque d’interlocuteurs minimalement intéressés par ce domaine et j’en souffre, parfois. Bien sûr, cette situation est aussi de mon fait. Nombreux sont les sites en ligne et les groupes de lecture dédiés à des discussions de cette nature et maintes occasions existent de rencontrer des bibliophiles au cours de soirées lancement ou lecture dans l’une ou l’autre des librairies de Montréal. Ce qui représente une sacrée épreuve pour l’introvertie que je suis. On peut donc dire sans se tromper, que je râle sur un état de fait dont je suis pleinement responsable. Ce qui ne diminue en rien la tristesse que je ressens face à l’absence de réactions de mon entourage quand je tente de lancer une discussion bienveillante sur un livre commencé ou terminé.
Bien sûr, cette situation est aussi de mon fait.
Car c’est un peu le paradoxe de ce genre de passions. Quand on lit avant tout pour le plaisir d’une activité solitaire qui permet d’explorer des Univers différents des siens et de se plonger dans la beauté d’une langue, d’une écriture ou d’un récit, rien d’étonnant à ce qu’on ne rencontre pas tous ceux qui en font de même. Nous sommes peut être une petite tribus d’amoureux de bouquins qui se cherchent sans jamais pouvoir se connaître, persuadé chacun d’être totalement seuls.
Aucune solution miracle n’existe à ce problème. Pour y pallier, personne d’autre que moi-même ne devrait avoir à faire d’efforts et je parviendrai peut être un jour à surmonter mes angoisses sociales. Si c’est le cas, je reviendrai ici râler sur les choix de lecture de mes nouveaux amis et critiquer leurs points de vue sur les miennes. C’est promis.