Le journal d’Henri — 12 juin 1940

Fabien Hénaut
3 min readNov 2, 2016

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2 heures du matin, voici Vienne la Belle, nous sommes trempés, depuis le départ il n’a cessé de pleuvoir. Nous continuons pour atteindre à 2h45 Vienne la Ville. Nous nous renseignons pour savoir la route qu’a suivie la Cie, et la direction de Futeau. Personne ne peut nous renseigner. En désespoir de causes, à droite de la route un convoi est arrêté, nous montons dans une voiture, elle nous conduira bien en direction.

C’est un convoi de régiment colonial, des bicots. Nous restons près d’une heure sur cette voiture, le petit jour pointe à l’horizon et le convoi est toujours à la même place. Nous descendons Triviaux et moi car nous ne tenons pas à être bombardés par l’aviation, le convoi offrant une trop belle cible. Nous marchons quelques kms, puis nous entrons dans une ferme au bord de la route avec l’idée d’y piquer un petit roupillon et afin de nous y sécher. D’autres ont eu la même idée que nous; en effet nous retrouvons là le sergent Bonamy, les caporaux Drache, Gilbert et le chasseur Dapremez. De la paille avec un vieux matelas (la maison est trop sale) et dans une grange nous dormons jusqu’à 9 heures.

A cette heure là nous procédons à nos ablutions, nous fouillons la maison, nous faisons provision de cidre, mangeons quelques oeufs trouvés dans un coin (les poules on disparu) et en route vers Futeau.

Nous rattrapons quelques isolés de la Cie, ainsi que des isolés du 21ème Etranger qui avait été chargé de protéger notre retraite lors de notre départ de Authe le 9 juin. Ils nous expliquent que peu ont réussi à s’échapper, le bataillon ayant été décimé à la suite de l’attaque allemande.

Nous faisons avec eux une partie de la route et atteignons enfin l’étape “Les Islettes” à 11h30; la Compagnie est dans le bois du Charme, nous voici au repos, pour combien de temps!! En route, des camarades ont trouvé des prospectus lancés par l’aviation allemande, sur ceux-ci des croquis montrant la situation des deux armées et disaient:

Français, mettez bas les armes, ne combattez plus pour les Lords de Londres, vous êtes trahis et vos chefs s’enfuiront en avion.

Quelques avions mitraillèrent les bois au cours de cette journée et à 16 heures nous prîmes la direction de Futeau où nous arrivâmes 2 heures plus tard. Aussitôt nous bifurquâmes car il fallait aller prendre position au Sud du lac de Villers en Argonne. Cela faisait 3 jours que nous battions en retraite et l’ennemi nous talonnait déjà. C’était à n’y rien comprendre. Nous avions quitté le contact avec l’ennemi dans les Ardennes, nous étions maintenant dans la pointe de la Marne, et sans combat nous avions reculé de 100 km. C’était de la belle stratégie.

Pour arriver à Villers en Argonne, nous avions une douzaine de km à faire et à 19 heures nous étions en position. Calme jusque 22 heures où les armes automatiques rentrent en mouvement, nous sommes placés à différents coins de la forêt, autour du lac et cela avec une quantité de munitions.

La pression ennemie s’exerçant trop fortement, et ne pouvant rien faire dans la nuit, à 23h30 nous recevons l’ordre de battre en retraite en même temps que les mitrailleuses d’appui. Tant mieux, ce coin ne m’enchantait pas. Avant de partir, nous précipitons les munitions dans le lac car il nous est impossible de les emporter. Et en route pour une autre direction.

Nous étions en route depuis une vingtaine de minutes lorsque nous nous apercevons que nous avons oublié Dubusque et Lallemand qui se trouvaient en avant de nous avec un fusil mitrailleur. Pauvres diables, dans la précipitation du départ il n’eurent pas d’ordre de repli et furent oubliés.

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