Le journal d’Henri — 19 mai 1940

Fabien Hénaut
7 min readOct 3, 2016

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A 4 heures du matin réveil, il fallait de nouveau prendre position. Je suis surpris au réveil de trouver le chasseur Hérault qui avait quitté mon groupe dans l’après-midi du 15, il s’était parait-il égaré, le Capitaine va d’ailleurs pour lui demander le conseil de guerre pour abandon de poste devant l’ennemi.

Nous nous installons à 150 mètres à droite du pont en face du côté droit de l’écluse, derrière un tas de cailloux qui devait servir à la réfection de le route, c’est notre seul moyen de protection.

Henri, décembre 1941

Calme jusqu’à 10 heures où de nouveau le bombardement commence pour cesser à 11 heures, ensuite quelques tirs de harcèlement. Nous arrivons ainsi à 14 heures où de nouveau les 105 allemands nous rendent visite, mais cette fois ci avec beaucoup plus d’intensité, il y a de la fumée partout, et par moment nous ne voyons plus devant nous, tellement le nuage est dense.
Quelques moments après, les mitrailleuses ennemies à leur tour se mettent à cracher, les balles sifflent de tous côtés. Heureusement que nous avons notre tas de cailloux et derrière nous une déclivité.

Juste dans le secteur que nous surveillons, derrière un bosquet d’arbres, il y a une mitrailleuse et nous entendons son tac-tac régulier. Nous ouvrons le feu dans cette direction, une seconde mitrailleuse ennemie se révèle à la corne droite du bois « Huart » devant nous. Alternativement sur ces deux objectifs nous continuons le feu, aidé à notre gauche par la 2ème section, et le groupe Villeneuve.

La mitrailleuse la plus proche de nous se tait, mais nous venons de voir des mouvements d’hommes vers la corne du bois. J’avertis le lieutenant Genay qui m’envoie prévenir le Capitaine que l’ennemi semble vouloir attaquer et que nous venons vraisemblablement de neutraliser une mitrailleuse devant nous.

Je cours au PC et le Capitaine donne l’ordre à transmettre au Lt Genay de faire rentrer la 4ème section, ce qui fut fait. Le Capitaine nous réunit et nous dit ceci:

« Nous craignons une attaque ennemie et il faut absolument lui donner le change. Pour cela deux sections vont attaquer afin de faire croire à l’ennemi que nous sommes beaucoup plus en force que nous ne le sommes en réalité. La section du Lieutenant Carle, la 1ère et celle du Lieutenant Genay, la 4ème (la nôtre) vont exécuter cette besogne, je vais demander un tir de 75 afin de protéger votre progression. Les deux autres sections demeurant à ma disposition vont vous protéger également par le feu. Il faut que l’on me ramène un prisonnier mort ou vif afin de savoir à quels éléments nous avons à faire ».

Notre section partit vers l’écluse N12, nous traversâmes le canal et pour progresser nous profitions des abris et couverts qui se trouvaient devant nous (la maison de l’éclusier et des haies et bouquets d’arbres). Nous arrivons ainsi à l’endroit où nous jugions être la 1ère mitrailleuse ennemie, c’était exact, car nous découvrons des caisses de munitions abandonnées er sur celles-ci du sang. Ce premier succès nous encourage et nous fonçons maintenant vers la corne droite du bois Huant, la vitesse est la raison du succès!

Nous sommes assez dispersés, nous arrivons ainsi à huit à une trentaine de mètres de la lisière du bois: ce sont le Sergent Chef Carniaux, deux tireurs de FM, Bergny et Adam, Kremer, Conrad Paul, Conrad Antoine, Biasse et moi même, le reste de la section est derrière éparpillé 20 mètres plus en retrait. Le Lieutenant Genay est avec cette fraction.

A ce moment les mitrailleuses ennemies ouvrent le feu sur nous, jusque là nous étions dans un angle mort, mais nous sommes maintenant bien en vue; vite, il faut faire vite pour gagner les couverts du bois, nous arrivons de cette façon à une quinzaine de mètres du bois, lorsque nous sommes reçus à coups de grenades, la 1ère tombe à 7 ou 8 mètres en avant de moi mais n’explose pas.

Plusieurs la suivent immédiatement, l’une d’entre elle blesse CONRAD Paul au pied, cependant que BIASSE tombe également, nous ouvrons le feu avec nos FM et tous nous tirons avec notre fusil. Nous voyons assez distinctement les silhouettes qui se déplacent dans les futaies, cependant le tir de 75 qui nous avait protégé jusqu’à ce moment cesse précisément alors que nous en avions le plus besoin. Au contraire, c’est l’artillerie ennemie qui ouvre le feu à son tour, nous sommes pris sous une grêle de projectiles de toutes sortes, le lieutenant Genay nous crie « Repliez-vous! » ce que nous voulons faire mais nous avons avec nous deux blessés.

Carniaux attrape Biasse aidé par Kreimer, tandis que Conrad Paul aidé par son cousin essaie de se déplacer. Je reste avec les deux tireurs Adam et Bergny et nous tirons: eux avec leurs FM, moi avec mon fusil afin de protéger la retraite des autres. Ils disparaissent dans l’angle mort, c’est à notre tour de faire marche arrière.

Nous battons en retraite quand je tombe moi même tête en avant, que s’est-il produit?

J’ai entendu un sifflement à mon oreille, ainsi que ressenti un choc, et celui ci, ainsi peut-être que le réflexe m’ont fait me précipiter au sol. Je me redresse, je ne sens rien, à notre retour nous sommes dans l’angle mort.

Nous reprenons un peu haleine et nous repartons. Hélas nos deux blessés deviennent presqu’impossibles à trainer car ils deviennent de plus en plus lourds d’autant plus que Conrad Antoine nous a abandonné, talonné vraisemblablement par la peur. Et les obus de tomber de tous côtés, ici commence un véritable calvaire, nous ne voulons pas abandonner nos blessés, nous les trainons en nous trainant nous mêmes, nous suons à n’y pas croire (il faisait ce jour là un soleil de plomb).

Enfin voici le canal, encore 150 mètres, courage et nous pourrons espérer être sauvés.

A ce moment, KREIMER, qui venait de se jeter au sol pour éviter les éclats d’obus, en reçoit un juste sur lui et est littéralement déchiqueté. Nous sommes à bout de force et complètement démoralisés, d’autant plus que BERGNY vient lui même d’être blessé à la poitrine, heureusement il continue à nous aider, moi même lors de l’éclatement de l’obus qui tua Kremer, j’eus le sang qui me passa par le nez, j’ai du sang plein le visage et sur ma capote, les mains pareilles d’avoir pris Conrad sous les jambes, celui ci ne nous aide plus, il supplie « J’ai mal, j’ai mal, laissez moi! »

Nous arrivons près de la maison de l’éclusier, il faut absolument laisser Conrad, nous ne pouvons songer à traverser l’écluse avec lui, et toujours ces maudits obus, cela s’intensifie encore semble-t-il!

Nous sommes à l’abri près de la maison lorsqu’une masse de moellons s’abat de celle-ci (qui était déjà à moitié démolie, suite des bombardements des jours précédents). Nous sommes couverts de gravats, nous nous relevons, arrivons à l’écluse, traversons la passerelle, et joignons le château, enfin saufs, nous entrons dans les caves et nous déposons Biasse au poste de secours, il sera évacué plus tard, il a une balle dans la poitrine. Biasse est soigné ainsi qu’ADAM qui a tout le côté labouré, mais ne veulent pas se laisser évacuer. La blessure de Bergny est bénigne, la poitrine est en sang mais ce n’est que superficiel.

Je demande ensuite la permission au Capitaine d’aller rechercher Conrad, il me l’accorde et me voici reparti, seul cette fois. J’atteins la rive gauche du canal, mais ne puis songer à le traverser, les obus continuent à tomber trop drus. Je fais retour en arrière et me réfugie auprès du groupe Villeneuve resté sur ses positions. Le bombardement se calme et je repars, mais arrivé à l’écluse je suis reçu à coups de mitrailleuse. Je me plaque au sol sur le côté de la vanne et je ne bouge plus.

Je suis resté ainsi près d’une demie heure, puis j’ai rampé sur la passerelle et je parvins enfin de l’autre côté où je retrouvais Conrad. Je l’ai trainé jusque l’écluse et le hissais sur la passerelle. Deux hommes vinrent à mon aide (du groupe Villeneuve) et reçurent Conrad dans leurs bras. J’avais réussi à lui faire traverser le canal, mais j’étais moi même à bout de forces.

Je repris haleine près de Villeneuve et je rejoins le château où je m’enquis de Conrad. Il avait la moitié du pied enlevé mais l’essentiel était qu’il ne soit pas resté aux mains de l’ennemi. Je descendis ensuite dans les caves où je retrouvais le reste de la section, ainsi que le Lieutenant Genay et le Capitaine, ceux-ci me serrèrent la main et le Capitaine me dit « C’est très bien Blary ».

Il ne fallait ce jour là pas songer à autre chose et nous passâmes le restant de l’après-midi dans le château. Le soir, le Capitaine fit appeler le Chef Carniaux et moi même et nous dit qu’il nous proposait pour une citation, le sergent Chef Carniaux pour avoir ramené Biasse et moi pour avoir dirigé le tir des FM et avoir sauvé Conrad. Il proposait également les deux tireurs Bergny et Adam. Par la même occasion, il demandait au Commandant Carette, commandant notre bataillon, d’essayer d’obtenir notre relève par ordre du Colonel Lambert, commandant la 1ère demie Brigade d’Afrique. En effet il ne l’avait pas obtenue du Colonel Becker commandant le 14ème RI, le Capitaine spécifiant sur sa note « Nous sommes épuisés mes hommes et moi, n’ayant pas dormi 20 heures depuis 7 jours ».

Cette journée avait été particulièrement pénible et il y avait de la casse. A notre section: 1 tué — 5 blessés. A la 1ère section qui avait attaqué à notre gauche 1 tué, le sergent DUQUESNE aide pharmacien du Havre, une balle dans la tête (son corps est resté dans les mains de l’ennemi) puis deux blessés dont un gravement DUNOYER un Marseillais, et le second CARCAGNE un autre méridional. A la 3ème section, un blessé, le sergent BEGUIN il avait un éclat d’obus dans les reins (Natif de Neuf Berquin).
Par conséquent pour cette seule journée 10 hommes hors de combat, où allons-nous à ce train!!

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