Le journal d’Henri — 5 juin 1940

Fabien Hénaut
3 min readOct 20, 2016

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Vers deux heures du matin, les projecteurs ennemis fouillent le ciel, puis nos adversaires lancent des fusées éclairantes, il nous faut rentrer dans nos tranchées pour éviter d’être repérés. Sitôt la fusée éteinte, le travail reprend. Puis d’autres fusées suivies du ta-ta-ta de plusieurs mitrailleuses, serions-nous repérés? Cela était la réalité, car peu d’instant après, l’artillerie tapait dans notre direction, il ne fallait plus songer à travailler. Heureusement là encore la tranchée était étroite et profonde et nous protégeait efficacement.

A un certain moment, la tranchée s’éboula ensevelissant Moutier et Olivier, un obus était tombé juste en avant du parapet. Il fallut dégager nos deux hommes, aucun n’était blessé, il n’y avait qu’Olivier qui n’avait pas l’air très d’aplomb, il semblait commotionné.

Il était impossible de travailler dans des conditions pareilles, aussi le lieutenant Fourrier décida de nous faire rentrer en un peu plus bonne heure.

Il y avait cependant un blessé, BUREL il avait reçu un éclat dans l’épaule et devait être évacué dans la matinée; Olivier à son tour disparaissait car il restait l’air hagard et semblait avoir éprouvé un choc cérébral.

Journée sans histoire, toujours ces énervants duels d’artillerie. Nous apprenions que les Allemands gagnaient du terrain, avaient enfoncé notre front de la Somme et se lançaient en direction de Rouen, leurs premiers éléments motorisés étaient parvenus à Forges les Eaux. Enfoncé également l’Aisne, l’ennemi atteignait l’Oise, cernait Compiègne et Beauvais. Quelle terrible situation et combien celle-ci serait difficile à rétablir.

Ce jour là au lieu de notre tranquillité relative que nous avions les jours précédents, il nous fallait trimer pour creuser des trous de FM. Nous commencions également à nous plaindre des ravitaillements. Celui-ci n’arrivait plus, toujours des conserves, en particulier des sardines du Maroc, et la ration en pain était également réduite à sa portion congrue. Quand au pinard, ou il n’y en avait pas, ou un seul quart par homme. Telle était la ration, cependant, nous avait on assez dit qu’en ligne nous avions droit à 1 litre par homme et par jour. A côté de cela, messieurs les officiers avaient chaque midi une bouteille de vin blanc, une bouteille de vin rouge et une bouteille de champagne. Or il n’étaient que trois, le lieutenant Genay ayant été évacué suite à une crise d’appendicite. Ce qui nous mettait en colère est qu’ils affichaient cela sans pudeur alors que nous endurions des privations.
Le ravitaillement venait pour eux, pourquoi pas pour nous?

Au cours de ce jour, quelques tirs de part et d’autre, puis l’heure du départ arrive et en route pour nos travaux. L’ennemi devait connaître l’heure de notre départ ainsi que le trajet que nous suivions car ce soir là encore, à peine en route, voilà que l’artillerie tape de nouveau. Le lieutenant Carle qui nous conduisait ce soir là décide de changer de chemin, mais cela ne valait guère mieux, là aussi tir d’interdiction. Il nous fait arrêter en attendant que le tir cesse.

Or j’avais la diarrhée depuis quarante huit heures et j’en profitais pour me soulager. Pour cela je m’étais écarté d’une vingtaine de mètres. Tout à coup un obus éclate à une trentaine de mètres de moi, et je n’ai que le temps de me précipiter en avant (le postérieur en l’air et nu) afin d’éviter les éclats. J’étais à peine relevé qu’un autre éclate un peu plus près, même mouvement en avant, mais cela avait coupé ma diarrhée. Je ramassais précipitamment mes équipements et rejoignais ma section.

Impossible de sortir du coin où nous étions, nous attendîmes près d’une heure et en désespoir de cause, le Lt choisit un autre chemin, là encore impossible de progresser. Point n’était besoin d’insister, il ne restait qu’à faire marche arrière pour ne pas continuer à nous exposer au feu. Ce que nous fîmes, si bien qu’à une heure du matin nous étions de retour.

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