Don de sang chez les personnes trans au Canada
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La Société canadienne du sang a récemment annoncé que, outre sa nouvelle politique pour les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, une nouvelle politique portant sur les personnes trans entrerait en vigueur le 15 août 2016. Héma-Québec, vraisemblablement, marchera sur ses traces.
La légalité de cette nouvelle politique est incertaine, la loi tant fédérale que provinciale prohibant la discrimination envers les personnes trans.
Sous cette politique, les personnes trans seront catégorisées comme hommes ou femmes selon les parties génitales qu’ils ou elles ont. Ainsi, les femmes trans n’ayant pas eu de chirurgies génitales sont considérées être des hommes, alors que les hommes trans n’ayant pas eu de chirurgies génitales sont considérés être des femmes. Les personnes non-binaires se voient catégorisées d’une façon similaire. Cette politique ne trouve pas support dans les statistiques de séroprévalence chez les personnes trans, et contribue à la marginalisation d’une population déjà très vulnérable.
Je commencerai par mentionner que les personnes trans font partie de groupes plus à risque au niveau du VIH. La séroprévalence chez les personnes trans est beaucoup plus haute que la moyenne. Or, la nouvelle politique de la Société canadienne du sang ne semble pas s’intéresser à la séroprévalence dans les communautés trans : les femmes trans ayant eu une vaginoplastie ne sont pas classifiées comme étant à risque, alors qu’elles l’étaient immédiatement avant cette intervention chirurgicale. De plus, si les hommes trans gais et bisexuels sont aussi à risque, cette politique les imagine comme femmes et donc non à risque, s’inscrivant dans une longue tradition d’invisibilisation des hommes trans dans les politiques et études sur le VIH, souvent au détriment de ces ceux-ci.
Autre conséquence, les hommes hétérosexuels ne pourront pas faire de don de sang s’ils sont sexuellement actifs avec des femmes trans. Le message de la politique semble donc être qu’une grande portion des femmes trans ne sont pas réellement des femmes, ni les hommes trans des hommes. Ce message est non seulement faux, mais extrêmement dangereux compte tenu de la justification de la « panique trans » encore trop souvent utilisée pour justifier la violence envers les femmes trans. Cette « panique trans » a pour logique sous-jacente précisément celle communiquée par le système mis en place par la Société canadienne du sang.
La nouvelle politique envers les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes a été fortement critiquée, et je me joins à d’autres en demandant l’abolition du délai de 1 an qui est au centre de la politique. Néanmoins, si nous admettions qu’il pourrait être louable pour la Société canadienne du sang d’établir des politiques en se basant sur la prévalence du VIH dans une population, il serait compréhensible que les personnes trans fassent l’objet d’une politique particulière. Toutefois, cette politique devrait être basée sur des statistiques détaillées, et être écrite à la lumière des réalités trans.
Les femmes trans sont des femmes, et non des hommes. Les hommes trans sont des hommes, et non des femmes. Les personnes non-binaires ne sont ni l’un, ni l’autre. Il est déplorable que ça doit encore être répété. C’est un fait qui a une incidence sur les comportement sexuels des personnes trans et de leurs partenaires, et sur la séroprévalence chez les personnes trans. Une politique judicieuse prendrait en compte ces facteurs, ainsi que la panoplie d’autres facteurs pertinents, comme le besoin d’aiguilles stériles pour l’injection d’hormones. La pertinence des parties génitales sur le taux de VIH devra être réévaluée.
Sans suggérer une liste exhaustive de critères pertinents, il demeure essentiel d’établir une politique qui prend suffisamment compte de la réalité. Cette politique doit être établie sur la base des expériences des personnes trans, et des meilleures données scientifiques possibles. Elle doit s’intéresser à la situation factuelle des personnes trans, sans nous réduire à des catégories simplistes et inadéquates qui relèvent plus du stéréotype que de la raison. La création de catégories spécifiques pour les femmes trans, hommes trans, et personnes non-binaires serait un bon départ.
La Société canadienne du sang est une institution phare au Canada, et son exemple a une incidence indéniable sur les autres institutions, dont notamment Héma-Québec. Il est crucial qu’elle promulgue une politique qui est respectueuse des personnes trans, et qu’elle évite de véhiculer des notions qui sous-tendent la discrimination envers les personnes trans. Nous ne sommes pas définies par nos organes génitaux. Il est temps pour nos institutions de le reconnaître.
Une version tronquée de ce texte fut publiée le 17 août 2016 dans le journal Métro de Montréal.