La fabrication de l’indignation

Florence Ashley
6 min readApr 13, 2018

--

Dans une lettre publiée hier dans La Presse, intitulée « La fabrication du consentement », Nadia El-Mabrouk dénonce les changements apportés par nos gouvernements pour s’adapter aux réalités des personnes trans qui, selon elle, relèverait d’un abandon du sens commun. Or, ses arguments tombent dès lors qu’on replace ces changements dans leur contexte: aucun de ces changements n’a été facile, et si certains semblent avoir été rapides, c’est qu’on efface les décennies de débats et de recherches scientifiques qui les ont précédé.

Service Canada

De beaux gants unisexes

Selon leurs nouvelles directives, les employé·e·s de Service Canada devront maintenant demander à leur clientèle si elle préfère le titre monsieur ou madame. Si cette nouvelle en a surpris certain.e.s, elle n’a rien de rapide: c’est en effet une plainte au Tribunal des droits de la personne en 2012 qui a porté le gouvernement à se questionner sur ses pratiques. C’est dans le but d’éviter de se fier aux stéréotypes de genre que la nouvelle pratique a été suggérée après six ans de discussions et questionnements. Qui plus est, cette pratique fait une grande différence pour ceux et celles que ça concerne et… aucune différence visible pour les autres!

Le sport féminin

Le spectre de la “dominance trans” du sport féminin est aussi mentionné par Mme El-Mabrouk. Cette inclusion n’a pas été soudaine, non plus. Un premier jet a été donné avec le consensus de Stockholm en 2003. Selon l’opinion du comité médical du Comité olympique international, confirmée depuis, l’hormonothérapie élimine l’avantage qu’auraient autrement les femmes trans. Selon une revue de l’état de la science publiée en 2017, aucune preuve d’un quelconque avantage n’existe une fois l’hormonothérapie initiée.

Les enfants trans

Si l’adoption du projet de loi 103 a paru rapide, les discussions avaient plutôt débuté en 2012 avec le projet de loi 35. Le mémoire de l’Ordre des psychologues mentionnait la nécessité d’effectuer davantage de recherches, certes — et elles se font, notamment à l’UdeM et à l’UQAM, mais aussi ailleurs au Canada.

Nadia El-Mabrouk tente d’attirer l’indignation populaire en soulevant que le changement de mention de sexe pourrait entraîner des changements médicaux précipités. Il n’en est rien. Les changements légaux n’ont pas préséance sur la bonne pratique scientifique. De plus, le changement devant inclure une lettre de professionnèles de la santé, les thérapeutes sont directement impliqué·e·s dans le processus. Pour ce qui est des changements irréversibles, aucun de ceux-ci n’arrivent avant l’hormonothérapie, les bloqueurs d’hormones étant sécuritaires et réversibles. Lorsque les changements irréversibles sont indiqués, suite aux bloqueurs d’hormones, l’identité de genre est déjà très stable, tel que le démontrent les études sur le sujet.

La santé mentale

Que dire sur la suicidalité chez les personnes trans sinon que l’impact positif de la transition sociale et médicale est plus que prouvé? Une transition médicale, chez les personnes trans la désirant, réduirait de 44% les idéations suicidaires et de 69% les tentatives de suicide, selon l’étude ontarienne TransPULSE. Pour ce qui est des processus médicaux hormonaux ou chirurgicaux, une revue de toutes les études sur le sujet démontre amplement leurs avantages: 93% des études ont démontré un apport bénéfique, 7% n’ont pu démontrer un impact suffisant, et aucune n’a démontré d’apport négatif.

Quelle témérité?

L’opinion de Nadia El-Mabrouk déforme l’état de la science et des avancées politiques pour promouvoir son propre agenda anti-trans. Pour les spécialistes du sujet, la science est univoque, et ce n’est qu’en sortant de sa zone d’expertise que la professeure d’informatique peut qualifier la situation de “téméraire”.

Ce mythe de la témérité n’est pas nouveau. Il y a quelques mois, c’était dans Le Soleil. Il y a quelques semaines, c’était dans le Globe and Mail qu’on pouvait le voir. Répétons ce qui a déjà été souligné dans un article signé par d’éminent·e·s scientifiques et thérapeutes canadien·ne·s: les enfants trans sont entre bonnes mains. Les thérapeutes n’agissent pas hâtivement dans l’ignorance des preuves scientifiques. Au contraire, leur approche est fondée sur des décennies de recherches et de suivi d’enfants trans.

La même chose pourrait être dite des changements sociaux, qui ne viennent qu’après de difficiles débats avec nos institutions politiques, réticentes au changement. Les dires de Nadia El-Mabrouk, sous cette loupe, ne sont que pure fiction. Nous nous attendons à plus de rigueur et d’éthique de la part de nos universitaires.

Publié dans La Presse le 13 avril 2018.

Signataires organisationnels:

  1. AlterHéros
  2. Aide aux trans du Québec
  3. Camp rock pour filles et jeunes de genre non-conforme Montréal — Rock Camp for Girls and Gender Nonconforming Youth Montreal
  4. Centre de lutte contre l’oppression des genres
  5. Coalition des familles LGBT
  6. Coalition montréalaise des groupes jeunesse LGBT
  7. Comité LGBT du Conseil central Montréal métropolitain CSN
  8. Conseil québécois LGBT
  9. Enfants Transgenres Canada/Gender Creative Kids
  10. Euphorie dans le genre/Fierté trans
  11. Fierté Montréal
  12. Fondation émergence
  13. Groupe d’Action Trans de l’Université de Montréal.
  14. Head & Hands/À Deux Mains
  15. ID-Est: Association LGBTQIA2S+ de l’Université du Québec à Rimouski
  16. Jeunesse Lambda
  17. L’Alternative : le regroupement pour la diversité de sexe et de genre de l’Université de Montréal
  18. L’Intersection : Pour un campus féministe et anti-oppressif à l’Université de Montréal.
  19. Projet 10/Project 10
  20. Student Society of McGill University / Association Étudiante de L’Université de McGill

Signataires individuel·le·s:

  1. Maria Arcobelli Sacco, Human Relations B.A., PFLAG Montreal
  2. Hélio B., Coordonnateuxe et porte-parole, Groupe d’Action Trans de l’Université de Montréal
  3. Alexandre Baril, Ph.D., Professeur, École de service social, Université d’Ottawa
  4. Julie-Maude Beauchesne, Candidate au Doctorat en Politique et Histoire internationale, Université de Montréal
  5. Carl-Vincent Boucher, Coordonnateur, L’Intersection
  6. Connie Chabot, Présidente, Enfants transgenres Canada/Gender Creative Kids
  7. Line Chamberland, Titulaire de la Chaire de recherche sur l’homophobie, UQAM
  8. Éloïse Choquette, architecte; Vice-président.e, Camp rock pour filles et jeunes de genre non-conforme de Montréal
  9. Élyanne Coursol-Dion, Coordonnatrice administrative, Jeunesse Lambda
  10. Mathé-Manuel Daigneault, FTM Info
  11. Sarah Desbiens, étudiante en travail social, Université du Québec à Montréal
  12. Marie-Philippe Drouin, agent·e de projet L’Astérisk, Coalition montréalaise des groupes jeunesse LGBT
  13. Claire Duclos, Présidente, L’Alternative
  14. Marie-Édith D. Vigneau, B.A. sexologie, directrice générale, AlterHéros, présidente, Coalition montréalaise des groupes jeunesse LGBT
  15. Andrée-Ann Frappier, M. Sc., Coordonnatrice, Enfants transgenres Canada/Gender Creative Kids
  16. Raphaële Frigon, BFA, Euphorie dans le genre
  17. Shuvo Ghosh, MD, Co-Directeur, Centre de santé Meraki/Département de pédiatrie, Centre universitaire de santé McGill
  18. Maxime Gosselin, Vice-président, Jeunesse Lambda
  19. Mona Greenbaum, Directrice, Coalition des familles LGBT
  20. Taharima Habib, M.Sc. Microbiologie et Infectiologie; Présidente, Camp rock pour filles et jeunes de genre non-conforme de Montréal; Coordonnatrice, Westhaven-Elmhurst Community Recreation Association
  21. Karine-Myrgianie Jean-François, travailleuse communautaire et membre du CA de Projet 10
  22. Arisha Khan, admin, À deux Mains/Head & Hands, Vice-présidence, Youth in Care Canada/ Jeunes pris en charge Canada
  23. Kimberley Manning, Principal, Simone de Beauvoir Institute, Concordia University
  24. James McKye, ASTTeQ (Action Santé Travesti·e·s et Transsexuel·le·s du Québec)
  25. Denise Medico, Ph.D., Professeure, Département de sexologie, Université du Québec à Montréal, psychologue et sexologue.
  26. Abbygaelle Noll, administratrice, Jeunesse Lambda
    Guillaume Perrier, Coordonnateur à l’intervention pour AlterHéros
  27. Annie Pullen Sansfaçon, Ph.D. Professeure, École de travail social, Université de Montréal
  28. Marjorie A. Rabiau, Ph.D., Professeure adjointe, École de travail social, Université McGill
  29. Jean-Sébastien Sauvé, LL.D., LL.B., avocat
  30. Annie Savage, Directrice, Coalition montréalaise des groupes jeunesse LGBT
  31. Maria Scolack, M. Ed., Coordonnatrice clinique, Centre de santé Meraki
  32. Max Silverman, Avocat et Superviseur juridique de la Clinique juridique trans de Montréal
  33. Devon Simpson, M. SW.
  34. Mylène St Pierre, BA. Sexologie,
  35. Françoise Susset, D. Ps., psychologue et thérapeute conjugale et familiale
  36. Dalia Tourki, M.A., Défense de droit trans et éducation publique, Le Centre de Lutte contre l’Oppression des Genres
  37. Edward Lee, Ph.D. Professeur adjoint, École de travail social, Université de Montréal
  38. Elisabeth Gill, B.A. Philosophie, admin, À deux mains
  39. Charles-Olivier Basile, MDCM, Médecin de famille
  40. Shanice Yarde, Equity Educational Advisor at McGill University and Board Member of Head & Hands
  41. Yuan Stevens, Présidente, Conseil d’administration, À Deux Mains / Head & Hands, B.C.L / LL.B, L’Université McGill

--

--

Florence Ashley

Transfeminine jurist, bioethicist, and professor at the University of Alberta. https://www.florenceashley.com/