Traitement du bois : ces cancérogènes que vous ne soupçonnez pas

Olivier François
6 min readJul 4, 2018

Dans l’industrie du bois, la construction est très gourmande de produits chimiques peu recommandables. Que ce soit pour les ouvriers ou pour les habitants, les risques existent. Coup de projecteur sur deux faux-amis de la santé publique : les insecticides et les fongicides.

C’est une lapalissade : le bois est un matériau vivant. Pour garantir sa pérennité dans le secteur de la construction, l’industrie du bois a logiquement recours à plusieurs familles de produits chimiques. Les deux dangers principaux sont l’humidité, et donc les champignons qui vont avec, et les insectes xylophages. Les traitements préventifs utilisés, en usine ou par vous-mêmes, sont appliqués sur du bois sain. Toutes les pièces doivent subir le même traitement, par aspersion, pulvérisation, trempage ou en autoclave (haute pression) : pièces de charpente, panneaux, marches, poteaux, lambris, éléments de fondation, parois extérieures surtout en cas de forte exposition à l’humidité. Ces traitements — valables dix ans — varient également d’une région à l’autre, en fonction des cartes d’infestation des termites définies par les préfectures. Seulement voilà, une fois appliqués, les agents fongicides et insecticides perdurent dans le bois tant qu’ils n’ont pas été actifs, et peuvent contaminer l’air ambiant. De nombreux acteurs dénoncent aujourd’hui ces procédés, parmi lesquels la virulente BWI (Internationale des ouvriers du bâtiment et du bois): « Un grand nombre d’insecticides utilisés pour traiter le bois et empêcher qu’il soit infesté par les insectes et les champignons, contiennent des métaux comme le cuivre, le chrome et l’arsenic. D’autres composants comme le lindane, le pentachlorophénol ou l’oxyde de tributylétain peuvent causer le cancer. » Explications.

Les fongicides, tueurs de l’infiniment petit

Ils sont incontournables pour le traitement du bois, comme pour tout matériau organique non vivant (cuir, tissu…). Leur rôle est simple : détruire ou inhiber la croissance de champignons microscopiques. Ils sont principalement utilisés dans trois secteurs de l’activité humaine : l’agriculture, la construction et la médecine. Leur utilisation la plus connue cible le domaine agricole. Ils permettent alors d’éradiquer des micro-organismes responsables de maladies comme la fusariose, la moniliose, la septoriose ou la sclérotiniose, évitant ainsi des pertes considérables dans les récoltes.

Dans les constructions en bois, les champignons se développent en fonction du taux d’humidité ambiant et peuvent entraîner des pourritures fibreuses ou des moisissures de surface. Ces champignons lignivores — polypores, lenzites, mérules, coniophores des caves… — peuvent alors s’attaquer aux structures et fondations en bois, en dégradant fortement les fonctions mécaniques. Le seul remède : l’utilisation de fongicides. Mais ces derniers ne sont pas sans danger pour l’homme. « En France, près de 800000 salariés sont exposés aux dangers des fongicides dans leur activité professionnelle », estime le ministère de la Santé. Parmi eux, les ouvriers du bâtiment, tels que les agents des services de salubrité, les peintres utilisant des produits à base de propriconazole, les techniciens en traitement préventif ou curatif, les techniciens hygiénistes, etc. Dans le domaine de la construction, c’est donc lors de la phase d’application ou de pulvérisation des fongicides que les risques de contamination sont les plus élevés pour l’homme. Malheureusement, ces risques ont été trop longtemps sous-estimés.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a d’ailleurs pointé du doigt certaines molécules coupables de troubles aigus sur la santé humaine, parfois cancérigène. Celles-ci peuvent être responsables de crises hépato-digestives, de troubles ophtalmologiques ou respiratoires, de troubles neurologiques ou des fonctions reproductives. Ces troubles et intoxications varient en fonction de la durée et de la répétition de l’exposition aux produits utilisés. Et la liste de ces produits est aussi longue que sibylline pour le commun des mortels. Sur le banc des accusés se retrouvent des agents comme tous les dérivés du benzimidazole ou ceux des dithiocarbamates. Certains sont déclarés cancérogènes comme le mancozèbe, le tébuconazole ou le captafol (interdit aux Etats-Unis depuis 1987), d’autres sont classés comme perturbateurs endocriniens comme le bénomyl. Les fongicides regroupent également d’autres familles chimiques comme les ammoniums quaternaires, les acides peracétiques, les aldéhydes, des agents chlorés oxydants entraînant des dysfonctionnements thyroïdiens…

Légalement, les entreprises de construction en France communiquent ces informations à leurs employés à travers le DUS (Document unique de sécurité) et les FDS (Fiches de données de sécurité). Ces documents comprennent toutes les indications toxicologiques et les conditions d’utilisation des fongicides employés pour les constructions en bois nouvelles ou pour la rénovation de structures existantes.

Les insecticides, tueurs à grande échelle

Si les agents chimiques antifongiques sont particulièrement toxiques — jusqu’à être cancérogènes pour certains d’entre eux –, les insecticides sont encore plus dangereux. Ces derniers peuvent être à l’origine d’un plus grand spectre de maladies graves, nerveuses, cardio-vasculaires, musculaires, respiratoires ou digestives. Les cas les plus graves peuvent prendre la forme de maladies neurodégénératives, de malformations fœtales et de cancers.

Pourtant, les insecticides sont partout. Ils sont massivement admis dans l’industrie agro-alimentaire, dans le textile et dans l’industrie du bois. Là aussi, leur rôle est d’éradiquer les organismes coupables de la dégradation des matériaux. Comme pour les fongicides, les insecticides de synthèse sont constitués d’agents chimiques aux noms savants : les organophosphorés, les organochlorés et les carbamates, encore eux, mais aussi les pyréthrinoïdes, les néonicotinoïdes, les benzoylurés, les phénylpyrazoles ou encore les dérivés de l’arsenic. Et la liste n’est pas terminée.

Leur emploi représente surtout un véritable fléau. Ils sont responsables d’intoxications aigues (cutanées, respiratoires, nerveuses…). Les insecticides — visant acariens et myriapodes — comme les carbamates et les organophosphorés constituent de puissants agents neurotoxiques, autant pour les hommes que pour les animaux domestiques. Dans le secteur de la construction en bois, les ouvriers sont particulièrement exposés aux traitements préventifs et curatifs des pièces de charpente, quels que soient les insectes xylophages visés (termites, lyctus, vrillettes…). La contamination peut alors se faire par trois voies : orale, respiratoire ou muqueuse. Mais outre la phase de fabrication, une autre contamination peut s’opérer plus tard, celle des habitants, à cause des COV (composants organiques volatiles).

Normes et certifications

L’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) ne prend d’ailleurs pas de pincettes sur le sujet : « La plupart des substances chimiques utilisées composant les produits de traitement du bois sont dangereuses pour la santé. Les expositions importantes peuvent conduire à des intoxications aigues graves, les expositions chroniques — même à de faibles niveaux — peuvent entraîner des maladies. » La France s’est donc dotée de plusieurs garde-fous pour éradiquer l’utilisation de certains produits dans le secteur de la construction en bois. L’utilisation de fongicides et d’insecticides n’est possible — depuis 2014 — que par des ouvriers détenteurs du certificat individuel Certiphyto (valable dix ans). Les industriels, eux, se sont pliés à de nombreuses normes, parmi lesquelles la certification CTB-B+. Celle-ci sanctionne leur plan de qualité pour le traitement des bois. Les contrôles sur site sont fréquents, les échantillons de bois traités sont alors analysés en laboratoire pour vérifier que les exigences de pénétration et de rétention respectent bel et bien les normes NF B50–105–3. En vigueur en France depuis 2004 et dans toute l’Union européenne depuis 2008, ces normes de qualité ne concernent malheureusement pas les bois importés, d’Europe de l’Est ou de Russie. Certains bois utilisés sur le marché français sont encore traités par des sels métalliques contenant du cuivre, du chrome, de l’arsenic et des ammoniums quaternaires.

Votée en 2017 en France, une nouvelle réglementation casse les préjugés (positifs) concernant les constructions en bois. La norme RBR2020 (Réglementation bâtiment responsable) espère imposer au secteur du bâtiment une obligation de sobriété dans les matériaux, en particulier sur la qualité de l’air. Cette nouvelle réflexion suit celle de l’agence américaine EPA (Agence pour la protection de l’environnement) et de l’OMS qui pointent du doigt le bois de construction, trop traité, et émettant tout au long de sa vie des COV. « Le traitement du bois (ignifuge, insecticide et fongicide) peut émettre des COV comme le formaldéhyde, une substance allergène et cancérigène », renchérit le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Le bois de construction n’est donc pas forcément le bon ami que l’on imagine…

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