Accélérer les entreprises via un nouveau système de production modulaire et scalable

juliendreher
Ground
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9 min readSep 4, 2016

La plupart des grandes entreprises ont construit leur système de production sur un modèle daté d’avant la transformation digitale.

“Le Système de production”, qui est la capacité à produire d’une entreprise, est sans doute l’enjeu majeur de la nécessaire transition exigée par la révolution des usages que nous sommes en train de vivre.

Comment le faire évoluer ou même le changer radicalement pour le remplacer par un autre, un système basé sur un nouveau paradigme ? Choisissons nos batailles, c’est cet enjeu qui face à tous les autres, s’impose comme le défi majeur et décisif à relever.

Un système de production regroupe l’ensemble des règles explicites ou non-explicites qui structurent la production d’idées, de conception, d’expérience, de produits, de services, au sein d’une organisation.

Un système de production dans une entreprise est un ensemble de processus “d’addition de valeur à des biens ou à des services qui répondent à des objectifs de quantité, de prix, de qualité et de délai”.

Selon la nature et les marchés, les systèmes de production sont la résultante d’une ingénierie de méthodes plus ou moins complexes et plus ou moins prégnantes/contraignantes au sein de l’organisation.

Aujourd’hui, le système de production dans la plupart des entreprises tertiaires qui ont grandi avant la révolution digitale, est structuré sur la valeur et l’expertise métier, sur l’autorité hiérarchique et, par conséquent, sur un fonctionnement pyramidal et siloté. D’ailleurs, souvent, font exception les entreprises d’industries de fabrication qui ont basculé en partie sur le paradigme « Toyota » de Lean Manufacturing depuis parfois plusieurs décennies.

Pour les autres, et notamment pour les industries ou métiers “Tertiaire”, la principale conséquence, et aussi leur principal handicap, c’est l’éloignement des concepteurs vis à vis des clients ou utilisateurs, ce qui engendre une forte méconnaissance qualitative et empathique de ces derniers. Les services se contentent souvent de suivre leurs clients par des études quantitatives

Dans ce contexte, beaucoup d’énergie est dépensée pour aligner l’ensemble des métiers et cadrer les projets, forcément adhérents les uns aux autres. Cette inertie et ce manque de vélocité provoquent des gaspillages et devient un handicap majeur pour tirer son épingle du jeu et aujourd’hui, faire face aux nouveaux entrants qui peuvent faire valoir leur agilité et leur efficacité dans leur démarche d’innovation et de test de nouvelles valeurs sur les marchés.

La révolution digitale au coeur du changement

La révolution digitale a imposé un nouveau paradigme basé sur le pouvoir sans borne des utilisateurs. Le phénomène de désintermédiation, permettant aux utilisateurs de s’autonomiser des institutions traditionnelles, la dynamique d’empowerment offrant de nouvelles capacités aux utilisateurs, consommateurs, salariés, citoyens, etc, ou la forte de baisse du coût d’entrée sur les marchés, permettant une multiplication des offres de services et de produits, tous ces mécanismes renforcent de manière exponentielle le pouvoir des utilisateurs et sont les principaux ingrédients de la constitution d’une nouvelle civilisation.

Les entreprises nées après la révolution digitale (souvent les startups), et qui ont intégré ce changement de paradigme ont su mettre en place un système de production ad hoc (car mis en place ex nihilo), structuré et construit la valeur au plus proche du client, de l’utilisateur, grâce à des processus centrés sur le travail collaboratif des métiers et le management autonome permettant de prendre les décisions au plus près des besoins et surtout dans les délais les plus brefs. Ces systèmes de production intègrent également nativement une dimension puissante : la prise en compte de l’échec et la réduction de l’incertitude via des boucles itératives d’apprentissage et d’amélioration continue.

Ce système agile, repose sur une logique itérative permettant de construire la qualité et d’atteindre la pertinence progressivement, en améliorant sans cesse leur produits, leurs méthodes et les compétences de leurs équipes. De plus, ces systèmes sont véritablement distribués avec une forte autonomie des équipes, ce qui provoque une forte accélération dans la capacité de conception, de production et d’amélioration continue.

Ces systèmes de production peuvent-ils évoluer ?

Une des caractéristiques majeures de ces systèmes est qu’ils renferment toute la culture de l’entreprise et souvent au plus profond des ses racines. Les systèmes de production fonctionnent comme des systèmes immunitaires en apprenant à se défendre des “agressions” extérieures.

Le problème pour les « anciennes » entreprises qui voudraient réaliser la transformation de leur organisation est qu’elles rencontrent de grandes difficultés car elles hésitent sur les angles à trouver : faire évoluer l’offre, adopter de nouvelles méthodes, changer la culture des équipes, etc. Elles essaient en général de réaliser leur transition par l’ensemble de ces angles d’attaque, mais rencontrent bien souvent un certain découragement quand elles font le bilan entre l’énergie dépensée (et les budgets investis) et le retour sur investissement de ces différentes démarches. Elles lancent de nouveaux produits, et testent de nouvelles méthodes, organisent des formations, mobilisent leurs troupes via des programmes de conférences ou de learning expedition, mais n’observent que peu de changement de leur système de production qui semblent, tel un objet à mémoire de forme, retrouver sa structure presque initiale malgré les tentatives de changement.

Le système de production est la clé de tout. Véloce et favorable à l’innovation, il peut vous permettre de canaliser toutes les énergies créatrices pour créer de la valeur pour votre organisation, mais il peut également “tuer” votre entreprise en générant gaspillage, inertie et résistances fortes aux changements.

Le problème est simple : si vous voulez adapter votre entreprise aux chaînes de valeur du nouveau monde numérique, vous devez changer de système de production pour adopter la culture de travail et les règles mises en place dans les nouvelles entreprises.

Les entreprises ont du mal à se débarrasser de leur système de production qu’elles ont construit et consolidé au fil des ans. Malheureusement, toute tentative de le remplacer par un nouveau système concurrent est voué à l’échec tout simplement car, comme son nom l’indique, il est.. systémique. Si vous voulez le changer, a fortiori pour un autre système basé sur un nouveau paradigme et une culture de travail opposée, vous buterez forcément sur un mur difficilement franchissable. Un système de production prend du temps pour être installé car son déploiement est long. Il suppose d’embarquer, de former et d’acculturer toutes les équipes concernées.

Les initiatives de transformation ou de transition digitale n’ont malheureusement pas vocation à changer le système, ou du moins, elles ne s’en donnent pas les moyens. Tous Learning expedition, ateliers d’open innovation, hackatons, conférences, formations ne seront que des coups d’épées dans l’eau et ne feront pas vaciller l’organisation si elle n’a pas de nouveau système de production explicite à proposer à la place. D’ailleurs, bien souvent, après une démarche de “transformation digitale” intégrant ce type d’actions, la principale conséquence c’est le découragement (et le départ) des personnes les plus “agiles“” et les plus motivées, car elles se rendent compte que le système est trop résistant et que les actions menées (et l’énergie dépensée) n’ont eu que peu d’incidence sur l’organisation. C’est le fameux “transformation blues” dont certains parlent aujourd’hui…

Malheureusement, il est très compliqué de faire cohabiter 2 systèmes de production concurrents (a fortiori aussi différents).

Changer de système de production, 2 scénarios possibles

Il existe donc 2 voies de transformation possible. La première est évidente et a été très bien théorisée, expliquée, testée par beaucoup. Elle consiste à créer une nouvelle unité à part, ou à racheter une startup, et à la faire grandir à l’abri de la maison mère, lui permettant ainsi de se construire un système adapté et moderne. Cette option est maligne car elle permet de s’affranchir du poids de l’histoire et des structures pour construire à l’instar des startups des organisations “from scratch”.

Cependant, elle comporte 2 limites : d’abord elle peut envoyer des signaux négatifs auprès de la maison mère qui pourrait mal accepter de devoir délaisser des projets innovants pour les incuber dans des structures annexes. En effet, et paradoxalement, la majorité des équipes qui compose ces entreprises ont conscience de la nécessité de changer, et ont envie de ce changement. Ils sont les premiers à se rendre compte de l’inertie et des absurdités d’un système qui génère autant de gaspillage et qui gâche autant de valeurs et d’énergie, et voient d’un oeil envieux la dynamique des startups. Malheureusement, elles sont également prises dans ce système, son mode de rétribution, ses enjeux de pouvoir, ses mécanismes d’encadrement, et n’imaginent pas comment en sortir, ni comment le remplacer par un autre, n’ayant en général connu qu’un seul type de fonctionnement dans leur carrière. Cette “dissonance cognitive” (au sens des travaux en psychologie sociale) va renforcer l’inertie et au final ne laissera comme choix aux équipes que de renforcer leur système, celui qu’elles connaissent et qu’elles méprisent, en adoptant une attitude peu accueillante envers les projets annexes (forcément concurrents).

Sur ces mécanismes souvent paradoxaux au premier abord, il sera toujours utile de lire l’ouvrage de référence « l’échec d’une prophétie » de Leon Festinger, terrain de recherche et d’expérimentation à la base d’une des théories de la « dissonance cognitive », dans lequel les chercheurs observeront dans une secte, la réaction des fidèles quand ils apprendront l’échec d’une prophétie apocalyptique. Alors que le bon sens rationnel voudrait que cette nouvelle décrédibilise l’organisation et remette les fidèles dans le droit chemin (en sortant de cette dernière), la réaction est inverse et, au contraire, la nouvelle de l’échec renforcera durablement l’attachement à l’organisation et à ses principes.

Sur ces mécanismes de psychologie sociale, lire (ou relire) aussi la Fable de la Fontaine Le Renard et les Raisins dans laquelle le goupil pourtant affamé se persuadera que les raisins « inatteignables » ne valent finalement et sûrement pas la peine d’être mangés. Cette fable relève, avec beaucoup d’esprit, le dédain, voire le rejet, feints bien trop souvent quand nous ressentons une frustration générée par une situation qui nous dépasse.

L’autre limite, est que, finalement, vous ne faites que repousser l’échéance en remettant sine die le défi de l’intégration du projet innovant dans la maison mère. Ce risque est considérable car les cultures et les systèmes seront tellement aux antipodes l’un de l’autre que l’intégration sera quasiment impossible. Vous vous condamnez donc à ne pas changer votre organisation historique, en espérant que la startup devienne une licorne.. stratégie plutôt audacieuse, mais fortement risquée.

La deuxième voie de transformation est plus rare, mais il me semble qu’elle est assez peu explicitée et illustrée dans des cas d’études et d’expérimentation, probablement car elle est plus longue à mettre en place et que nous avons encore peu de recul sur ce type de démarches. Par ailleurs, cette démarche plus latente se doit d’adopter une attitude faite d’humilité et d’empathie, plutôt incompatible avec une publicité ou une communication fortes des dirigeants, au moins en externe.

Cette deuxième voie est de proposer et d’intégrer un nouveau système de production concurrent, colocalisé, coexistant, pour ne pas dire complémentaire qui viendra progressivement grignoter et remplacer le système de production actuel et construire une nouvelle culture de travail basée sur les nouveaux paradigmes issus de la révolution digitale.

Pour ce faire, il faut que ce nouveau système de production comporte 4 caractéristiques indispensables :

1) Evidemment il faut qu’il soit construit sur le nouveau paradigme issu de la révolution digitale et qu’il mette au coeur de son fonctionnement l’utilisateur, le travail collaboratif et itératif, et l’autonomie des équipes, bref qu’il soit conçu sur la base d’un “flux tiré” par les utilisateurs, et non un “flux poussé” par la hiérarchie.

2) Il est impératif que ce système puisse être déployé et qu’il fonctionne également sur un périmètre mineur, voir marginal de l’organisation afin de trouver une porte d’entrée « minimum » dans l’organisation. Il faut que cela soit un “System Minimum Viable”

3) Il est également nécessaire que ce cadre de travail puisse être scalable pour se diffuser progressivement et de manière incrémentale dans l’organisation.

4) Enfin, il faut que ce système puisse être adopté et plébiscité par ses utilisateurs afin de faire reposer l’essaimage et la passage à l’échelle de pair à pair via les réseaux et les communautés internes dans l’entreprise.

Le dernier point invite à se poser une question légitime : pourquoi le nouveau système concurrent l’emportera progressivement sur l’ancien, et finira par le disrupter. Tout simplement, et c’est une loi d’airain dans la nouvelle économie, le concurrent qui propose la meilleure expérience utilisateur finit toujours par emporter la mise sur un marché. Si demain, un nouveau cadre de travail propose une expérience utilisateur offrant autonomie, efficacité, dynamique collaborative et une forte création de valeur, les équipes le plébisciteront naturellement et l’imposeront progressivement sur les anciennes structures internes. Le salarié-utilisateur sera le premier bénéficiaire de cette nouvelle expérience et il aura tout intérêt à le recommander à ses collègues et cette puissance de la recommandation sera un des moteurs de diffusion de la nouvelle culture de travail défini explicitement ou perçu implicitement dans le nouveau système de production. L’ancien système sera vite dévalorisé et obsolète, et sera délaissé progressivement même par ses principaux défenseurs.

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