La conception de nouvelles expériences utilisateurs est un enjeu collectif d’organisation et de culture de travail

juliendreher
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9 min readJan 9, 2017

La conception d’une UX n’est pas seulement une question d’UX designers. Pour être encore plus clair, la conception d’une UX de qualité n’est pas possible sans un système de production capable d’accélérer ses cycles et de s’adapter aux feedbacks des utilisateurs. Et ces deux conditions ne sont pas réunies si vous ne mettez pas en place un cadre de travail lean avec des équipes “agiles” (agile entendu comme ici comme la capacité à s’adapter collectivement et rapidement aux changements).

Dans une nouvelle période au coeur de laquelle les rapports de force se sont largement inversés en faveur des utilisateurs, devenus de plus en plus autonomes et libres de leurs choix, les entreprises doivent revoir leur mode de fonctionnement. Alors que la valeur des expériences proposées aux clients est de plus en plus décisive, les systèmes de production sont devenus souvent inefficaces, voire source de frustration pour leurs collaborateurs (et pour la croissance de l’entreprise). Bien au-delà, les organisations doivent radicalement changer leur fonctionnement pour s’adapter à ces enjeux aussi peu prédictifs.

Comme le dit Gary Hamel, expert du management :

“The world is becoming more turbulent than organizations are becoming adaptable. Organizations were not built for these kinds of changes”.

Dans une logique d’amélioration continue, la conception et la réalisation d’une expérience de qualité repose essentiellement sur la capacité d’une équipe à recueillir les feedbacks des utilisateurs et à les injecter dans la chaîne d’amélioration continue. Ceci implique plusieurs choses.

Tout d’abord, il faut que les organisations soient en capacité de réduire au maximum leurs sources d’inertie afin de mettre en place des boucles d’amélioration incluant des mises sur le marché régulières et fréquentes. Cette “mise sur le marché” ne doit pas seulement être vu comme une opportunité de gagner des parts de marché mais également comme une opportunité d’améliorer l’expérience en mettant le service “entre les mains des utilisateurs”.

Ensuite, la prise en compte des feedbacks implique également que les organisations soient en capacité de s’adapter collectivement aux feedbacks des utilisateurs et de les intégrer dans ces boucles.

● Faire face à un double défi : l’inertie ou la divergence

Nous savons que, dans la nouvelle civilisation “post-digitale”, le pouvoir de l’utilisateur est si grand que la qualité de son expérience est devenue le principal enjeu de la création de valeur dans les entreprises. Cette création de valeur s’entend aussi bien dans la conquête, la rétention et l’implication de nouveaux clients que dans le recrutement et la fidélisation des collaborateurs les plus talentueux. La qualité de l’expérience est le principal levier pour générer de la rétention et de la recommandation. Malheureusement, les modèles d’organisation traditionnels ne sont plus adaptés à ce nouveau défi.

La volonté de sublimer une expérience utilisateur complexe rencontre souvent 2 écueils :

  • Le fait de mener des grands chantiers d’un seul bloc (souvent associés à une organisation en silos) créé beaucoup d’inertie, ce qui ne favorise pas le time to market et donc l’amélioration continue. Le découragement des équipes et le manque de feedbacks utilisateurs entraînent souvent un cercle vicieux menant à produire une expérience utilisateur grossière et éloignée des exigences des utilisateurs.
  • Le fait de découper ces chantiers pour les mener en parallèle fait perdre de la cohérence et rend beaucoup plus difficile la conception d’une UX sans couture, sans friction, à savoir une expérience sublimée du point de vue de l’utilisateur.

Ces 2 écueils sont souvent rencontrés par des startups qui sont entrées dans une phase de scalabilité ou par des entreprises traditionnelles qui doivent revoir l’UX de leurs produits, outils et services (externes ou internes)

● Accélérer les cycles sans perdre la cohérence de l’expérience

Il faut pour répondre à ces 2 écueils proposer un cadre de travail collectif favorisant des temps de cycle optimisés tout en synchronisant les travaux de chaque équipe :

  • Une vision commune mais une roadmap, “découpée” en plusieurs chantiers permettant d’améliorer l’UX, co-construite, mise à jour et visible par tous les membres des équipes.
  • Des équipes restreintes et concentrées sur la valeur à produire pour chaque chantier (correspondant souvent à des points de contact de l’UX)
  • Des itérations communes pour synchroniser les chantiers et construire une UX commune sans frictions.

La synchronisation, elle, se fait par un mécanisme de génération et d’intégration permanente de feedbacks entre les équipes. Ces feedbacks sont générés via de multiples leviers et sont rythmés par les itérations des différents chantiers.

Par ailleurs, la convergence se fait au fil de l’eau à travers un partage permanent de chaque travaux :

  • Management visuel (Board, mapping, kanban)
  • Outils de travail collaboratifs et visuels
  • Cérémonies (Meetings quotidiens, Démo, Rétrospective)

Tous ces artefacts doivent être autant de prétextes pour générer et intégrer les feedbacks dans les cycles de production.

L’objectif de ces systèmes lean est de garantir une vitesse d’exécution collective dans l’enchaînement des cycles de production d’une équipe en supprimant toutes les formes d’inertie (cadrage, management, reporting, réunions de gouvernance — ou de défiance ;) — ou autres sources de gaspillages).

En effet, l’inertie dans un groupe est fonction du nombre d’éléments présents (taille d’une équipe, échelons hiérarchiques). Ces approches garantissent ainsi une scalabilité forte du système en s’appuyant sur l’interaction de petites équipes autonomes fonctionnant en flux tiré : par le juste-besoin. Ce cadre lean intègre toutes les formes de transparence et de diffusion d’information, les équipiers “tirant” l’information (parmi toute l’information disponible) dont ils ont besoin au moment où ils en ont besoin car l’information devient totalement disponible et compréhensible par tous.

Avec ce type d’approches, vous pouvez augmenter — même rapidement — la taille de votre organisation en conservant la vitesse de cycle d’une équipe de base inférieure à 10 personnes. Cette taille maximale est souvent citée comme idéale (Pizza Team).

Vous pouvez également traiter la refonte ou l’amélioration de parcours complexes, qui concernent des dizaines d’équipiers dans des directions différentes, à la vitesse d’une startup en démarrage. Autonomie, vélocité, frugalité sont les valeurs qui favorisent les cycles courts et ainsi la génération de feedbacks utilisateurs plus nombreux et plus réguliers.

Or, comme nous savons que la création de valeur d’une expérience utilisateur est fonction du volume et de la qualité des feedbacks, ces cycles courts sont vitaux. Les entreprises libérées ont intégré cette loi d’airain depuis longtemps.

● Les feedbacks, aussi un instrument au service de la régulation au sein des équipes

Les feedbacks se révèlent salvateurs car ils facilitent aussi la convergence des points de vue au sein des équipes. Une UX nécessitant l’implication et la contribution de nombreuses expertises (techniques, graphiques, ergonomiques, business, etc), il n’est pas rare d’observer de nombreuses et fortes frictions au sein des équipes, voire entre les directions métiers. Ces désaccords liés à des approches subjectives et des cultures différentes sont souvent source des tensions. Dans des cas de forts désaccords, la seule issue est souvent l’intervention d’une autorité ou d’un leadership capable d’imposer un choix ou de régler un conflit. Cette intervention offre un peu de répit mais ne règle pas le problème définitivement. Par ailleurs, elle entame le crédit de confiance construit au fil des jours et des semaines de travail collaboratif. Vous observerez souvent que plus les cycles sont longs, plus les tensions sont fortes au sein des équipes. A contrario, l’accélération des cycles offre une génération de feedbacks plus rapides réalisés par des vrais utilisateurs dans des conditions réelles d’utilisation. Cette plus-value est indispensable et ne manque jamais d’éclairer et d’aligner tout le monde. Ces feedbacks sont autant d’éléments qui favorisent des prises de décisions autoritaires, mais par l’autorité la plus légitime dans une démarche de design UX : l’utilisateur cible.

● Une organisation, plusieurs Expériences Utilisateurs

Le design d’une expérience utilisateur peut nécessiter la mise en place de différents chantiers, mobiliser des équipes et des compétences diverses. Nous l’avons vu, les enjeux industriels et les cycles ne sont pas forcément toujours alignés et peuvent générer beaucoup d’inertie à vouloir les mener tous de front ou en les cadrant a priori. C’est souvent cette problématique à laquelle les entreprises “pré-digitale” doivent faire face. Comment mettre en place une organisation frugale, agile et scalable pour mener plusieurs chantiers en parallèle afin de concevoir et réaliser une expérience utilisateur inoubliable et donc génératrice de recommandation ? La clé se trouve dans l’approche modulaire et dans le pilotage de plusieurs chantiers définis selon les différents enjeux de l’entreprise : Produits, Outils collaborateurs, SAV, etc.

Nous savons aussi que les entreprises ont souvent du mal à optimiser la communication au sein des équipes dès que ces dernières grandissent. Or, le partage d’information est une condition sine qua non à une véritable démarche efficace de travail collaboratif. Dès qu’elle grandit, une équipe doit obligatoirement être “splittée” afin qu’elle puisse garder son agilité. Il faut donc focaliser l’organisation et les processus sur le partage d’information entre les équipes et proposer un story-telling commun afin de conserver leur synchronisation. Il devient alors vital de définir et exposer visuellement (mapping) le fonctionnement plus complexe des équipes afin que chacun puisse se situer et se repérer par rapport au système réel et aux interactions mis en place. Cette visualisation partagée par tous est une condition indispensable pour assurer l’autonomie des collaborateurs et leurs contributions efficaces et pertinentes.

Au final, les bénéfices à la mise en place de ce type de dispositifs sont nombreux : un time to market optimisé permettant de multiplier les opportunités de feedbacks, une facilité à synchroniser et aligner des équipes nombreuses et importantes et une communication décuplée entre les équipes.

● Renforcer la capacité d’adaptation des équipes dans un contexte incertain

Nous l’avons vu, un parcours client, qu’il soit online, offline ou multicanal, nécessite de mener plusieurs chantiers différents. Ces chantiers correspondent souvent aux principaux points de contact ou points de douleurs des utilisateurs.

La réalisation d’une expérience utilisateur obéit aux règles des systèmes complexes principalement dans le sens où cette démarche se fait dans un contexte de forte incertitude et d’un besoin vital d’adaptation aux nouveaux entrants permanents (feedbacks utilisateurs). C’est également pour cette raison, qu’il apparaît vain et chronophage de définir la convergence a priori dans une phase de “cadrage” qui viserait à définir toutes les spécificités et frontières de chaque chantier.

Au contraire, la convergence en continu doit s’opérer via une forte capacité d’adaptation des équipes entre elles. Cette aptitude est directement liée à la mise en place de plusieurs conditions : une vision partagée par tous, une diffusion d’information permanente, et une autonomie de toutes les équipes. Les outils mis en place doivent favoriser cette triple dynamique. Ces outils peuvent être de différentes natures : cérémonies, management visuel, mappings, indicateurs ou autres leviers permettant de construire une culture commune via un story-telling mis à jour en continu. Au final, vous observez d’une manière assez magique (la magie de l’empowerment ;) que la convergence ne nécessite plus une dépense d’énergie souvent assez peu profitable. Au contraire, elle s’opérera naturellement au fil des itérations par le concours de chacun, faisant les pas nécessaires pour se rapprocher des autres, et par la construction d’une expérience utilisateur de haut-niveau.

● Guider les équipes et faciliter leur travail en posant une vision claire et unique

La quête d’agilité au sein des organisations est plus ou moins aisée selon l’historique et la maturité de la culture interne. Les startups ont plus de facilité à mettre en place un cadre de travail agile essentiellement grâce à leur jeune histoire.

Cette avantage leur offre toute latitude dans la construction rapide d’une culture de travail basée sur une forte autonomie des équipes, surtout celles proches des zones de création de valeur (connaissance des utilisateurs, fabrication des produits et distribution des offres). Cette agilité peut être appréhendée comme la capacité et la responsabilité collectives de s’adapter à l’incertitude, cette incertitude étant la source intarissable de la création de valeur permettant de proposer des expériences utilisateurs différenciantes sur un marché. La responsabilité des dirigeants est de déléguer et d’offrir de l’autonomie à leurs équipes via la mise en place de structures qui la facilitent et la protègent.

Au-delà de cette démarche organisationnelle, leur responsabilité est surtout de donner du sens et une vision car c’est la condition de l’émancipation durable des équipes à l’autorité managériale. Ce vecteur d’empowerment restera l’une des principales sources de l’accélération des cycles de production, de la créativité individuelle et collective, de l’innovation et donc de la survie de l’organisation dans une nouvelle civilisation qui porte en elle de nouvelles exigences et de nouveaux rapports de force installés durablement.

Pour aller plus loin :

Concevoir des UX complexes grâce à un système de production distribué

Accélérer les entreprises via un nouveau système de production modulaire et scalable

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