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Nation Stratège, Nation Solidaire :

François-Xavier Marquis
5 min readApr 2, 2020

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La crise nous rappelle aux deux missions des États

Complémentarité entreprises États

Il n’y a pas vraiment de surprise à constater que les entreprises appellent à l’aide l’État providence, aussi fortement qu’elles réclamaient une pression fiscale moindre, il y a quelques mois.

Ce paradoxe nous ramène, de façon aiguë, au rôle des acteurs.

Sur le principe, dans une économie libérale, les entreprises ont pour objet de créer de la valeur, génératrice de richesse, pour elles-mêmes, pour leurs actionnaires et leurs salariés, tandis que les Nations ont pour objet d’en répartir une partie pour assurer un ensemble de missions régaliennes : en particulier, surtout en période de crise, au bénéfice des plus faibles.

Pour ce faire, les premiers génèrent des profits sur lesquels les seconds prélèvent un impôt. Cet équilibre, qui structure la responsabilité des uns et des autres, est sain et il y a un grand danger à le dévoyer, même en temps de crise.

Pourtant toutes les nations, dites démocratiques en annonçant à tout va leur soutien massif aux entreprises (celles-là mêmes qui rechignaient à contribuer fiscalement), courent le risque de générer très vite un rejet massif de la part des populations. Celles-ci acceptent rarement, alors qu’elles n’ont plus de travail ou de revenus, que l’on donne de l’argent aux entreprises.

Que les États accompagnent les crises par des dispositifs de sécurité est normal, mais pour cela il doit rester dans ses deux axes de légitimité :

- Le maintien des ressources de citoyens : c’est sa vocation de Nation solidaire

- Le renforcement des missions régaliennes : c’est sa vocation de Nation stratège

Nation solidaire : Un plan d’aide au maintien des ressources des citoyens

Plutôt que d’aider directement l’entreprise, il serait préférable de cibler les aides permettant le maintien des ressources des citoyens. Les entreprises ont besoin de diminuer leur masse salariale proportionnellement à la baisse d’activité en temps de crise et sont amenées à licencier : c’est compréhensible. Dans cette situation, les fonds de la nation servent légitimement à compenser pendant un temps pour chaque citoyen la diminution de revenu consécutive. C’est le principe même de la solidarité exercée par Pole Emploi par exemple.

Aujourd’hui il est annoncé une fourchette d’aide entre 200 et 300 milliards pour soutenir l’économie. On peut la voir de deux façons :

- Soit par la promotion de dispositifs d’aides directes aux entreprises. Mais cela comporte des risques. Très vite ce mécanisme donne l’impression de faire un cadeau aux entreprises au détriment des salariés. Mais pire, comme on leur demande d’assurer la trésorerie du non-emploi (principe actuel du chômage partiel aujourd’hui en France : payez vos salariés et vous serez remboursés) elles doivent pour la majeure partie se retourner vers les banques afin d’emprunter la trésorerie nécessaire. Franchement ne marche-t-on pas sur la tête ? Demain les salariés ne se souviendront que du fait que l’on a financé les entreprises et les circuits bancaires.

(À moins que ces aides ne soient qu’un miroir aux alouettes ce que l’interdiction de licencier ne dévoile en fait que l’État n’a aucune envie d’avancer la trésorerie en reportant le poids de l’effort sur les organisations qui ont en charge de gérer la solidarité.)

Assurer à chaque citoyen, salarié, indépendant, chômeur, ou bénéficiant d’une aide minimale que son niveau de ressource d’avant la crise est garanti par l’État pendant 12 ou 18 mois. En plafonnant cette garantie fois 3 ou 4 fois le salaire minimum, les aides auraient un impact social beaucoup plus lisible. D’autant qu’avec tous les outils directs dont disposent les services de l’État ou les structures en délégation de services publics CAF, Pole Emploi, les circuits pourraient être directs.

Le message porté par l’une ou l’autre des solutions est très différent. La notion d’État solidaire correspond mieux à la seconde voie : 200 à 300 milliards pour compenser les baisses de revenus sur les 18 mois à venir, seraient lisibles, accepté de tous, en cohérence avec les missions de l’État. D’autant qu’au final l’entreprise en serait aussi bénéficiaire par la limitation de ses charges et par le maintien du pouvoir d’achat de la population. Il appartiendrait à la relation privée entre les banques, les assurances et les entreprises de gérer les fonds nécessaires au maintien de l’outil de production.

Nation Stratège : renforcement des missions régaliennes

En écho à des positions politiques, des acteurs économiques appellent à la nationalisation de secteurs stratégiques. Souvenons-nous : ce sont les mêmes qui par le passé appelaient à la privatisation de ces mêmes secteurs.

S’il y a nationalisation pour des secteurs stratégiques cela doit se faire clairement sans possibilité de retour au privé une fois les crises passées.

Sans parler de la monnaie dont l’abandon de la légitimité par les États va se faire sentir cruellement, il est nécessaire que les Nations, ou des groupes homogènes de Nations tels que les États Unis d’Amérique ou l’Europe… s’emparent totalement leur mission : assurer l’indépendance des citoyens sur des besoins stratégiques.

Sécurité, éducation défense, santé, sont les champs les plus généralement admis.

Au-delà de ces domaines reconnus il y en existe au moins deux autres tout aussi stratégiques et sur lesquels la politique de la France et de l’Europe est défaillante :

- L’énergie :

Et si demain nous n’avions plus de disponible dans nos foyers que de deux heures de courant par jour ?

Il est illusoire de penser que l’enjeu stratégique sera résolu par la petite dizaine de milliers d’éoliennes ou les 1 % des besoins nationaux couverts par les cellules photovoltaïques. L’Énergie est une politique de long terme qui doit se gérer au niveau d’une nation ou d’une communauté de nation en sortant des fluctuations émotionnelles comme sur le nucléaire qui permet à la France d’atteindre plus de 70 % d’autonomie. Sans maîtrise de l’énergie aucun modèle, économique ou social, ne tient. Doit-on laisser cet enjeu à des entreprises privées ?

- Le numérique :

Aujourd’hui, en cette période de confinement, nous nous précipitions sur les réseaux sociaux sans nous rendre compte que nous alimentons de la data étrangère et particulièrement américaine et chinoise. Demain, au moment de la transformation nécessaire de nos sociétés, les données qui nous seront nécessaires ne nous appartiendront plus. Nous sommes totalement dépendants des fournisseurs d’accès, des localisations des hubs techniques…

Au-delà des équipements et du stock de données l’exploitation de ces dernières, au travers d’algorithmes, pose des questions fondamentales sur l’éthique, la transparence et le contrôle. Il n’appartient pas à des entreprises, des mathématiciens et des informaticiens de détenir ce rôle : il entre de plain-pied dans les missions régaliennes des nations.

La crise du covid-19 nous a montré l’extrême importance du numérique dans tous les domaines. Mais cela ne doit pas nous faire oublier que nous sommes pieds et poings liés aux décisions d’une poignée d’entreprises dans le monde dont presque aucune n’est européenne.

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François-Xavier Marquis

Le numérique n’est pas révolutionnaire, il est systémique.